- Pratique de l'eucharistie après la confession

Au XIIIe siècle, il semble acquis à la plupart des auteurs que l'eucharistie a une vertu réelle contre les forces du mal 1528 . Les exemples d'utilisation de l'hostie dans le but de combattre des démons se multiplient et se différencient.

Dans l'épisode de la Vie de Marie d'Oignies évoqué plus haut la béguine possédée, parmi les nombreux autres symptômes de son malaise, "ne pouvait participer aux sacrements de l'Église. Elle ne voulait pas recevoir le Corps du Christ. Dans son trouble, elle tenta souvent de se tuer elle-même". Après une violente confrontation avec le diable que Marie arrive à vaincre à la suite d'un jeûne prolongé, le dénouement arrive immédiatement : "la vierge dont nous avons parlé fut libérée sur l'heure, se confessa et reçut le Corps du Christ" 1529 . En l'absence d'exorcisme liturgique proprement dit, la confession et l'eucharistie sont les sacrements capables de guérir et de réconcilier celle qui a été souillée par la présence du diable.

L'hostie est, comme au siècle précédent, utilisée comme objet dans les exorcismes 1530 . Richaulme de Schöntal indique dans son Liber revelationum toutes les techniques des moines qui doivent se prémunir des illusions et des tours des démons. Parmi elles, le corps du Christ est mentionné dans le premier chapitre 1531 . L'hostie est aussi utilisée pour déjouer les ruses et les sortilèges des hérétiques quand ils prétendent marcher sur l'eau 1532 . L'utilisation de la pyxide et du Corps du Christ est de même mentionnée par Aubri de Trois-Fontaines dans sa Chronique à l'année 1233, contre les illusions diaboliques créées par des hérétiques 1533 .

Au XIIIe siècle, dans le sillage de la Vita prima de saint Bernard de Clairvaux, les exorcismes eucharistiques au sens large se multiplient. Contre les tourments des possédés, bien sûr, les illusions diaboliques, les hérétiques, la mauvaise mort liée par le démon, l'eucharistie est de plus en plus souvent utilisée. La fréquence de ces recours amène aussi des échecs car les clercs et leur prière ne sont pas toujours sans défauts que le diable n'hésite pas à dénoncer.

Notes
1528.

Jacques de Vitry l'indique dans son traité sur l'eucharistie qui se trouve à la fin de son Histoire Occidentale : "Cette nourriture précieuse (…) fortifie l'âme contre les esprits du mal. (…) Par la vertu de ce sacrement, l'esprit est affermi pour le combat, il se réjouit d'une joie spirituelle, il est comblé en vue de la dévotion, il est vivifié par le désir et la ferveur", Jacques de Vitry, Histoire Occidentale, éd et trad G. Duchet-Suchaux, Paris, Cerf, 1997, 279-280.

1529.

Jacques de Vitry, Vie de Marie d'Oignies, trad. A. Wankenne, Namur, Société des Etudes classiques, 1989, livre 1, n. 31-32, p. 22-23.

1530.

De même, dans un exemplum de Guiraud de Barri (XIIIe siècle), une hostie est utilisée pour chasser le diable du corps d'une possédée après que les clercs ont utilisé les Évangiles et des reliques : " Comme on avait apporté et qu’on avait donné à la possédée le Corps du Christ, le démon répondit : "Fous, ce que vous amenez n'est rien, ce que vous lui donnez n'est pas la nourriture du corps mais de l'âme. Pour moi, je n'ai pas de pouvoir sur l'âme mais sur le corps !". Malgré la bravade du diable, tout laisse à penser dans ce texte, que le corps du Christ réussit là où les Évangiles et les reliques ont échoué. Mais ces trois étapes en disent long sur l'interchangeabilité de ces trois "objets" dans la mise en œuvre de la lutte contre un esprit possesseur. Une hiérarchie est respectée qui se retrouve dans la plupart des récits : d'abord le livre ou les reliques, ensuite, si l'attaque diabolique est sévère, le corps du Christ. Guiraud de Barri, Itinerarium Kambriae, Opera VI, éd J. Dimock, 1868, livre I, chapitre XII. Ce récit apparaît sous une forme résumée dans les Gemma Ecclesiastica I, Opera II, éd. J. S. Brewer, 1862, chapitre XVIII, p. 53-54.

1531.

Praeterita die cum ipse talis frater jam sumpturus esset Corpus Domini, quadam die demon clamavit : "Ipse aspirat ad magisterium, ipse libenter esset magister". Et mihi i(v)olent opponere, et objicere, quod invitus exequar officium id, nec puram obedientiam et voluntatem exhibeam, sicut oportet, Richaulme de Schöntal, Liber revelationum, c. 380.

1532.

Caes., IX, 12, p. 175-176, De corpore Domini quod in flumen proiectum haereticos dimersit.

1533.

Et ultra Coloniam fuit quedam synagoga hereticorum, ubi responsa dabat ymago Luciferi, sed ubi catholicus clericus advenit et pixidem cum corpore Domini de sinu suo protulerit, pestifera ymago corruit, Chronica Albrici Monachi Trium Fontium, MGH SScr XXIII, année 1233, p. 931.