A.- Confession et exorcisme : le vocabulaire

L'emploi des mots permet de faire les premiers rapprochements entre confession et exorcisme. Les verbes eicere et expellere sont systématiquement utilisés dans les textes hagiographiques pour évoquer l'expulsion du démon lors de l'exorcisme, davantage que le verbe exorcisare lui-même. Dans un groupe de huit Vitae des XIe et XIIe siècles 1468 , le verbe eicere est celui qui est le plus employé dans tous les textes, expellere est, pour sa part, d'un emploi moins fréquent.

Le verbe eicere apparaît dans le verset de l'Évangile commenté par les prédicateurs "Erat Iesus eiciens demonium" (Luc 11, 14), il est donc très employé dans les sermons pour le troisième dimanche de Carême, à propos de la confession cette fois-ci 1469 . Pour Pierre de Reims, l'emploi du participe présent exprime la continuité de cette expulsion qui est à la fois l'expulsion du diable du ciel et son expulsion du corps de l'homme 1470 . Le verbe est aussi commenté par Nicolas de Biard qui explique que l'expulsion s'applique à Dieu, de la part du pécheur, mais aussi au diable qui a été expulsé du ciel par Dieu, et enfin au mal qui est expulsé de l'homme par la confession 1471 . Un autre verbe expellere, synonyme, est préféré par Ranulphe de la Houblonnière dans une partie de son sermon 1472 .

Le verbe increpare est utilisé à la fois pour désigner la confession, la prédication et l'exorcisme. Dans le cadre de l'exorcisme médiéval, il signifie adresser un sermon de gronderie, menacer selon la définition d'Isidore de Séville 1473 . Gérard de Mailly, lorsqu'il évoque le second moyen d'expulser le diable – comme l'homme quitte une femme querelleuse, le diable s'enfuit aux reproches de la conscience – cite l'Évangile de Matthieu (Matt, 17, 17) qui présente le Christ adjurant un possédé par un sermon de gronderie. Le prédicateur conclut que de même, le sermon de gronderie que la conscience adresse au diable le met en fuite 1474 . Nicolas de Biard l'utilise à propos de la prédication qui met en fuite le démon 1475 . Pierre de Reims indique: "De même, par la réprimande et la prédication, il les rend muets, ceux qui par le péché ont comme un caillou dans la bouche" 1476 .

L'emploi du verbe increpare à propos de la confession n'est pas une spécificité des sermons du troisième dimanche de Carême. La Somme de Confession de Pierre de Poitiers (†1205/1216) écrite dans la seconde moitié du XIIe siècle 1477 , indique l'état d'esprit du confesseur et de celui qui vient avouer ses péchés. Le confesseur doit être actif et doit participer "à la réprimande du pécheur" afin de lui faire venir la honte de ses péchés et le rouge aux joues 1478 . Il indique l'efficacité de la confession contre le diable en rappelant le célèbre exemplum, décliné sous plusieurs formes, du démoniaque qui a les péchés d'une personne sous la langue mais qui les a oubliés, à cause de la confession 1479 . Il ajoute après d'autres remarques qu'il faut, pour le confesseur, savoir être "doux dans la réprimande, car il doit réprimander" 1480 . Pierre le Chantre († 1197) dans son Verbum abbreviatum, traité de morale pratique composé vers 1192 et consacré aux vertus et aux vices, consacre un chapitre au confesseur dans lequel le verbe est à nouveau employé 1481 .

Le sermon de gronderie qui s'adresse au pécheur en confession est-il comparable au sermon que l'exorciste adresse au démon pour le faire sortir du possédé ?

Notes
1468.

Voir le tableau 2 de l'Annexe 6.

1469.

Par exemple : quod istud demonium de corde peccatoris eicitur VII modis, Gérard de Mailly, l. 26, p. 329. Maurice de Sully, dans un sermon en ancien français utilise un synonyme : Nostre Sire Deus geta une fois le diable d'un homme.

1470.

Non dicit : eicit, sed erat eiciens, notans continuitatem eicientis, Pierre de Reims, p. 187.

1471.

Secunda eiectio est dyaboli, et hoc tripliciter : eicit eum Deus de celo, eicit de corde humano, eiciet in fine mundi in infernum, Nicolas de Biard, p. 338-339.

1472.

Ranulphe de la Houblonnière, ch 4, p. 90-92.

1473.

Exorcismus autem sermo increpationis est, Isidore de Séville, De Ecclesiasticis Officiis, PL 83, ch. XXI, c. 814. Cette définition est, on l'a vu, reprise dans la plupart des commentaires de la liturgie et des ouvrages de droit canon. Sur le sens du mot et son emploi dans la liturgie, voir chapitre I.

1474.

Increpavit illum Ihesus, id est homo de sua salute sollicitus, increpavit seipsum scilicet reprehendendo per remorsum consciencie, et exivit ab eo demonium, Gérard de Mailly, l. 49, p. 330.

1475.

si audierit frequenter uoces predicatorum ipsum sustentantium uel increpantium uel acclamantium, Nicolas de Biard, p. 341-342.

1476.

Item ab increpando et predicando facit eos obmutescere peccatum proinde quasi calculus in ore proiectus, Pierre de Reims, p. 188.

1477.

Petrus Pictaviensis, Summa de Confessione. Compilatio praesens. Ed. Jean Longère, CC 51, Turnhout, Brepols, 1980.

1478.

ad increpationem peccatoris, Summa de Confessione, op. cit. , l. 10, p. 1. Un peu plus loin, il ajoute que l'action du confesseur sur les péchés et le diable est de les transmettre au prêtre : Item ad hoc etiam valet confessio, quia diabolus sacerdoti confessa peccata obliuioni tradit, Summa de Confessione, op. cit. , l.20.

1479.

cui dixit daemoniacus : Peccata tua sub lingua mea habeo, sed publicare non valeo, Summa de Confessione, op. cit , l. 32.

1480.

Dulcis in increpando, quia increpare debet, Summa de confessione, l. 46, p. 2.

1481.

Sit ergo confessor prudens et discretus, mitis, suavis, dulcis et benignus, misericors et affabilis. Quandoque etiam, ut pater, mordacem habeat increpationem , ut ille, qui nolenti restituere ablata, quam ob rem nec ei satisfactionem injunxit, Pierre le Chantre, Verbum abbreviatum, PL 205, ch. CXLIV, p. 344.Hugues de Saint-Cher écrit pour sa part : bonus predicator et bonus confessor et quilibet spiritualium bonorum administrator debet habere hec tria : latratus est verbum exhortationis, morsus est verbum obiurgationis seu increpationis , lingua est verbum consolationis, Hugues de Saint-Cher, Opera omnia in universum Vetus et Novum Testamentum, Venise, 1703, VI, 230r-231v cité dans N. Bériou, L'avènement des maîtres de la Parole, op. cit., p. 582, n. 425.