Dans ce récit édifiant qui clôt le Bonum universale de apibus de Thomas de Cantimpré (entre 1256 et 1263), un hérétique fait le choix, pour échapper à l'Inquisition, de passer pour possédé du démon. L'individu simule la possession 1535 , ce qui est déjà une preuve de sa perversité. D'une certaine manière, le choix de cette dissimulation révèle son appartenance au diable. Faux possédé, il ne peut être châtié par la possession mais subit le sort que lui réserve l'Inquisition, il est brûlé. L'événement est raconté à la manière d'un miracle qui prend la signification d'une ordalie. C'est un vrai possédé, traditionnellement enchaîné à une église et clerc de surcroît, qui découvre la vérité. Comme bien des démoniaques des exempla, il connaît ce que cachent les apparences. Dieu permet alors qu'il se détache de ses liens et, par une mise en scène pouvant faire croire à un jeu, il organise un bûcher. Il peut défendre le feu qu'il prépare de leurs gardiens par un glaive présent ici par hasard et laisse s'accomplir le jugement divin. L'épisode lui sert d'exorcisme car il est guéri.
Ce récit fait référence à la campagne menée par Robert le Bougre à Cambrai contre des hérétiques en 1236 1536 et il est révélateur de la proximité établie entre possession et hérésie d'une part, Inquisition, jugement de Dieu et exorcisme d'autre part. Le vrai hérétique mais faux possédé qui relève de la justice divine est bel et bien puni et le vrai possédé est exorcisé. Enfin, dans cet affrontement dans lequel le diable occupe une place importante, ce sont les frères dominicains qui sont chargés de mener la poursuite de l'hérétique. Cet exemplum d'une grande densité nous conduit à poser la question des relations qui existent entre Inquisition et exorcisme. Dans la mesure où les hérétiques, plus que diabolisés, sont parfois représentés comme des possédés, peut-on considérer l'action de l'inquisiteur comme une sorte d'exorcisme ? Cet examen précis autour de formulations ou d'exemples a pour but de mesurer la proximité ou bien, au contraire, l'écart qui existe entre des pratiques distinctes mais qui connaissent un essor parallèle aux XIIIe et XIVe siècles.
Thomas, Bonum universale, II, 57, 68, trad. Platelle, p. 269-270.
Césaire de Heisterbach indique que la possession peut être simulée Caes, V, 12, p. 291-292, mais les exemples sont rares dans les sources.
Voir H. Platelle, Les exemples du Livre des abeilles, Tunhout, Brepols, p. 321, et G. Despy, "Les débuts de l'Inquisition dans les anciens Pays Bas au XIIIe siècle" dans Problèmes d'histoire du christianisme. Hommage à Jean Hadot, ULB, 1980, p. 71-109.