L'inquisition naît, à la fin du XIIe siècle, de la volonté de réprimer les hérétiques à un moment où leur retour à l'orthodoxie est perçu comme une urgence 1537 . Par la décrétale Ad abolendam (1184), le pape Lucius III impose aux archevêques et aux évêques de poursuivre les hérétiques de leurs circonscriptions ecclésiastiques avec l'aide de l'autorité publique. La décrétale Vergentis in senium (1199) d'Innocent III démontre, quant à elle, la volonté de la papauté de se placer au-dessus du pouvoir civil, en faisant de l'hérésie un crime de lèse-majesté. La répression de l'hérésie devient un devoir constitutif du pouvoir politique, le jugement d'hétérodoxie revenant à la papauté.
Pour Grado G. Merlo, la répression violente implique la démonisation des hérétiques, et inversement. Un élément essentiel dans la marche vers cette répression est leur criminalisation dans le droit public avec la bulle Vergentis in senium de 1199 qui rend coupable les hérétiques de crime de lèse-majesté, alors qu'ils étaient auparavent excommuniés. Le recours à la violence maintient vivante l'image d'une relation directe entre les démons et les hérétiques qui sont des ennemis utiles, non seulement pour une réforme ecclésiastique et ecclésiale mais aussi pour présenter l'Église catholique comme l'unique organisme garantissant un rapport authentique avec la divinité. Avec la démonisation et la criminalisation des hérétiques, aucune persuasion n'est possible, seule importe la coercition 1538 .
Les premiers glossateurs des décrétales promulguées par les papes offrent des images intéressantes à propos de l'action en progression de l'Inquisition. Dans la glose de Jean le Teutonique sur le Décret de Gratien écrite et achevée après 1215, l'auteur use de la métaphore médicale à propos de l'hérésie mais ne choisit pas n'importe quelle maladie. L'inquisiteur est comme un médecin qui, par le don de guérir, lie les "frénétiques" et excite les léthargiques 1539 . La frénésie est la version médicale de ce qui est souvent considéré comme la possession au Moyen Âge 1540 .
Entre 1227 et 1231, apparaît la figure de l'inquisiteur délégué par le siège apostolique : les dominicains Conrad de Marbourg et Robert le Bougre sont les premiers à opérer à ce titre, respectivement dans les royaumes d'Allemagne et de France. Les liens entre l'Inquisition et l'ordre dominicain sont désormais scellés même si les frères de cet ordre n'ont pas été les seuls à œuvrer dans la lutte contre l'hérésie 1541 . La papauté élabore des normes toujours plus précises, bases sur lesquelles sont rédigés les manuels des inquisiteurs réunissant les éléments formels destinés à mettre en œuvre la répression. L'inquisiteur opère au sein de grandes circonscriptions ou dans le lieu où il est appelé. Il tient alors un "sermon général" 1542 au cours duquel il proclame le tempus gratiae, c'est-à-dire le temps durant lequel quiconque a eu affaire aux hérétiques doit se présenter pour "confesser" ce qu'il sait, déclarer sa repentance extérieure et éviter toute condamnation. Sur la base des informations recueillies de cette manière ou avec l'aide d'informateurs, il convoque les suspects. Du fait qu'ils ne se sont pas présentés, ceux-ci sont déjà coupables. Dans le cas où ils acceptent de répondre, l'inquisiteur exige des informations concrètes et la volonté de revenir dans le giron de l'Église par l'acceptation de certaines pénitences comme les prières, les jeûnes, les pèlerinages ou le port de la croix jaune cousue sur le vêtement ou encore l'incarcération volontaire. Dans l'autre cas, l'hérétique choisit le bûcher. Son activité terminée, l'inquisiteur prononce un autre "sermon général" ainsi que les condamnations en allant des peines les plus légères aux peines capitales avec un grand renfort de mise en scène.
Au milieu du XIIIe siècle eurent lieu des procédures plus expéditives et désinvoltes. L'accusation d'hérésie ne se limita pas aux questions d'ordre religieux mais s'appliqua aussi aux adversaires politiques ou non de la papauté et des autorités ecclésiastiques.
Sur cet immense domaine de recherche, voir H. Maisonneuve, Etudes sur les origines de l'Inquisition, Paris, 1960 ; M. d'Alatri, Eretici e inquisitori in Italia, 1-2, Rome, 1986-1987 ; G.G. Merlo, Contro gli eretici, Bologne, 1996 ; L. Paolini, "L'eresia e l'Inquisizione. Per una complessiva riconsiderazione del problema", dans dir G. Cavallo, C. Leonardi, E. Menesto, Lo spazio letterario del medioevo 1, Il medioevo latino, vol. II, La circolazione del testo, Salerno editrice, Roma, 1994, p. 361-405.
G. G. Merlo, "'Membra diaboli' : demoni ed eretici medievali", Nuova rivista storica, anno LXXII, 1988, fasc V-VI, p. 583-598 ; et R. Manselli, "De la persuasio à la coercitio" dans Le Credo, la morale et l'Inquisition, op. cit., p. 175-197.
Quaesivit Faustus ab Augustino an ecclesia debeat corrigere haereticos et obstinatos ? Et respondet quod sic, ex dilectione corrigendi ad instar medici, qui ex dilectione sanandi phreneticos ligat et lethargicos excitat, Decretum gratiani, Q IV, c. 25, 1618, cité par H. Maisonneuve, Etudes sur les origines de l'Inquisition,op. cit, p. 278.
Voir les interprétations médicales de la possession dans le premier chapitre.
Sur les relations entre les dominicains et l'Inquisition, voir les Actes du colloque de Rome Praedicatores inquisitores – I, The Dominicans and the Mediaeval Inquisition, Acts of the 1st International Seminar February 2002, Istituto Storico Domenicano, Roma, 2004 (Dissertationes Historicae XXIX).
Nos frater Thomas de Casascho ordinis Fratrum Predicatorum inquixtor pravitatis in provincia Lombardie superioris et Marchia Ianuensi a sede Apostolica deputatus, cupientes spinas et velpes subortas in agro Dominico quasque malicias serpentis antiqui ignibus instiguibilibus tradere, disponebat, utpote veneno heretice pravitatis infactas igne spiritus sancti per compunctionem in rosas et lilia commutari ovesque errantes, quas lupi infernales de ovili Dominici gregis subtraxerant a manu pastoris, ad ovile et consorcium et unitatem fidelium Christi redducere et doctrinam sacrilegiam detegendo sanctam fidem catholicam eminencius, clarius et radiosus ellucidare…, Prologue du procès tenu dans la vallée de Lanzo par l'inquisiteur Tommasso di Casasco en 1373 dans G. G. Merlo, Eretici e inquisitori nella societa piemontese del trecento, Claudiana, Torino, 1977, p. 259.