A. - Les sermons du troisième dimanche de Carême, leurs auteurs et leur composition

- Les homélies

Maurice de Sully (v. 1120-1196), évêque de Paris en 1160, est l'auteur de sermons savants aux clercs et d'homélies pour les dimanches et les principales fêtes. Son œuvre a été écrite en latin puis traduite en langue vernaculaire et a été composée entre 1168 et 1175 1312 . Un des premiers à se préoccuper de la transmission du sermon aux fidèles, Maurice de Sully est l'auteur de trois sermons prononcés les dimanches de Carême. Le premier porte sur l'Évangile qui raconte la tentation du Christ au désert. Maurice de Sully indique que le Carême est un temps de jeûne qui s'achève par une confession, comme le Christ a rejeté le diable, le fidèle doit repousser sa tentation 1313 . Le sermon pour le deuxième dimanche de Carême porte sur le miracle de la fille possédée de la Cananéenne (Matt, 15, 21-22). L'auteur explique le sens de la possession pour les chrétiens auxquels il s'adresse : elle est une image du péché 1314 . Ainsi le confesseur délivre-t-il les chrétiens pécheurs en les libérant du diable, la confession est donc implicitement rapprochée de l'exorcisme 1315 . Au troisième dimanche, le prédicateur se livre à un commentaire de Erat iesus eiciens demonium et illud erat mutum. Et cum ejecisset demonium, locutus est mutus, et admirate sunt turbe. L'homme dans lequel est le diable est le pécheur 1316 et il doit se confesser.

Si Maurice de Sully souligne l'image du pécheur comme celle d'un possédé en ce temps de Carême, est-il original au XIIe siècle ? Dans un milieu strictement monastique, Isaac de l'Etoile (v. 1110-v. 1168/69), moine cistercien, abbé de l'Etoile en Poitou a prononcé ses sermons entre 1147 et 1169 à l'Etoile ou à Notre-Dame des Châteliers dans l'île de Ré, dans l'église, la salle du chapitre ou en plein champ. Deux sermons pour le troisième dimanche de Carême nous sont parvenus 1317 . Alors qu'il s'adresse à des moines, Isaac de l'Etoile insiste moins sur la figure du pécheur comme possédé que sur l'exemple de Jésus. Comme lui, les moines doivent savoir chasser leur démon intérieur. Le prédicateur n'a pas vraiment recours à l'image de la possession mais explique que le démon est muet car il rend impossible par son bavardage la louange de Dieu. Ce n'est pas sur la métaphore de la possession que l'auteur s'attarde, il adapte son discours à son public de moines.

Raoul Ardent († vers 1200) est l'auteur d'une collection de sermons comportant deux sermons pour chaque dimanche, l'un sur les Épîtres, l'autre sur les Évangiles. Le sermon 40 pour le second dimanche de Carême porte sur le thème Erat Iesus eiciens demonium, il comporte une longue et précise explication de l'Évangile avec des parallèles dans d'autres Évangiles, une allusion aux Éphésiens et au Magnificat de Luc 1318 .

Notes
1312.

C. A. Robson, Maurice of Sully and the medieval vernacular Homily, Oxford, Basil Blackwell, 1952, p. 101-102. Désormais abrégé en Maurice de Sully suivi de la page de l'édition. Cette édition a été faite d'après des sermons en langue vernaculaire qui se trouvent dans un manuscrit de la cathédrale de Sens. Sur les sermons en langue vulgaire, voir M. Zink, "La prédication en langues vernaculaires" dans Le Moyen Âge et la Bible, dir. P. Riché, G. Lobrichon, p. 489-516.

1313.

Va, Sathana ! Jo n'en fraindrai mie ma geüne, ne jo ne mangerai mie ne ne bueverai trop, ne rien ne ferai que tu m'amonestes ; mais jo geünerai, jo travaillerai ma car, jo crierai merci a Deu, je ferai aumosnes por mes peciés raiembre, Maurice de Sully, 1er dimanche de Carême, p. 99.

1314.

La fille en cui li diable estoit : senefie l'anme al peccor cestien, u a la peceresse crestiene, cui li diables a asise, e en cui il regne par pechié, e cui il demaine si com il vuelt, par fornication, u par avultere, u par convoitise, u par glotonie, u par ivrece, un par haine mortel, u par ususre, u par vendre a terme, u par autre pecié dampnable, Maurice de Sully, 2ème dimanche de Carême, p. 101.

1315.

que Diex Nostre Sire delivre les peceors crestiens e les peceresses crestienes del diable qui est en els e regne par pecié, Maurice de Sully, 2ème dimanche de Carême, p. 101.

1316.

senefie les malvais crestiens cui diables porsiet, e en cui il regne par pecié de glotonie, u d'ivrece, u de fornication, u d'autere, u d'usure, u de vendre a terme, u par autre pecié dampnable, Maurice de Sully, 3ème dimanche de Carême, p. 101.

1317.

Isaac de l'Etoile, Sermons, éds. A. Hoste, G. Raciti, G. Salet, tome II, SC 207, 1974, p. 305 et suiv.

1318.

Raoul Ardens, Sermones de tempore, PL 155, p. 1667-2118. Voir A. Solignac, "Raoul Ardent", DS, 13, p. 97-106, J. Longère, Œuvres oratoires, op. cit., I, p. 30-31.