- La confession

Plusieurs vies de saints mentionnent, dès le XIIe siècle, le recours à la confession au moment de l'exorcisme ou juste après. Saint Berthold de Garst a établi cette pratique 1516 . Un des récits d'exorcisme concernant une jeune femme tourmentée, se solde par la réussite du saint et de tout son entourage. Mais avant de laisser repartir la jeune fille, "l'abbé, qui avait mis tout son zèle à assister cette femme lui conseilla de se confesser et, l'ayant entendue et lui ayant imposé une pénitence, il la renvoya à ses affaires, au milieu de la grande joie de beaucoup" 1517 . Dans la vie de saint Virgile, la guérison du possédé n'est véritablement possible qu'à la suite de l'aveu de ses péchés : “le possédé est saisi longtemps par une intolérable douleur jusqu’à ce que, avouant qu’il avait péché contre le saint de Dieu (peccasse confitens), il crut complètement et fut libéré complètement" 1518 .

Au XIIIe siècle, certaines vies de saints et certains exempla vont même jusqu'à opérer une superposition entre confession et exorcisme. Dans la Vie de Marie d'Oignies achevée par Jacques de Vitry vers 1216, Marie reçoit une jeune moniale violemment possédée. Elle commence par prier mais le diable ne l'abandonnant pas, elle poursuit son action par des jeûnes, des larmes et des prières qui finissent par soumettre le démon :

‘"A la fin de son jeûne, ce très détestable esprit abandonna la vierge et fut obligé de venir vers la servante du Christ avec douleur et confusion, lié et puni misérablement par l'ange du Christ. On le voyait, comme s'il vomissait ses entrailles, porter misérablement son intérieur sur son col (…). Alors, gémissant et suppliant qu'elle ait pitié de lui, et lui impose une pénitence, il priait l'amie du Christ" 1519 . ’

Soumis, le diable lui-même réclame une pénitence. Dans un autre contexte, Thomas de Cantimpré évoque le cas d'une moniale du monastère dont il est le confesseur, torturée par le démon. Il la reçoit en confession pour lui faire avouer le commerce qu'elle entretient avec le diable : "Alors, ne voulant en aucun cas la croire, j'obligeai la vierge à faire des aveux horribles et, à la fin, je lui extorquai, avec beaucoup de larmes et du rouge aux joues qu'elle était non seulement corrompue dans son esprit mais aussi dans sa chair" 1520 . Cette confession arrachée par Thomas n'est d'aucun effet car le diable est trop fortement installé. Une autre religieuse de ce monastère propose à la moniale, à la veille de la Pentecôte, d'endosser la charge qui lui pèse. "Va, repose-toi en paix pour pouvoir communier demain au Corps du Seigneur ; quant à moi, je prends sur moi ton épreuve" 1521 . Suit, pour la jeune moniale, une nuit de cauchemar. Le lendemain, elle avoue vouloir abandonner la partie. Cet exemple nous présente un double échec : celui de la confession qui n'est pas un remède assez fort et celui de la substitution qui expose une autre moniale aux mêmes tourments. Pour B. Newman, ces échecs nous prouvent que dans les milieux religieux, l'obsession diabolique est si profonde que les "thérapies classiques" n'ont pas d'effets. Il convient plutôt d'engager ces moniales vers la sublimation de ce mal 1522 . La réponse apportée à la fois par Thomas de Cantimpré et par la moniale indique que dans la première moitié du XIIIe siècle 1523 , la confession est souvent la réponse choisie par les clercs à l'obsession diabolique. Cette hypothèse se confirme à la lecture de plusieurs exempla comme celui de la jeune fille d'Angers, possédée car elle danse et guérie par une confession 1524 .

D'autres exemples tendent à prouver que les réflexes changent au cours de ce siècle. Plutôt que d'imposer la liturgie de l'exorcisme, les clercs s'engagent de plus en plus souvent vers la confession des péchés. Dans la troisième distinction "De Confessione" de son Dialogus miraculorum, Césaire de Heisterbach présente de nombreux exemples dans lesquels la confession est le meilleur moyen d'écarter les démons des hommes. Clercs tourmentés par la chair, laïcs subissant des illusions, hérétiques, pécheurs de toutes catégories sont sauvés par la confession ou, s'ils ne peuvent échapper à l'enfer, la confession leur est proposée pour lutter contre leurs tourments. Est-ce un remplacement radical de l'exorcisme ? Non, car tous ces êtres sont des pécheurs et ne sont pas toujours assimilables à des énergumènes. Mais comment qualifier Aleide, moniale de Lancwarde 1525 qui est assaillie par un démon qui l'oppresse, l'empêche de respirer, torture sa chair, et l'enjoint de revenir dans le siècle, si ce n'est par une obsession au sens moderne du terme 1526 . Depuis Césaire de Heisterbach jusqu'à la somme d'Arnold de Liège, l'idée s'impose dans les recueils d'exempla que la confession est très nuisible au diable. Dans le second exemplum de l'Alphabetum narrationum, Maître Thomas, sur son lit de mort, demande au diable ce qui lui nuit le plus. "Le diable répondit que c'était la confession : l'homme en état de péché mortel était enchaîné, à sa merci. Confessé, il en était libre" 1527 . La confession fait perdre toutes ses connaissances au diable, un exemplum abondamment repris développe le motif du possédé qui révèle les péchés des hommes.

Du XIIe au XIIIe siècle, les récits d'exorcisme accordent une place plus importante à la confession des péchés dans la thérapie de la possession. Cette évolution reflète l'importance accordée à cette pratique dans la littérature pastorale depuis au moins 1215 et le concile du Latran.

Notes
1516.

C'est un évêque autrichien qui s'est inspiré de la réforme clunisienne pour renouveler les monastères d'Autriche, en particulier celui de Garst. Saint Bertold mort en 1142 est aussi célèbre pour avoir développé dans son monastère et auprès des fidèles de la région la fréquente confession ce qui est étonnant pour l'époque, voir B. Cignitti, Bibliotheca sanctorum, t. 3, p. 110. La révision de la Vita par J. Lenzenweger, Berthold, Abt von Garsten, Graz-Köln, 1958, permet de mieux dater les parties du texte selon les différentes dates de la rédaction qui s'étend du XIIe au XIIIe siècle, ce qui rendrait moins extraordinaire la pratique de la confession.

1517.

Ergo abbas, qui ejus ereptioni, quantam potuit, adhibuerat diligentiam, assidens mulieri, monuit de confessione ; qua audita et ei pœnitentia injuncta cum magno multorum gaudio dimisit ad propria, Vita S Bertholdi, 71.

1518.

Vita S Virgilii, p. 89.

1519.

Vie de Marie d'Oignies par Jacques de Vitry, trad et préface A. Wankenne, Namur, Société des études classiques, 1989, p. 22.

1520.

Credere ergo illi nullo modo volens, horrificis iuramentis virginem contestatus sum, & tandem ab ea violenter extorsi, ut cum maximis lacrymis & erubescentia fateretur se primo mente quam carne corruptam, Thomas de Cantimpré, II, 57, 14, p. 546.

1521.

Thomas, Bonum universale, II, 57, 15.

1522.

B. Newman, "Possessed by the Spirit", op. cit., p. 744. Une sainte comme Claire de Rimini sublime en effet cet état de possession par des élans mystiques.

1523.

Thomas de Cantimpré entre dans l'ordre des dominicains en 1232 et commence la rédaction de son ouvrage vers 1256 jusqu'en 1263.

1524.

"A Angers, une jeune fille chanta tout près de la place où était prononcé un sermon avec une voix si haut perchée qu’elle l’empêchait d’avoir lieu. Malgré de nombreuses semonces, elle refusa d’arrêter. Comme elle recommençait, elle fut saisie par le démon et couverte de pustules. Ses amis la conduisirent de sanctuaire en sanctuaire, sans succès. Ils décidèrent alors de la conduire à la maison des frères à laquelle appartenait celui dont elle avait perturbé le sermon. Les frères prièrent pour elle. Elle fut libérée du démon. Son infection disparut après sa confession", Etienne de Bourbon, Tractatus, III, p. 1032.

1525.

Caes, III, 13, p 125-127.

1526.

Voir à ce sujet, les belles pages de B. Newman, "Possessed by the Spirit", op. cit.

1527.

J. Berlioz, C. Ribaucourt, "Images de la confession dans la prédication au début du XIVe siècle, l'exemple de l'Alphabetum narrationum d'Arnold de Liège", Pratiques de la confession, Paris, Cerf, 1983,p. 85-115 et J. Berlioz, "Etienne de Bourbon : de l'utilité de la confession", Prêcher d'exemples. Récits de prédicateurs du Moyen Âge, présenté par J.-C. Schmitt, Paris, Stock, 1985.