La confession est un aveu au prêtre dans un rite sacramentel d'Église. L'aveu dévoile les fautes et les dispositions du pénitent, il permet au prêtre de prononcer l'absolution et de fixer la peine de satisfaction 1496 . Ce moment crucial de l'aveu est illustré par de nombreuses images, celles du combat, du nettoyage, de la médication.
Jean d'Abbeville affirme que le diable est armé et qu'il arme l'homme contre lui-même 1497 . Le prédicateur ajoute ensuite qu'il porte une armure, une lance, et un masque qui le cache. Cet accoutrement en fait un combattant redoutable que l'homme ne peut se permettre de sous-estimer. Pour sa part, Jacques de Voragine prononce des paroles encourageantes pour le combattant qu'il soutient : "Mais moi j'ai été supérieur à lui, j'ai attaqué le château, j'ai attaché le diable, j'ai rompu son arme qui sont les tentations, j'ai arraché sa dépouille et je l'ai distribuée" 1498 . Les prédicateurs donnent la mesure du diable tout en indiquant qu'il peut être vaincu, il s'agit d'avertir les fidèles du danger dans lequel ils se trouvent.
L'image du nettoyage est fréquente pour évoquer la confession 1499 . Ranulphe de la Houblonnière l'emploie face aux fidèles de la paroisse Saint-Gervais, à l’occasion du dimanche des Rameaux : “D’abord nous devons faire une grande pluie de larmes par amertume de cœur, la pluie qui vient du ciel, grâce à Dieu. Personne d’autre que Dieu seul ne peut la donner. Et quand on sent cette pluie, aussitôt on devrait courir au “ruable” et au balai de la confession” 1500 . Lors de la fête de la purification de la Vierge le prédicateur ajoute : "D'abord, tu jettes de l'eau sur la poussière, ensuite tu prends le balai et tu jettes le tout dehors" 1501 . A l’occasion de la même fête mais dans un autre sermon : "On doit purger le péché avec la confession de bouche comme la maison avec le balai" 1502 . Les images du nettoyage et du balayage sont aussi employées dans un contexte d'exorcisme.
Les sources scripturaires du mot scopa (Psaume 76, 7 et Isaïe 14, 23) 1503 , font apparaître le sens de ce mot pour la confession et l’exorcisme. Dans la parabole du retour de l'esprit immonde, ce dernier s’empare à nouveau de l’âme du pécheur qui a pourtant été nettoyée, ornée et balayée, mais il revient avec sept des pires démons et ainsi, il parvient à s'emparer d'elle à nouveau 1504 . Ce nettoyage n'est possible qu'avec de l'eau qui symbolise les larmes et la contrition du pécheur, en effet, le sacrement de pénitence est vu comme un second baptême au Moyen Âge 1505 . L'image du balai est aussi utilisée dans un contexte d'exorcisme dans certaines vies de saints 1506 .
A ces images s'ajoute tout le champ des métaphores médicales d'usage convenu à propos de la confession 1507 . Le curé, chargé d'administrer la pénitence est médecin des âmes 1508 . Dans un passage des sermons de Ranulphe de la Houblonnière est évoquée l’image du vomissement au sujet de la confession 1509 . De même, le rituel de la pénitence présent dans le pontifical romano-germanique du Xe siècle fait mention de cette “vomissure” au moment où, passées les instructions liminaires et la prière d’entrée, le confesseur engage le pénitent dans le dialogue pénitentiel 1510 . La dimension médicale et purgative qui apparait dans ces images de la confession se retrouve dans les textes concernant l'exorcisme. Dans les Vies de saints, les vomissements ou les flux de ventre sont les principaux symptômes qui frappent les possédés au moment de leur guérison, c’est l’image de la purgation par excellence 1511 . Ainsi, “réel” au moment de l’exorcisme, métaphorique à l’occasion de l’évocation de la confession, le vomissement est bien une image traduisant la purgation que les clercs entreprennent.
Le possédé est la métaphore du pécheur | ||
Le pécheur | Le possédé | |
Il succombe au mal par goût pour les vices qui sont des instruments du diable | Il est totalement envahi par le diable qui en fait sa chose | |
Le confesseur qui ébranle son remords peut l'amener au repentir | écart | Le possédé ne prend pas part au combat qui oppose l'exorciste au diable |
Le pécheur, par son repentir et son aveu met fin à la présence du diable en lui | Il revient à lui par miracle sans se souvenir de ce moment où il était privé de conscience | |
confession | exorcisme | |
L'exorcisme est la métaphore de la confession |
Le schéma ci-dessus fait apparaître que, dans les sermons pour le troisième dimanche de Carême, pécheur et possédé sont mis sur le même plan, mais les prédicateurs ne les réduisent pas l'un à l'autre. Alors que le premier succombe au vice par goût, le possédé n'est pas totalement conscient de l'envahissement qu'il subit. De même, le pécheur ressent du remords alors que le possédé ne prend pas part au combat qui se joue en lui, enfin par le repentir le pécheur efface le péché alors que le démoniaque doit bénéficier d'un miracle. Il ne s'agit pas de terroriser les fidèles, mais plutôt de les avertir du danger dans lequel ils se trouvent. Au XIIIe siècle triomphe en effet l'idée selon laquelle le mal n'est pas une fatalité, il est combattu par le remords de conscience ou syndérèse qui est théorisée par de nombreux auteurs 1512 . Cette métaphore fonctionne et est efficace en raison de l'écart qui sépare les deux réalités rapprochées 1513 . Elle est destinée à mettre en valeur la liberté dont l'homme dispose à une époque où les théologiens en font l'une des valeurs de l'homme 1514 .
Si l'écart, immense entre confession et exorcisme, il semble parfois qu'une bonne confession soit préférée, au XIIIe siècle, à la mise en œuvre d'un exorcisme.
N. Bériou, "La confession dans les écrits théologiques et pastoraux du XIIIe siècle : médication de l'âme ou démarche judiciaire ?" dans L'aveu. Antiquité et Moyen Âge, EFR 88, 1986, p. 261-282.
Diabolus fortis est, potens in subvertendo et antiquitate temporis et subtilitate nature ; et preterea est armatus (…). Armat enim eum homo contra se ipsum, Jean d'Abbeville, p. 182.
Sed ego fortior illo ipsum superavi, castrum cepi, daemonem alligavi, arma sua, id est, tentamenta confregi, spolia, id est sanctos Patres, qui erant in lymbo, eripui et diversis mansionibus eos distribui, Jacques de Voragine, sermon 1, p. 273.
Les comparaisons fréquentes entre la confession et les travaux ménagers, comme la lessive ou le balayage de la maison, laissent penser que les prédicateurs s'adressaient souvent à des femmes, N. Bériou, L'avènement des maîtres de la Parole, op.cit., p. 253, 539 et N.Bériou, "Autour de Latran IV", op. cit., p. 87, n. 37.
N. Bériou, “Autour de Latran IV (1215) : la naissance de la confession moderne et sa diffusion”, Pratiques de la confession. Des pères du désert à Vatican II. Quinze études d’histoire, Groupe de la Bussière, Paris, Cerf, 1983, pp. 73-92. Voir aussi Saint Antoine de Padoue, p. 152.
Primo proicitis aquam super puluerem, postea accipitis scopam, ‘le baloi’, et proicitis totum extra, Ranulphe de la Houblonnière, p. 49.
Peccatum oris purgari debet per confessionem sicut domus per scopam, Ranulphe de la Houblonnière, p. 65 et voir aussi p. 113, 292.
recordabar psalmorum meorum in nocte cum corde meo loquebar et scopebam spiritum meum, “je me souvenais, je murmurais dans la nuit en mon coeur je méditais et mon esprit interrogeait” (Psaume 76-7), et ponam eam in possessionem ericii et in paludes aquarum et scopabo eam in scopa terens dicit dominus exercituum ; oracle contre Babylone : “je supprimerai de Babylone le nom et le reste (…) Je la transformerai en domaine du hérisson, en marécage. Je la balaierai avec le balai destructeur” (Isaie, 14, 23).
Cum autem inmundus spiritus exierit ab homine ambulat per loca arida quaerens requiem et non invenit tunc dicit revertar in domum meam unde exivi et veniens invenit vacantem scopis mundatam et ornatam tunc vadit et adsumit septem alios spiritus secum nequiores se et intrantes habitant ibi et fiunt novissima hominis illius peiora prioribus sic erit et generationi huic pessimae, “Lorsque l’esprit immonde est sorti d’un homme, il erre par les lieux arides en quête de repos, et il n’en trouve point. Alors il se dit : ‘Je vais retourner dans ma maison d’où je suis parti’. A son arrivée, il la retrouve libre, balayée, bien en ordre. Alors il s’en va prendre avec lui sept autres esprits plus méchants que lui ; ils reviennent et s’y installent. Et l’état final de cet homme devient pire que le premier. Ainsi en sera-t-il également de cette génération mauvaise” (Matt, 12, 43-45 et Luc 11, 24-26).
Pour Lanfranc, archevêque de Cantorbéry, la confession est un second baptême “La confession est une réplique du baptême : celui qui se confesse renonce par la pénitence, et croit par la foi, comme celui qui est baptisé renonce (au démon) et croit” Traité du secret de la confession, PL 150, c. 626-632, cité dans C. Vogel, Le pécheur et la pénitence au Moyen Age, Paris, Cerf, 1969, p. 158. Pour l’auteur anonyme de la Lettre sur la vraie et la fausse pénitence, le baptême n’étant pas réitérable, la confession le remplace “Ceux qui sont tombés après cette immersion ne peuvent plus recevoir le pardon par un nouveau baptême de l’eau” donc, la pénitence est efficace pour les péchés commis après le baptême. Plus loin, l’auteur ajoute une nuance concernant les deux sacrements : “Le baptême rend l’homme pur et nouveau, sans rien en lui qui puisse offenser Dieu. Mais le baptême ne sert à rien pour celui qui a péché personnellement” Lettre sur la vraie et la fausse pénitence, PL 40, 1113-1130 cité par C. Vogel, Ibidem, p. 162. Voir aussi P. Jounel, "La pénitence quadragésimale dans le missel romain", Maison-Dieu, 56, 1958, p. 30-49.
Dans la Vie de saint Virgile, "le même démon ajouta qu’il abandonnerait ce corps misérable grâce à un nombre important de chandelles et de verges purificatrices (scopis) (…). Les verges (scopis) ayant été apportées ainsi que les chandelles amenées et allumées dans l’église, le jeune mentionné plus haut est ramené au tombeau du bienheureux et accompagné des prières et des larmes d’un cortège très nombreux" Vita S. Virgilii, p. 89 ; Là, les verges ou les balais son utilisés comme des objets liturgiques de l'exorcisme. Dans la Vie de saint Berthold de Garst l'expulsion du diable par le balai est plus métaphorique. “ L’homme de Dieu, comprenant que le diable était la cause de ses lamentations, s’approcha de l’endroit où il s’était couché et, prenant une botte de paille comme verge (modicum straminis quasi pro verbere), il commença à vouloir chasser le pourceau diabolique(…). Car il est digne à bon droit d’être vénéré, celui qui domine le diable par la force d’une botte de paille (fasciculo straminis).” Vita S. Bertholdi, pp. 475-493.
Dans le livre XIX du Décretde Burchard de Worms (entre 1008-1012) intitulé Corrector sive Medicus, le confesseur est comparé à un médecin. Par ailleurs, Thietmar, évêque de Mersebourg (975-1018) dans sa Chronique, écrit au sujet de la confession : “Instruisez-vous, frères dans le Christ, à cet exemple et découvrez votre maladie intérieure au céleste médecin” Thietmar, Chronique, MGH Ss. IX cité dans C. Vogel, Le pécheur et la pénitence au Moyen Age, Paris, Cerf, 1969, p. 152. Voir sur toute cette thématique N. Bériou, “La confession dans les écrits théologiques et pastoraux du XIIIe siècle : médication de l’âme ou démarche judiciaire ?”, L’aveu, antiquité et Moyen-Âge, Rome, CEFR 88, 1986, pp. 261-282.
Videamus ergo si mortuos diligenter suscitavimus in officio sancte confessionis, in quo mortui spiritualiter per peccatum suscitantur ad vitam gratie, et si infirmos curavimus, pusillanimes, timidos confortando, spem venie et divine misericordie eis promittendo, et sic de ipsis curando. Hoc enim vult Dominus, ut curam de ipsis habeamus, et precipit, sicut ex ore Salvatoris habemus in Matheo (sic) sub persona illius cui dicunt est (Lc 10, 35) : Curam illius habere, qui typum et figuram in Ecclesia gerit sacerdotum, sermon synodal d'Etienne Tempier en 1273 cité dans N. Bériou, L'avènement des maîtres de la Parole, op.cit., p. 317.
Secundo, fit uera sanctificatio Deo per ueram confessionem.Videtis quod, quando unus homo uel mulier comedit aliquod inuenenatum, non potest habere bonum nec pacem donec euomerit. Sed non est ordura tanta neque uenenum ita mortiferum sicut peccatum. Sed istud euomitur in sancta confessione unde Ps. : Facta est iudea sanctificatio eius, iudea, id est confessio, Ranulphe de la Houblonnière, p 82.
Deinde iubeat eum sacerdos sedere contra se et colloqui cum eo de suprascriptis vitiis sive exhortationibus, ne forte pro verecundia aut ignavia sive oblivione aliquid putridum in corde remaneat per quod iterum diabolus eum ad vomitum peccati reducat, C. Vogel et R. Elze, Le Pontifical Romano-Germanique du Xe siècle, op. cit., p. 15.
C’est une scène presque obligatoire dans la plupart des récits d'exorcisme. Les images des possédés avec les démons qui sortent de leur bouche expriment aussi le vomissement.
Dom Lottin, Psychologie et morale aux XIIe-XIIIe siècles, 6 tomes en 8 vols., Louvain-Gembloux, 1942-1960, tome II, Problèmes de morale, première partie, 1948.
Voir la notion de "vérité métaphorique" développée par Paul Ricoeur dans La métaphore vive, Paris, Seuil, 1975.
E. H. Wéber, La personne humaine au XIIIe siècle, Paris, Vrin, 1991.