- Des collections de miracles au début du XIVe siècle

Michael Goodich a examiné plusieurs collections de miracles du XIVe siècle qui comprennent des récits d'exorcisme 1610 : celle du prêtre séculier breton Yves de Tréguier (†1303), écrite en 1330 1611 , la vie et les miracles du franciscain de Pise Gérard Cagnoli († 1342), écrits par son disciple Barthélemy Albizi en 1346/1347 qui affirme avoir guéri vingt démoniaques avec les reliques de Gérard 1612 . M. Goodich indique que le culte de saint Joachim de Sienne a été initié en 1310 par l'expulsion publique de démons 1613 . A trois heures de l'après-midi, le 7 juin 1310, durant la Pentecôte, une démoniaque nommée Christianella est amenée devant la foule venue écouter un sermon de Nicolas de Sienne devant la tombe de saint Joachim, sermon dans lequel Nicolas raconte la récente expulsion d'un succube. Le diable qui habite la démoniaque annonce alors que l'heure est venue pour lui de quitter sa victime car le miracle de sa libération, impossible jusqu'alors, lui est réservé. Le démon prophétise que, quand il la quittera, il brisera une lampe et la laissera comme morte. Il indique enfin de lui enlever ses vêtements, lui couper les cheveux et de les laisser sur la tombe comme preuve du miracle et pour qu'il ne revienne pas.

A la fin du XIIIe et au début du XIVe siècle, les recueils de miracles prennent parfois la forme d'actes notariés 1614 . C'est le cas de la collection de miracles de Simon de Todi qui a été établie à Bologne le 20 avril 1322 par le notaire impérial Alberto Papazoni, envoyé par le vicaire de l'évêque de Bologne. Le scribe est un second notaire, Giovanni de Manellis. Une femme de 45 ans dépose son témoignage devant le notaire, elle raconte qu'elle a été possédée pendant quinze mois, décrit son état, conforme à celui des démoniaques et indique qu'elle a été guérie par Simon ce que confirment son mari, son fils et sa fille. Aucune précision n'est donnée à propos du déroulement de l'exorcisme 1615 . Ces dépositions précisément établies pourraient nous faire échapper aux poncifs de l'hagiographie pour nous plonger dans la réalité du témoignage.

Comme aux siècles précédents 1616 , les images que nous avons vu circuler d'un texte à l'autre depuis les Évangiles et les récits hagiographiques, imprègnent toujours les esprits du XIVe siècle. Face à un désordre psychique, confrontés à un malaise mental, la femme et son entourage n'ont d'autre explication que celle du démon. Quant à la libération miraculeuse au sujet de laquelle aucune précision n'est apportée, car cela n'est pas nécessaire, elle ne présente aucun doute. Tous ces textes hagiographiques et bien d'autres 1617 rappellent les symptômes de la possession, les méthodes pour la guérir avec les mêmes détails que les récits antérieurs ont pu le montrer.

Le contrôle du miracle voulu par Innocent III au début du XIIIe siècle ne parvient pas à éliminer les récits d'exorcisme des vies de saints. La possession est néanmoins évoquée et décrite avec plus de nuances, comme si un tel phénomène était suspect. Malgré les filtres imposés par l'Église, l'intérêt collectif pour ces récits prend un nouvel essor qui coïncide d'ailleurs avec le développement d'images représentant des exorcismes, accessibles à un plus grand nombre.

Notes
1610.

M. Goodich, "Battling the devil in rural medieval Europe : late medieval miracle collections" dans dir. J.P. Massaut et M. E. Henneau, La christianisation des campagnes. Actes du colloque du CIHEC aout 1994, Bruxelles, Rome, Turnhout, Brepols, 1996, p. 139-151 et M. Goodich, Violence and Miracle in the Fourteenth century. Private Grief and Public Salvation, Chacago/Londres, 1995.

1611.

A. de la Borderie, Monuments originaux de l'histoire de saint Yves, Saint-Brieuc, 1887.

1612.

F. Rotolo, "Il trattato Dei miracoli del B. Gerardo Cagnoli, O. Min. (1257-1342) di Fra Bartolomeo Albizi, O. Min. (†1351)" Miscellanae franciscana, LXVI, 1966, p. 128-192 SURTT page 177 et Ibidem, "La leggenda del B. Gerardo Cagnoli, O. Min. (1257-1342) di Fra Bartolomeo Albizi, O. Min. (†1351)" Miscellanae franciscana, LVII, 1951, p. 367-446.

1613.

M. Goodich, "Battling the devil in rural medieval Europe", op. cit., p. 143 et suiv., P. M. Soulier, "Vita ac legenda beati Ioachimi Senensis ordinis servorum sanctae Mariae virginis", Analecta Bollandiana, XIII, 1894, 389, c. 6 ; 392, c.14. Cette œuvre est datée de 1335.

1614.

M. Goodich, "Battling the devil in rural Europe : late medieval miracle collections" dans La christianisation des campagnes, Actes du colloque du CIHEC, août 1994, éd. J. P. Massaut et M. E. Henneau, Bruxelles, Rome, Turnhout, Brepols, 1996, p. 139-151.

1615.

Miracula B. Simonis, AASS, 20 avril II, p. 816-821, miracle raconté p. 819, n°28, dans M.E. Goodich, Violence and Miracle in the Fourteenth century. Private Grief and Public Salvation, Chicago, The University of Chicago Press, 1994, p. 10-11.

1616.

Voir le chapitre VI et la question du témoignage.

1617.

La vie de sainte Cunégonde, Vita B. Cunegundis, éd. W. Ketrzynski, Monumenta Poloniae historica, Lvov, 1864-1893, IV, p. 682-774 ; les miracles de Stanislas de Cracovie, Vincent, Vita majora S. Stanislas episcopi Cracoviensis, éd. W. Ketrzynski, Monumenta Poloniae, op. cit, IV, p. 253-318 ; les miracles de Simon de Todi, Miracula B. Simonis, AASS, Avril II, p. 816-821 voir surtout n.28, p.819 ; sainte Brigitte de Suède, I. Collijn, Acta et processus canonizationis beate Brigitte, Uppsala, 1924-1931