- L'Église face aux démoniaques : une prise en charge médicale ?

Pour la guérison du moine de Canterbury Aegewald, devenu fou en 1076-1077, le religieux exorciste, Lanfranc, est accompagné d'un médecin, Albert 1129 . Dans le cadre des monastères, les infirmeries peuvent recevoir des démoniaques. La vie de saint Berthold de Garst indique :

‘"Envers les démoniaques, il prie sans tiédeur pour leur libération : il ordonna qu’ils soient toujours gardés à l’infirmerie avec ceux qui étaient là et bien traités jusqu’à ce que, ayant retrouvé la santé par des jeûnes et des prières, il leur permit de s’en aller avec joie" 1130 .’

L'abbaye clunisienne de Garst reçoit donc les possédés à l'infirmerie comme les autres malades. Avant d'être l'objet d'un exorcisme, ils sont accueillis, et peut-être un régime diététique leur est-il imposé, accompagné par le jeûne et la prière. Ces infirmeries des monastères ne sont pas des lieux médicalisés, y sont privilégiés l'accueil et la charité 1131 . Le monde byzantin était allé au-delà en organisant, à partir du IVe siècle, de véritables établissements destinés à l'accueil des malades, le xenodochium ou "maison pour les étrangers". Au IXe siècle, le monde musulman avait inventé le bimaristan. Dans les deux cas, il s'agissait d'institutions charitables qui ressemblaient à des maisons de convalescence. Contrairement à l'Occident chrétien, le monde byzantin ne sépare pas ce qui relève de la médecine et ce qui est de l'ordre du religieux. Les prêtres connaissent les théories de Galien et sont un peu des physiciens 1132 . L'Occident chrétien s'est, pour sa part efforcé de poser des limites entre clercs et laïcs au moment de la réforme grégorienne, sans pour autant toujours y parvenir.

L'Église ne parvient donc pas à ignorer les interprétations médicales de la possession, mais ne les fait pas siennes. Un possédé reste un individu frappé par le diable qui nécessite un exorcisme.

Notes
1129.

Miracula S. Dunstani d'Osbern (fin du XIe siècle), éd. W. Stubbs, Memorial of saint Dunstan, London, 1874, p. 148, cité par J.M. Fritz, Le discours du fou…op. cit., n. 2, p. 219.

1130.

Erga dæmoniacos non mediocri orat prædictus liberationis affectu ; quos semper in hospitali præcepit cum his, qui simul aderant, servari, et benigne tractari, usque dum eis jejuniis et orationibus, sanitate obtenta, cum gaudio redire permisit, Vita S. Berthold de Garst, XII, p. 239.

1131.

Voir J. Agrimi et C. Crisciani, "Charité et assistance dans la civilisation chrétienne médiévale", dans dir. M. D. Grmek, Histoire de la pensée médicale en Occident, tome 1, Antiquité et Moyen Âge, Paris, Seuil, 1995, p. 151-174.

1132.

M. Dols, "Insanity in byzantine and islamic medicine" dans éd. J. Scarborough, Symposium on Byzantine medicine, Dumbarton Oaks Papers 38, (1984), p. 135-148 ; P. Horden, "Possession without exorcism : the response to demons and insanity in the earlier byzantine Middle East", dans dir. E. Patlagean, Maladie et société à Byzance, Spoleto, Collectanea 3, 1993, p. 1-19 et P Skinner, Health and medicine in early medieval southern Italy, Leiden-New York-Köln, Brill, 1997.