Dans un mouvement parallèle au développement de la figure du possédé qui dit vrai, les hérétiques sont associés au diable et à son sordide univers 1264 . Cette enquête prolonge, sur cet aspect bien précis, la recherche historique portant sur la production du discours polémique anti-hérétique qui considère que la "littérature hérétique est plus une construction discursive ecclésiastique que le reflet direct de questions qui auraient été posées par les hérétiques" 1265 . Cette construction est composée de schémas empruntés à la tradition ecclésiastique : l'"hérésie" est "la même hydre toujours renaissante", peu importent les spécificités du moment, "dès qu'une opposition à l'Église se fait jour, les clercs pensent hérésie et dévident un discours tout prêt contre les manichéens". Cette image "déformée est disqualifiante : on affirme qu'ils prétendent que le monde entier est hanté par le Mal et a été crée par le Malin, ils sont ipso facto proclamés sectateurs du diable" 1266 . L'association des hérétiques au diable qui va parfois jusqu'à en faire des possédés, n'est pas la seule métaphore présente dans ces discours, mais elle conditionne toutes les autres. Dans les traités du XIIe et du début du XIIIe siècle issus des milieux cisterciens, Beverly Maine Kienzle établit quatre images qui émergent de l'ensemble des textes : la démonisation, la pollution, le renversement de l'ordre social, la perspective apocalyptique 1267 .
Sur l'association entre l'hérésie et le diable, voir M. Foucault, "Les déviations religieuses et le savoir médical" et la discussion dans Hérésies et sociétés dans l'Europe pré-industrielle, XIe-XVIIIe siècles, Paris, Mouton et Co, 1968, p. 19-29 ; N. Cohn, Démonolâtrie et sorcellerie au Moyen Âge, fantasmes et réalités, 1ère éd. 1975, Paris, Payot, 1982 ; G.G. Merlo, "Membra diaboli, demoni ed eretici medievali", Nuova Rivista Storica, LXXII (1988), fasc V-VI, p. 583-598 ; A. Patschovsky, "Der Ketzer als Teufelsdiener", dans Papsttum, Kirche un Recht im Mittelalter. Festschrift für Horst Fuhrmann zum 65. Geburstag, Tübingen, Niemeyer, 1991, p. 317-334 le même article était déjà paru dans Deutsches Archiv für Geschichte des Mittelalters, 37, 1981 et "Zur Ketzerverfolgung Konrads von Marburg", Deutsches Archiv für Erforschung des Mittelalters, 37ème année, Köln-Wien, 1981, p. 317-334, ces travaux ont été repris par D. Müller, "Conrad de Marbourg et les cathares en Allemagne", Heresis 3 (1992), p. 53-80 et H. Maisonneuve, Etudes sur les origines de l'Inquisition, Paris, 1960.
Voir l'introduction de Monique Zerner à Inventer l'hérésie ? Discours polémiques et pouvoirs avant l'Inquisition, Nice, 1998 (Collection du Centre d'Etudes Médiévales de Nice 2) ainsi que les autres articles du recueil. L'auteur souligne : "Nous nous intéressons aux manipulations des textes par l'institution ecclésiastique c'est-à-dire au rapport du texte écrit à la vérité et à la construction d'une vérité dont la nature change vers 1180 avec la mise en place de la procédure inquisitoire parallèle au renforcement de la référence au droit romain dominée par la volonté de faire confesser, avouer - mais quoi ?", p. 9.
Toutes ces citations sont extraites de : J.L. Biget, "Reflexions sur "l'hérésie" dans le midi de la France au Moyen Âge", Heresis, 36-37 (2002), p. 29-74. L'auteur cite à l'appui Raoul Ardent qui affirme : duos predicant rerum auctores, deum invisibilium, diabolum visibilium auctorem credentes. Unde et occulte adorant diabolum,PL CLV, 2011 A. Pour une définition de l'hérésie, voir L.Paolini, "L'eresia e l'inquisizione. Per una complessiva riconsiderazione del problema" dans dir G.Cavallo, C. Leonardi, E. Menesto, Lo spazio letterario del Medioevo, I, vol. 2, La circolazione del testo, Roma, Salerno Edictrice, 1994, p. 361-405.
B. M. Kienzle, Cistercians heresy and crusade in Occitania 1145-1229. Preaching in Lord's Vineyard, Woodbridge, Suffolk, York Medieval Press, Boydell and Brewer, 2001, p. 11 et E. Mitre Fernandez dans "Muerte, veneno y enfermedad, metaforas medievales de la herejia", Heresis 1995 (25), p. 63-84 insiste pour sa part sur la mort, le venin et la maladie comme les trois grandes métaphores médiévales de l'hérésie.