Après s'être longtemps attachés à décrire les crimes de l'Inquisition, certains historiens ont souligné l'importance de la dimension pénitentielle de la démarche des inquisiteurs. Jacques Paul a montré un Bernard Gui parfait exécutant de la politique pontificale qui a pour but la destruction des hérétiques par la conversion ou la mort, comme l'affirme la Practica inquisitionis composée entre 1319 et 1323. Mais il le fait en faisant traîner la procédure, en cherchant à obtenir des aveux, des gestes publics d'un repentir sincère dont l'appréciation est évidemment très délicate 1549 . Ainsi, "sauf dans les années 1231 et 1239, les inquisiteurs ne sont pas tous des brutes sanguinaires cherchant à mettre à mort le plus grand nombre d'hérétiques (…). Le terme logique de l'interrogatoire et du procès était non pas l'exécution de l'accusé qui n'intervenait que s'il refusait de parler mais son retournement qui lui permettait de sauver sa vie et son âme par la collaboration à la destruction de la secte" 1550 .
Si l'administration de la pénitence est laissée à l'inquisiteur, la liturgie de la réconciliation des hérétiques est régie par les divers conciles chargés d'établir le fonctionnement de l'Inquisition. Le concile de Tarragone de 1242 1551 en présente le déroulement qui comporte de nombreuses ressemblances avec le rituel de la pénitence publique. Les hérétiques qui se sont confessés, font une procession vers la cathédrale ou l'église paroissiale, ils sont fustigés par l'évêque ou le curé. Ils assistent ensuite à l'office. A partir du mercredi des Cendres, il restent en dehors de l'église et n'y rentrent que le Jeudi Saint. Les jours de fête et les dimanches prévus pour la flagellation sont en nombre variable, de même que la durée de l'exclusion de l'église durant le temps de Carême. Quatre conciles précisent le fonctionnement de l'Inquisition au milieu du XIIIe siècle, les conciles de Narbonne (1243), Béziers (1246), Valence (1248), Albi (1254) 1552 . Le concile de Béziers indique que les pénitences doivent être infligées publiquement. Le peuple et le clergé sont convoqués pour entendre la confession publique des coupables qui abjurent leur ancienne religion et prêtent un serment d'obéissance à l'Église. Le concile de Narbonne précise que les pénitents assistent chaque dimanche à la messe, aux vêpres et au sermon et, au cours de la messe paroissiale, entre l'épître et l'Évangile, ils se présenteront, buste nu, face à leur curé et lui offriront un paquet de verges pour qu'il leur donne la discipline. Le premier dimanche du mois après la messe, les hérétiques visiteront les lieux où ils ont rencontré d'autres hérétiques. Ils portent deux croix de couleur différente sur leur poitrine et doivent participer à la croisade. La dimension pénitentielle de ces cérémonies est évidente et prouve que la pénitence publique offre un modèle qui n'est pas du tout tombé en désuétude au XIIIe siècle 1553 .
Si la dimension pénitentielle de la réconciliation des hérétiques n'offre pas de doute, peut-elle être rapprochée de l'exorcisme ? Ces moments de pénitence publique au cours desquels le clergé et les fidèles sont convoqués pour assister à la confession de l'hérétique rappellent les grands exorcismes accomplis par saint Bernard de Clairvaux à Milan, une ville alors divisée et menacée par le schisme. Le peuple est présent car l'office a lieu et, au cours de la messe, le saint s'interrompt pour accomplir un exorcisme intégré à la liturgie eucharistique. Les resemblances avec les prescriptions des conciles destinés à organiser le fonctionnement de l'Inquisition trahissent les liens qui existent entre l'inquisition dans sa dimension pénitentielle et l'exorcisme. Un texte liturgique important pour la fin du XIIIe siècle le confirme.
J. Paul, "La mentalité de l'inquisiteur chez Bernard Gui", Bernard Gui et son monde, Cahiers de Fanjeaux 16 (1981), p. 219-316 ; et voir P. Henriet, "Du nouveau sur l'inquisition languedocienne", Effacement du catharisme ? Cahiers de Fanjeaux 20 (1985), p. 159-173.
A.Vauchez, "En Occident, la répression de l'hérésie et les nouvelles formes de dissidence" dans Histoire du christianisme, tome V, Apogée de la papauté et expansion de la chrétienté (1054-1274), Paris, Desclée, 1993, p. 819 et suiv.
H. Maisonneuve, Etudes sur les origines de l'Inquisition, op. cit., p. 288 et suiv.
Ibidem, p. 303 et suiv.
Sur la pénitence publique, voir J. M. Moeglin "Pénitence publique et amende honorable au Moyen Âge", Revue historique 1997 (604), p. 225-270 ; M. C. Mansfield, The Humiliation of Sinners - Public Penance in Thirteenth-Century France, Ithaca, New York, 1995.