Les enseignes de pèlerinage sont apparues au XIIe siècle en remplacement d'autres souvenirs que les pèlerins rapportaient des sanctuaires comme la terre, les morceaux de bois, les pierres ou les ampoules 1618 .
Par leur forme et leur fonction, elles trouvent leur origine dans les sceaux et authentifient son porteur comme pèlerin. La grande majorité de ces enseignes a été jetée dans les fleuves au retour du pèlerinage et une grande partie d'entre elles a été perdue. L'existence de ces objets révèle la motivation première du pèlerin médiéval : le désir d'être en contact avec les reliques. Car l'enseigne accède elle-même au rang de relique, elle en a tous les pouvoirs, elle est un talisman d'autant plus efficace si le tissu ou le miroir à son revers ont été frottés au reliquaire. Au retour, les enseignes deviennent le support de la dévotion individuelle, les pèlerins les plus fortunés qui possèdent un bréviaire ou un livre d'heures les cousent en marge des feuillets pour matérialiser leur piété. Ces usages de l'enseigne ou de la figurine de dévotion à des fins privées participent du phénomène de l'individualisation de la foi qui marque les XIIIe et XIVe siècles.
Deux séries d'enseignes conservées aujourd'hui représentent un exorcisme. La première et la plus ancienne est une enseigne de pèlerinage des Grands Carmes de Toulouse trouvée à Londres en 1983 (planche 58) 1619 . L'insigne est de forme quadrilobée, quatre bélières permettent de la coudre à un vêtement. Au centre de l'insigne, la Vierge est assise de face, porte sur son genou gauche l'Enfant Jésus et tient de sa main droite un sceptre surmonté de la fleur de lis. La Vierge à l'Enfant est encadrée de deux personnages placés dans un lobe latéral. Une femme portant touret à mentonnière et manteau est agenouillée de profil dans celui de gauche. Un démon ailé sort de sa bouche 1620 . A l'opposé, un homme debout tend ses mains vers la Vierge, c'est un paralytique qui vient d'être guéri, ses béquilles sont abandonnées devant lui. Dans le lobe inférieur, un moine reconnaissable à son habit et appartenant à l'ordre de Notre-Dame du Mont-Carmel est agenouillé aux pieds de la Vierge. Le contexte archéologique fournit la date de la fin du XIIIe siècle ou du début du XIVe siècle.
Cet insigne retrouvé à Londres fait référence à un culte de la Vierge attesté dans le couvent des Carmes de Toulouse au XIIIe siècle. Une représentation miraculeuse de la Vierge aurait été retirée de la Garonne en 1320 ou, selon une hypothèse plus plausible rapportée d'Orient en 1238. A l'année 1264 en effet, un grand nombre de miracles sont attestés dans l'acte solennel signé par les capitouls et l'official de l'évêque de Toulouse pour la translation des religieux à l'intérieur de la ville. L'image de la Vierge miraculeuse des Carmes était placée au grand autel du couvent durant huit jours et la foule qui se présentait à elle obtenait alors des miracles 1621 .
Plusieurs enseignes des XIVe et XVe siècles concernent par ailleurs saint Mathurin de Larchant (planches 51 et 51bis) 1622 représenté en train d'exorciser un possédé. Saint Mathurin est originaire de Larchant en Gâtinais. Il guérit miraculeusement à Rome la princesse Théodora, fille de l'empereur Maximien, de la possession du démon. Il bénit de l'huile et la versa dans la bouche de la princesse et le démon sortit aussitôt. Mort à Rome, Mathurin est ramené à Larchant où il devient l'objet d'un culte important. A la fin du Moyen Âge, de nombreux pèlerins vénèrent ses reliques afin d'être délivrés de maladies mentales ou de la possession. Un grand nombre d'enseignes représentant saint Mathurin sont parvenues jusqu'à nous 1623 et ont été découvertes en Ile-de-France, prouvant le caractère local de ce culte.
La planche 51 bis représente une enseigne ajourée en forme d'écu héraldique. Au centre, saint Mathurin est représenté nimbé, debout sur une tête monstrueuse, et vêtu d'une chasuble. La tête évoque probablement la victoire du saint contre le démon. De part et d'autre, deux personnages sont représentés, il s'agit de l'empereur Maximien (à droite) et de sa fille dont un démon sort de la bouche (à gauche). Dans la partie supérieure, devant un décor architecturé, deux personnages portent sur une châsse le corps de saint Mathurin. Cette scène figure la translation du corps du saint de Rome à Larchant, ou une procession. A côté de la relique, deux paires de ceps sont déposées, il s'agit de fers pour maintenir les mains ou les pieds d'un aliéné. Dans l'angle supérieur gauche apparaît un ange thuriféraire. Cette enseigne est pourvue d'un petit miroir métallique en son revers 1624 . Si les enseignes de saint Mathurin adoptent des formes différentes, le motif de la princesse Théodora exorcisée et rejetant son démon de la bouche est systématique, comme en témoignent les vestiges ou les dessins qui nous font connaître certaines de ces enseignes (planche 51).
Ces documents offrent le témoignage de représentations de la possession avec lesquelles les hommes et les femmes du Moyen Âge entretiennent une relation intime. La Vierge guérisant une démoniaque et un paralytique, saint Mathurin exorciste sont deux figures protectrices. L'image de la Vierge du couvent des Carmes de Toulouse opère de nombreux miracles, elle guérit les maladies et parmi elles la possession. Mathurin, quant à lui, est spécialisé dans la guérison de la possession.
Sur cette source, voir les travaux de D. Bruna, Enseignes de pèlerinage et enseignes profanes, Musée National du Moyen Âge, Paris, RMN, 1996, et je remercie l'auteur de m'avoir communiqué les informations dont il disposait sur l'exorcisme.
J. M. Lassure et G. Villeval, "Un insigne de pèlerinage des Grands Carmes de Toulouse découvert à Londres", Archéologie du Midi médiéval 5 (1985), p. 176-178.
Les auteurs de l'article identifient cette scène comme la guérison de la folie, alors que tout indique la guérison de la possession.
Archives départementales de la Haute-Garonne, H. Carmes, Inventaire de 1676, 27 ; J. Maillot, recherches historiques sur les établissements et les monuments de la ville de Toulouse, Archives municipales, sd. ; S. Lesur, "Le couvent des Grands Carmes de Toulouse au XIIIe siècle", Cahiers de Fanjeaux, 8, 1972, p. 108-109.
C. Lamy-Lassalle, "Les enseignes de pèlerinage de Saint-Mathurin de Larchant", Bulletin de la Société des Antiquaire de France, 1988, p. 100-106 ; Larchant 1000 ans d'histoire, Château-Musée de Nemours, Association culturelle de Larchant, 1988 ; D. Bruna, Enseignes de pèlerinage, op. cit., p. 173-174.
Le Musée National du Moyen Âge en conserve neuf exemplaires, la plus importante collection.
Le miroir permettait de capter les rayons invisibles de la relique, une fois l'image de la relique réfléchie, l'enseigne était sanctifiée. L'usage de ces miroirs serait apparu au XIVe siècle à Aix-la-Chapelle où faute de pouvoir accueillir tous les pèlerins auprès des sanctuaires, les reliquaires leur étaient présentés du haut des tribunes, les fidèles élevaient leurs miroirs pour s'approprier les pouvoirs des reliques des saints, voir D. Bruna, Enseignes de pèlerinage, op. cit., p. 173-174.