Conclusion

Même si le prédicateur, le confesseur et l'inquisiteur mênent des tâches distinctes, leur ministère commun est celui de la parole. Tous usent du verbe promu et renouvelé au début du XIIIe siècle pour développer l'apostolat et lutter contre toutes les formes de déviances. Si le prédicateur enseigne les écritures et en fait une leçon pour les fidèles, il lutte à sa manière contre une certaine forme d'ignorance, le péché et implicitement le diable qui lui est associé. Le confesseur, juge du pécheur mais aussi médecin de son âme, traque dans les esprits les traces du démon, le gronde et lui dit de quitter le réceptacle dans lequel il se trouve. L'inquisiteur est un éradicateur intraitable de l'hérésie, il conduit au bûcher tous ceux qui sont convaincus d'hérésie, qui par leur comportement et leurs aveux, sous la torture ou pas, se sont perdus et menacent l'Église. Aux pénitents, à ceux qui renoncent à l'hérésie, qui collaborent à la dénonciation des hérétiques, un retour dans le giron de l'Église est prévu. La cérémonie de leur réconciliation, en tous cas telle que la prévoit le pontifical de Guillaume Durand, a des points communs avec l'exorcisme qui expulse le diable et qui réintègre dans la communauté des fidèles.

A travers les trois dossiers explorés, il apparaît que des hommes, les frères dominicains, ont joué un rôle central. Nous avons déjà souligné dans le précédent chapitre que la part accordée au diable dans le monde dominicain est multiple 1571 . Sous une première forme, le diable est un adversaire intérieur. Il connaît la vérité et la proclame, en cela les dominicains ont développé une figure intellectuelle du diable assez conforme à leur propre vocation intellectuelle. Le démon, en tant qu'adversaire intérieur, met en péril l'équilibre psychologique des individus et la quiétude de la communauté en suscitant la tentation de la mélancolie et de la possession. Les moines assaillis rappellent les vies des saints moines du désert alors que cette communauté destabilisée par le démon sort renforcée de cette épreuve. La présence du diable au sein du monde dominicain aboutit à un renforcement de la cohésion du groupe et crée la conviction que cet ordre est une cité assiégée. Naît ainsi la détermination des dominicains à mener au-delà des limites du couvent la lutte contre le diable incarné dans les hérétiques. Ainsi il semble que le diable joue un rôle de ferment, de catalyseur dans l'orientation pastorale de l'ordre. La grande proximité, voire l'intimité entre le diable et les hérétiques est établie dès les années 1230 dans l'œuvre du moine cistercien Césaire de Heisterbach. Les auteurs dominicains d'exempla reprennent abondamment ce vivier de textes dans leurs recueils. Cette diabolisation des hérétiques est essentielle dans la mise en œuvre des poursuites menées contre eux par les différentes autorités ecclésiales et par les dominicains. Par leur position centrale dans l'apostolat du XIIIe siècle, ces derniers et leur rapport au diable sont au centre de l'élaboration de la prédication, de la confession et de l'Inquisition comme nouvelles formes de la lutte contre le mal. Les nouvelles figures que sont le prédicateur, le confesseur et l'inquisiteur étant souvent incarnée chacune par un frère dominicain.

Notes
1571.

Voir sur ce point les conclusions de Nicole Bériou au colloque de Rome Praedicatores inquisitores, op. cit., p. 757-780.