L'inquisitio est une recherche qui aboutit à un résultat, l'inquesta, c'est une technique judiciaire 1543 . Simple procédure, elle se conjugue bientôt avec un ensemble de solutions pour lutter contre l'hérésie, qui sont toujours prises dans la hâte et qui remplacent l'excommunication dont les hérétiques étaient auparavant frappés. L'Inquisition désigne un tribunal ecclésiatique d'exception qui œuvre en coopération avec le pouvoir civil par délégation ou sur injonction pontificale. Du point de vue du droit, il n'existe qu'une seule procédure accusatoire : le juge n'ouvre une action qu'à la suite d'une accusation à laquelle incombe l'administration de la preuve. Mais progressivement apparaît la procédure dénonciatoire. Innocent III (1198-1213) y ajoute la fama publica ou la notoriété. Le juge peut ouvrir une procédure à partir d'un seul suspect, se met en quête d'accusations précises et se charge lui-même d'administrer la peuve par une inquisition en assignant les témoins et en recueillant leurs dépositions.
L'exorcisme, rituel de l'Église, n'est pas une procédure judiciaire en tant que telle, mais une adjuration au démon. Cependant, par son déroulement, en particulier dans les vies de saints, il a pu être rapproché d'un procès. Peter Brown développe la comparaison entre l'exorcisme et la pratique du procès. Il s'appuie sur le fait que l'exorcisme fonctionne comme un interrogatoire du diable poussé à se nommer et à avouer son identité sous une torture invisible mais manifestée par les cris des possédés 1544 . Si l'exorcisme évolue, car son contexte n'est pas le même au VIe et au XIIIe siècle, l'interrogatoire du diable, qui est l'élément central dans la comparaison entre le procès et l'exorcisme, subsiste. De même, l'inquesta menée par l'Inquisition est un long interrogatoire dont les archives ont laissé de nombreux témoins 1545 .
Alors que les hérétiques sont poursuivis et condamnés, le possédé est, à la même période, valorisé. Les hérétiques sont, pour leur part, l'objet de sanctions de plus en plus précises : la confiscation des biens héritée de l'Antiquité, la mutilation ou le bûcher, inspirés de la tradition germanique. Dans certains cas, l'exécution de l'hérétique se fait dans une mise en scène destinée à bien montrer son appartenance au diable. Ainsi, un franciscian rigoriste, Michel de Calci, est brûlé à Florence en 1389, habillé d'une mitre et d'un mantelet sur lesquels ont été peints des "Fraticelli" en compagnie de diables, l'hérétique n'est pas seulement brûlé, il subit une "dégradation qui est à la fois sacramentelle, sacrale et humaine" 1546 .
Alors que l'exorcisme est conçu comme un processus de réintégration du possédé dans le giron de l'Église, de manière miraculeuse et glorieuse dans le cas évoqué par Thomas de Cantimpré, le procès mené par l'Inquisition fonctionne comme une exclusion pour les simples fidèles et une dégradation pour les clercs qui sont symboliquement associés au diable 1547 . L'Église prévoit pourtant aussi la possibilité de réconcilier les hérétiques.
O. Guyotjeannin, "Inquisition (Moyen Âge)", Dictionnaire historique de la papauté, dir. P. Levillain, Paris, Fayard, 1994, p. 902-907.
"Le plus important, pour un homme de cette époque, était les accents judiciaires bien marqués du déroulement de l'exorcisme dans un sanctuaire. L'exorcisme avait toujours pris la forme d'un dialogue, où l'on pouvait voir l'autorité invisible présente derrière l'agent humain de l'exorcisme se mesurer au pouvoir des démons qui parlaient à travers le patient humain possédé. Ce qui ressortait clairement et sans ambiguité dans un sanctuaire de la romanité tardive, c'est que ce dialogue était un interrogatoire judiciaire. Les horreurs d'une cour de justice de l'époque, comportant l'application de la torture au cours de l'interrogatoire (la quaestio) se déroulait à nouveau, avec brio, sous une forme invisible, dans le dialogue entre le saint et les démons présents dans le possédé. Rien ne matérialisait davantage la praesentia invisible du saint que les hurlements des possédés", P. Brown, Le culte des saints. Son essor et sa fonction dans la chrétienté latine, Paris, Cerf, 1996, p. 139.
D'abondants procès ont fait l'objet d'études ou de publications : S. Brufani, Eresia di un ribelle al tempo di Giovanni XXII : il caso di Muzio di Francesco d'Assisi, con l'edizione del processo inquisitoriale, Pérouse-Florence, 1989 ; G. W. Davis, The Inquisition at Albi (1299-1300) : Text of register and Analysis, New-York, 1948 ; G. G. Merlo, Eretici e inquisitori nella societa piemontese del trecento, Torino, Claudiana, 1977 publie les procès tenus à Giaveno par l'inquisiteur Albert de Castellario (1335) et dans la vallée de Lanzo par l'inquisiteur Tommasso di Casasco (1373) ; J. Duvernoy, Le registre d'Inquisition de Jacques Fournier (1318-1325), Toulouse, Privat, 1965, 3 vols. ; Ibidem, Le dossier de Montségur, Toulouse, Le pérégrinateur, 1998 ; L. Paolini, R. Orioli, Acta S. Officii Bononiae (1291-1310), Rome, Istituto storico italiano per il Medio Evo, 3 vol 1982-1984, sur les procès du Saint Office à Bologne et J. Théry, Fama, enormia. L'enquête sur les crimes de l'évêque d'Albi Bernard de Castanet (1307-1308), Thèse dactylographiée dirigée par J. Chiffoleau, Université Lumière Lyon 2, 2003.
G. G. Merlo, "Coercition et orthodoxie : modalités de communication et d'imposition d'un message religieux hégémonique" dans Faire croire. Modalités de la diffusion et de la réception des messages religieux du XIIe au XVe siècle, Rome, EFR 51, 1981, p. 101-118.
Peter Brown souligne l'écart entre procès judiciaire et exorcisme, "Le dénouement, donc, n'est pas un châtiment. C'est la réintégration d'un être humain dans la communauté" car dans le cas de l'exorcisme, "ce n'est pas l'humain qui est jugé, mais le criminel invisible qui a détruit l'humain", dans La société et le sacré dans l'Antiquité tardive, trad. 1ère éd. 1982, Paris, Seuil, 1985, p. 25.