- Circonstances et lieu de la prise de possession

Certains textes apportent des précisions à propos du moment de la prise de possession. C'est au XIIIe siècle que semble s'imposer la scène au cours de laquelle une malédiction provoque la venue du démon dans un corps. Des exempla indiquent la conséquence de la malédiction d'un mari 1412 ou d'un père 1413 . Déjà au XIIe siècle, la jeune fille possédée évoquée dans la translation des reliques de Jérusalem est née maudite 1414 , de même, la femme de Lodi est possédée à la suite d'un croisement de malédictions qui s'arrêtent à elle 1415 . C'est dans les exempla que les récits de ce genre sont les plus nombreux, mais vers 1281, un miracle de saint Erminold raconte aussi la malédiction d'un mari sur sa femme 1416 . Ces paroles violentes qui consistent à vouer un être au diable démontrent qu'au Moyen Âge et particulièrement au XIIIe siècle, la parole a un poids et des conséquences qui peuvent être graves. La malédiction 1417 apparaît comme l'inverse de l'exorcisme, une sorte de contre-formule qui provoque la possession. Dans de nombreux cas, la formule de malédiction a lieu au moment où la personne est en train de manger ou de boire, le diable est ingéré par la même occasion.

Un exemplum est répété à l'envi depuis les Dialogues de Grégoire le Grand : le diable s'empare d'une religieuse qui avait mangé une laitue sans faire le signe de la croix 1418 . Une possédée exorcisée indique que le diable est entré par son oreille 1419 . La vie d'Ambroise Sansedonius de Sienne donne l'exemple d'une jeune fille dont les démons sortent de son oeil et de sa langue 1420 . Le procès de canonisation de Claire de Montefalco mentionne un diable qui entre dans sa victime par son ongle 1421 . Un moine cistercien malade qui avait ôté son habit est menacé par le diable mais l'intervention d'un saint moine le sauve en le faisant se rhabiller et se confesser 1422 .

Notes
1412.

"son seigneur et mari qui a un pouvoir sur son corps, m'a donné son corps", Guiraud, GE, 1, 18, p. 56. Césaire de Heisterbach ajoute un autre exemple : "Quand on lui demanda de quelle manière il était entré en elle, il ne répondit pas et ne permit pas à la femme de répondre. Plus tard, elle confessa que quand son mari en colère disait "Va au diable !", elle le sentit entrer par son oreille", Caes, V, 11, p. 291. Césaire donne aussi un exemple d'un père qui maudit son fils et entraîne sa possession, Caes, V, 12, p. 291.

1413.

Une jeune fille est possédé car, alors qu'elle buvait du lait, il lui a dit : "Que diable aille dans ton ventre", Caes, V, 26, p. 309.

1414.

"Une nuit, lors de la fête de la sainte mère de Dieu la glorieuse Marie toujours vierge reine du ciel notre maîtresse et avocate, un homme, animé d’une mauvaise volupté, engendra une descendance à sa femme qui, pourtant avait résisté. Celle-ci, vraiment triste et ne le supportant pas, à cause du respect dû à une telle solennité lança, au milieu des autres paroles qu’elle proféra, une malédiction envers sa descendance, en disant qu’elle avait été conçue par le diable. En son temps, elle enfanta une fille. Comme elle l’avait nourrie pendant sept mois, le diable la prenant dans son berceau, l’emporta avec lui et la nourrit pendant seize ans", Translatio de reliquiis, Annexe 7.

1415.

Voir l'exemplum 136 du Liber visionum, Annexe 11.

1416.

La Vie d'Erminold fait un récit proche : "Dans le château de Napruch, une femme nommée Leucarde, liée à un jeune par le mariage, jouait ce jour là avec des morceaux de verre à la manière d’une enfant ; le mari (se sentit) offensé, car elle se livrait à des choses vaines, négligeant ce qui est nécessaire, il souhaita imprudemment qu’elle soit envahie par l’esprit malin et il maudit sa femme d’une manière pas digne d’un mari. Sur le champ, pour que sa vanité ou sa dureté excessive soit punie, le diable envahit la femme, la tourmentant très cruellement et proclama par sa bouche des blasphèmes et des choses honteuses, reprochant à ceux qui étaient là leurs péchés et leurs fautes", Vita Erminoldi abbatis Pruveningensis, MGHSS XII, L II, p. 480-500 ; Vita S. Erminoldi, 35, p. 497. Dans la Légende dorée, une femme devient possédée de la même manière dans la vie de sainte Elisabeth de Thuringe, voir Annexe 13.

1417.

Sur les malédictions, voir surtout M. Zimmermann, "Le vocabulaire latin de la malédiction du IXe au XIIIe siècle. Construction d'un discours eschatologique" dans L'invective au Moyen Âge, Atalaya, Revue française d'Etudes médiévales hispaniques, 5, 1984, p. 37-55 et L. K. Little, Benedictine maledictions. Liturgical cursing in romanesque France, New York, Cornell University Press, 1993.

1418.

Pour la fréquence de ce motif, voir le tableau en Annexe 12.

1419.

Caes, V, 11, p. 291.

1420.

Miracula B. Ambrosii Sansedonii, AASS, mars III, p. 235.

1421.

Nancy Caciola, Discerning spirits, p. 43.

1422.

Thomas, Bonum universale, I, 7, 4.