La tradition italienne de l'exorcisme de Lodi tend à faire de l'interrogation du diable le moment de la révélation de l'existence des reliques qui servent à authentifier l'église de Lodivecchio à une époque où s'affirme la religion civique. L'exemplum 136 du Liber visionum reprend des éléments de cette tradition, ce qui laisse penser que son auteur a eu d'une manière ou d'une autre connaissance du Liber manifestationis du juge Alberto.
Un point important dans l'exemplum n'apparaît pas dans la tradition italienne du texte. Le Liber visionum mentionne le fait que le démon interrogé à Lodi révèle la présence d'un foyer hérétique qu'il qualifie de "manichéen" à Milan en précisant les noms et les adresses des personnes compromises 1214 . L'absence de cette mention dans toute la tradition de l'exorcisme de Lodi prouve qu'il s'agit d'un ajout postérieur à 1173 et à la rédaction du Liber manifestationis, on doit cet ajout au rédacteur du récit. Les circonstances exactes de la rédaction du texte à Clairvaux devraient nous éclairer sur les raisons pour lesquelles l'épisode de la dénonciation des hérétiques figure dans le texte.
Si l'on suit l'interprétation de Uwe Brunn qui se limite, dans sa thèse, à commenter la question de la dénonciation des manichéens milanais dans l'exemplum sans véritablement commenter l'ensemble du texte, cette accusation est à comprendre dans le cadre de la politique impériale. Compte tenu de la rivalité entre Milan et Lodi, l'accusation d'hérésie peut justifier une intervention de la part des autorités ecclésiastiques d'obédience impériale. Ceci justifie l'hypothèse d'Uwe Brunn selon laquelle l'hérésie "cathare" est connue en Italie par le biais du clergé impérial. Par ailleurs, le fait que l'interrogatoire de la possédée soit l'occasion de la dénonciation d'hérétiques ne manque pas de rappeller la manière dont Hildegarde de Bingen et Eckbert de Schönau ont procédé dans les années 1160 avec le foyer d'hérétiques de Mayence. Le moment de l'exorcisme se généralise-t-il comme une étape dans la dénonciation des hérétiques ou faut-il voir dans ce récit une influence rhénane sur le Liber visionum dont Uwe Brunn a déjà souligné plusieurs aspects 1215 ?
L'exemplum du Liber visionum raconte un exorcisme exceptionnellement documenté. Pourtant, l'abondance des sources ne fait pas échapper le récit aux poncifs littéraires médiévaux. Riche de précisions uniques, ce texte n'échappe pas aux représentations de l'époque, si bien que l'on peut se demander si tous les documents qui nous sont parvenus à propos de l'exorcisme médiéval ne sont pas autant d'écrans imprégnés des représentations mentales qui elles seules désormais font la réalité. Le phénomène n'est pas propre à l'exorcisme : entre la représentation et la réalité du diable, la fusion est la même.
est apud Mediolanum homo consanguineus eius manicheorum sectam tenens, quem si ad catholicam reduceres unitatem, multum illi placeret, Annexe 11.
U. Brunn, L'hérésie dans l'archevêché de Cologne, op. cit., Chapitre IX Discussion d'un exemplum sur la croisade anti-hérétique "au temps de l'empereur Frédéric I"