L'ordo pour la réconciliation des hérétiques qui se trouve dans le pontifical de Guillaume Durand (v. 1230-1296), comporte un exorcisme 1554 . L'ensemble du pontifical a connu une importante diffusion et quelqu'un comme Bernard Gui, évêque de Lodève, en a un temps possédé un exemplaire qu'il a annoté.
La réconciliation de l'hérétique se fait en plusieurs étapes dans le pontifical de l'évêque de Mende. La première étape a lieu devant les portes de l'Église : l'évêque ou le prêtre interroge le candidat à la réconciliation à propos de sa foi 1555 . Il dit ensuite sur lui un exorcisme 1556 et le bénit avec le signe de la croix en prononçant une prière 1557 . Dans une seconde étape, l'hérétique est introduit dans l'église, cette étape est celle de la mise à l'épreuve de la foi. Il prononce deux prières, l'une destinée à lui faire renier son ancienne croyance, l'autre s'adressant directement à Dieu 1558 . Une série de questions lui sont posées à propos de la foi catholique, qui le conduisent à prononcer un Credo résumé 1559 suivi par une renonciation à Satan 1560 . Dans une troisième étape, la réconciliation a vraiment lieu lorsque le clerc qui procède à l'ordo lui impose les mains sur la tête en prononçant une prière 1561 .L'ancien hérétique se livre alors à une profession de foi publique 1562 suivie d'une seconde abjuration publique 1563 . Afin de comprendre l'importance du formulaire d'exorcisme présent au début de l'ordo, il convient d'identifier les élements liturgiques qui le composent et d'établir les liens qui les unissent aux autres sacrements de l'époque.
Cet ordo, même si l'on sait que Guillaume Durand est l'auteur d'une œuvre liturgique immense et que le pontifical est fortement marqué par sa personnalité 1564 , est une compilation de formulaires comme le sont tous les livres liturgiques. Certains de ces textes sont issus du pontifical romano-germanique du Xe siècle, comme les formulaires 5 et 8 de l'ordo 1565 . Comme l'a montré Robert Cabié, le pontifical est aussi fortement influencé par la liturgie languedocienne. L'exorcisme présent au début de l'ordo a été trouvé par l'évêque de Mende dans le sacramentaire de Ripoll qui date du XIIe siècle 1566 . Avant de poursuivre l'analyse d'ensemble du sens de l'ordo, il convient d'établir l'originalité éventuelle du texte de Guillaume Durand. Dans le pontifical romano-germanique, les formulaires de réconciliation des hérétiques utilisés par Guillaume Durand font suite aux formulaires d'exorcisme. Cela indique déjà une proximité entre ces différents textes. L'évêque de Mende développe les relations entre ces textes en les réunissant. Les pontificaux des XIIe et XIIIe siècles élaborés par la curie romaine ne mentionnent pas la réconciliation des hérétiques 1567 .
L'ordo peut être relié à la liturgie de plusieurs sacrements. En premier lieu, la pénitence. Dans le pontifical romano-germanique 1568 , la cérémonie de réconciliation des pénitents se déroule ainsi : l'évêque se tient en son siège à l'entrée de l'église, les pénitents prennent place, sous la surveillance de l'archidiacre dans l'atrium ou sur la place devant la cathédrale, en position élevée en présence des curés de paroisse dont ils relèvent. L'archidiacre prononce une alloction introductoire Adest, o venerabilis pontifex, tempus acceptus… A trois reprises, l'évêque dit Venite en s'adressant aux pénitents. A chaque appel, ils fléchissent le genou, s'avancent vers le pontife et, la troisième fois, restent étendus à terre puis se relèvent. Le clergé termine l'antienne Venite filii audite me, timorem Domini docebo vos, suivie du psaume 33. Durant le chant, les pénitents se tiennent la main (manuatim) et sont conduits par leur curés respectifs à l'archidiacre qui les remet à l'évêque. Pendant que les pénitents sont étendus sur les dalles de la nef, le chœur chante le psaume 50 et la litanie des saints, l'évêque dit ensuite les formules absolutoires. Dans le rite final, les pénitents sont aspergés d'eau bénite et encensés et l'évêque dit Exsurge qui dormis. Des éléments de la préparation qui précèdent l'entrée dans l'église rappellent celle des hérétiques. En revanche, le Venite est absent dans le cas de la réconciliation des hérétiques. Ceux-ci reçoivent plutôt une imposition des mains dont on a vu l'importance dans la liturgie de l'exorcisme mais dont l'origine est à chercher dans les premiers temps de la réconciliation des pénitents. Celle-ci s'accompagnait en effet, dans le sacramentaire gélasien ancien et jusqu'au Xe siècle, d'une imposition des mains 1569 .
Cette liturgie de réconciliation des hérétiques rappelle aussi la liturgie baptismale 1570 . A l'époque où celle-ci avait le sens d'un exorcisme, c'est-à-dire avant le VIe siècle, la renonciation à Satan qui s'adressait à des adultes capables de comprendre les paroles prononcées, signifiait la renonciation aux dieux du paganisme assimilés à des démons. Cet ordo de réconciliation des hérétiques du XIIIe siècle a les mêmes accents exorcistiques que les baptêmes du Haut Moyen Âge. De fait, il s'agit de réintégrer dans le giron de l'Église des adultes qui ont entretenu des liens plus ou moins étroits avec l'hérésie. Comme les discours polémiques l'ont longtemps dit, les hérétiques et leurs proches sont des possédés. Ils ont besoin d'une cérémonie pénitentielle qui comporte une dimension baptismale.
Le formulaire d'exorcisme qui ouvre l'ordo a tout son sens. Il donne à l'ensemble de la cérémonie la tonalité d'un exorcisme même si elle n'en est pas véritablement un.
Avec le pontifical de Guillaume Durand, un lien direct est établi entre l'Inquisition dans sa dimension pénitentielle et l'exorcisme. Réconcilier un hérétique qu'est ce d'autre qu'un exorcisme qui, en préalable, doit faire fuir le diable qui est en lui ? Tous les formulaires de ce texte sont destinés à vérifier que l'individu a bien renoncé au démon et que sa profession de foi est conforme au dogme de l'Église. C'est à ces conditions que la réintégration de sa personne est possible.
Ordo ad reconciliandum apostatam, scismaticum vel hereticum, Michel Andrieu, Le pontifical romain au Moyen-Age, tome III : Le pontifical de Guillaume Durand, Citta del Vaticano, 1940 (Studi eTesti 88), livre 3, chapitre 9, p. 616-619. J'ai conservé dans le texte en note la numérotation d'Andrieu pour les différentes pièces liturgiques et je m'y réfèrerai.
1. Apostate reconciliatio fit hoc modo. Primo enim ante fores ecclesie interroget illum episcopus vel sacerdos de fide. Quo facto, dicat super illum sequentem exorcismum, Le pontifical de Guillaume Durand, op. cit., p. 616.
2. Exorcizo te, immunde spiritus, per Deum patrem omnipotentem et per Iesum Christum filium eius et spiritus sanctum, ut recedas ab hoc famulo Dei, quem Deus et dominus noster ab erroribus et deceptionibus tuis liberare et ad ecclesiam sanctam matrem catholicam atque apostolicam revocare dignatur. Ipse te imperat, maledicte dampnate, qui, pro salute hominum passus, mortuus et sepultus te et omnes vires tuas superavit atque resurgens celos ascendit, unde venturus est iudicare vivos et mortuos et seculum per ignem. Resp. Amen, Le pontifical de Guillaume Durand, op. cit., p. 616.
3. Accipe + signum crucis Christi atque christianitatis, quod prius acceptum non custodisti, sed male deceptus abnegasti, Le pontifical de Guillaume Durand, op. cit., p. 616.
4. Ingredere ecclesiam Dei, a qua incaute oberrasti, ac evasisse te laqueos mortis agnosce. Horresce ydola, respue omnem pravitatem sive superstitionem hereticam uel gentilem aut iudaicam. Cole Deum omnipotentem et Iesum Christum filium eius et spiritum sanctum, vivum et verum Deum, sanctam et individuam trinitatem. Tu autem, omnipotens Deus, hanc ovem tuam de fauce lupi tua virtute subtractam paterna percipe pietate et gregi tuo pia refirma benignitate, ne de familie tue dampno inimicus exultet, sed de conversione et liberatione eius ecclesia tua ut pia mater de filio recepto, gratuletur. Per Christum.
5. Oratio. Deus qui hominem ad ymaginem tuam conditum misericorditer reparas, quem miserabiliter creasti, respice propitius super hunc famulum tuum, ut, quod eius ignorantie necessitate hostili et diabolica fraude subreptum est indulgentia tue pietatis ignoscat et absolvat, ut altaribus sacris, recepta veritatis tue communione reddatur. Per. Resp : Amen., Le pontifical de Guillaume Durand, op. cit., p. 616-617.
6. Credis in patrem omnipotentem, creatorem celi et terre ? resp : Credo.
Et in Iesum Christum filium eius unicum, dominum nostrum, natum et passum ? Resp : Credo.
Credis et in spiritum sanctum, sanctam ecclesiam catholicam, sanctorum communionem, remissionem peccatorum, carnis resurrectionem et vitam eternam post mortem ? Resp : Credo, Le pontifical de Guillaume Durand, op. cit., p. 617
7. Homo, abrenuntias Sathane et angelis eius ? Resp : Abrenuntio.
Abrenuntias operibus et imperiis eius ? Resp : Abrenuntio.
Abrenuntias etiam omni secte gentilitatis vel heretice previtatis sive iudaice superstitionis ? Resp : Abrenuntio.
Vis esse et vivere in unitate sancte fiDei catholice ? Resp :Volo, Le pontifical de Guillaume Durand, op. cit., p. 617.
8. Oratio : Domine Deus omnipotens, pater domini nostri Iesu Christi, qui dignatus es hunc famulum tuum ab errore gentilitatis vel mendacio heretice pravitatis sive iudaice superstitionis clementer eruere et ad ecclesiam tuam revocare, tu domine, emitte in eum spiritum sanctum paraclitum de celis. Resp : Amen.
Spiritum sapientie et intellectus. Resp : Amen.
Spiritum consilii et fortitudinis. Resp : Amen.
Spiritum scientie et pietatis. Resp : Amen.
Adimple eum spiritum timoris domini, ut in nomine domini nostri Iesu Christi signo+crucis signetur in vitam eternam. Resp : Amen, Le pontifical de Guillaume Durand, op. cit., p. 617-618.
9. Ego talis, clericus, prepositus, vel archidiaconus talis ecclesie, comperto divisionis laqueo quo tenebar, diutina mecum deliberatione pertractans, prona et spontanea voluntate ad unitatem sedis apostolice, divina gratia duce, reversus sum. Ne vero non pura mente sed simulata reversus existimer, spondeo, sub ordinis mei casu et anathematis obligatione, atque promitto tibi talis episcopo et per te sancto Petro apostolorum principi atque eius vicario N. beatissimo et successoribus ipsius me numquem quorumlibet suassibus uel quocumque alio modo ad scisma, de quo, redemptoris nostrigratia liberante, ereptus sum, reversurum, sed semper in unitate sancte ecclesie catholice et in communione romani pontificis per omnia permansurum. Unde iuratus dico, per Deum omnipotentem et hec sancta quatuor evangelia, que in manibus mei teneo, me in unitate et communione premissis inconcusse mansurum. Quod si, quod absit ab hac me unitate aliqua occasione vel argumento divisero, periurii reatum incurrens, eterne obligatus pene inveniar et cum auctore scismatis habeam in futuro seculo portionem. Hanc autem confessionis promissionisque mee cartulam scribendam dictavi et propria manu subscribens tibi tradidi, Le pontifical de Guillaume Durand, op. cit., p. 618-619.
10. Ego Berengarius diaconus, sacerdos vel prepositus talis ecclesie, cognoscnes veram catholicam et aposolicamfidem, anathematizo hic publice omnem heresim, precipue illam de qua hactenus extiti infamatus, que astruere conatur hoc vel illud. Consentio autemsancte romane ecclesie et apostolice sedis et corde profiteor me credere sic vel sic et eadem fidem tenere et profiteri, quam sancta romana ecclesia auctoritate evangelica et apostolica tenendam tradit, iurans hoc per sanctam omoysion, id est eiusdem substantie trinitatem, et per hec sacrosancta Christi evangelia. Eos autem, qui contra hanc fidem venerint, cum dogmatibus et cum sectatoribus suis eterno anathemate dignos esse pronuntio. Quod si ego ipse, quod absit, aliquando contra hec aliquid sentire aut predicare presumpsero, canonum severitati subiacem, Le pontifical de Guillaume Durand, op. cit., p. 619.
Guillaume Durand, évêque de Mende (v. 1230-1296) canoniste, liturgiste et homme politique, dir P. M. Gy, Paris, CNRS, 1982 et R. Cabié, "Le pontifical de Guillaume Durand l'Ancien et les livres liturgiques languedociens", Liturgie et musique, Cahiers de Fangeaux, 17 (1982), p. 225-237.
Le formulaire 5 correspond au titre Oratio super eos qui morticinium comederunt, (pontifical romano-germanique, II, CXXV, p. 225 et M. Andrieu, Les ordines romani, tome I, p. 204). Le formulaire 8 correspond à Benedictio cum impositione manuum super eos qui de diversis heresibus veniunt (pontifical romano-germanique, II, CXXVI, p. 226).
Il s'agit du numéro 1422 de ce sacramentaire qui date de la fin du XIIe siècle, dans A. Olivar, Sacramentarium Ripullense, Madrid-Barcelona, 1964 (MHSL 7), voir R. Cabié, "Le Pontifical de Guillaume Durand l'Ancien", Liturgie et musique, op. cit..
M. Andrieu, Le pontifical romain au Moyen Âge. Tome 1 : Le pontifical romain au XIIe siècle, Rome, Studi e Testi 86, 1938 ; Tome 2 : Le pontifical de la curie romaine au XIIIe siècle, Rome, Studi e Testi 87, 1940.
Pour la description du rituel de réconciliation des pénitents aux Xe-XIe siècles, voir C. Vogel, "Les rites de la pénitence publique aux Xe et XIe siècles" dans En rémission des péchés. Recherches sur les systèmes pénitentiels dans l'Église latine, Ashgate Variorum, 1994.
Ibidem, p. 143.
Voir les développements sur l'exorcisme baptismal dans le premier chapitre.