- Les miracles post mortem dans les premiers panneaux peints

Des panneaux peints racontent l'histoire des miracles de saint François à partir de 1235 en particulier le panneau de Pescia réalisé par Bonaventure Berlinghieri (planche 40) 1627 . Saint François est représenté de face, dans un espace inspiré de la grande croix peinte qui s'oppose à la forme rectangulaire des icônes byzantines. Dans une construction identique aux croix peintes, les six scènes de miracles encadrent le saint et sont surmontées de part et d'autre par des anges. Selon Chiara Frugoni, un tel panneau, présenté dans divers lieux d'Italie, a eu un tel retentissement qu'il a fait l'objet d'un culte comparable au culte des reliques : des miracles et des guérisons ont eu lieu à son contact 1628 .

La représentation fait de François un nouveau Christ qui dit à ses disciples de soigner les malades, il salue avec le signe de la paix, et il souhaite que le monde suive les Évangiles qu'il tient à la main. Ce nouveau Christ est vivant, a les yeux ouverts et est accompagné de l'histoire de la Passion. La frontalité de saint François établit un contact direct avec le spectateur, elle représente la transcendance. Les scènes de gauche du panneau de Pescia représentent de haut en bas les stigmates, la prédication aux oiseaux et quatre miracles, la guérison de la fille au cou tordu, le jeune paralysé de Montenero et le lépreux, l'estropié Barthélemy de Narni et les possédés. Dans toutes les représentations de personnages qui se trouvent dans les scènes latérales, seuls les démoniaques sont de profil ce qui est une façon de représenter la duplicité du malin.

La provenance sociale de ces malades est toujours la même, ce sont des pauvres. Ces miracles à la tombe prouvent la sainteté de François, l'incorruptibilité de son corps et la suavité de son parfum. Racontés dans la Vita prima de Thomas de Celano en 1228, ces miracles ont servi pour la canonisation immédiate du saint, ils militent en faveur de la translation du corps de François de l'église Saint-Georges d'Assise, à la grande basilique en construction. On les retrouve comme des éléments constants dans tous les panneaux franciscains et ils respectent l'ordre du récit du premier hagiographe de saint François.

Comment la guérison des possédés est-elle représentée (détail : planche 41) ? Le peintre a réuni en une seule scène deux miracles racontés par Thomas de Celano dans son chapitre sur les démoniaques. Ils ont pour protagonistes Pierre de Foligno et une femme de Narni. Pierre de Foligno entreprend un pèlerinage à Saint-Michel de Gargano à la suite d'un vœu ou d'une pénitence qui lui avait été imposée pour ses péchés. Arrivé à une fontaine, il boit de l'eau et avale le diable, il devient possédé pendant trois ans 1629 . Il est guéri sur le tombeau de saint François, au seul contact du sépulcre 1630 .

L'incident révélé ici montre le culte de saint François en construction en Italie. Il est forcément rival d'autres pèlerinages et Thomas de Celano a, avec cette anecdote, l'idée de réduire l'influence de Saint-Michel de Gargano au profit d'Assise. Bonaventure Berlingheri a représenté un homme détaché dont un diable sort de la bouche, il s'agit de Pierre de Foligno, ainsi que deux femmes, attachées, l'une étant à moitié découverte et tenue par un accompagnateur. C'est la femme de Narni dont le texte de Thomas de Celano dit :

‘"Une femme de Narni, vraiment furieuse et hors de sens, avait des attitudes horribles et des paroles inconvenantes. Le bienheureux François lui apparut et lui dit : "Fais le signe de la croix !" "Je ne peux pas!" répondit-elle. Le saint traça lui-même sur elle le signe de la croix et elle fut délivrée de sa folie et de sa diabolique exaltation" 1631 . ’

Il ne s'agit pas véritablement d'une guérison sur la tombe du saint mais d'une guérison qui fait suite à une vision reçue par la possédée. Le saint lui donne les consignes pour venir à bout de son démon. Dans les autres représentations des miracles post mortem de saint François, la démoniaque est à moitié dévêtue, les cheveux lâchés, les bras attachés et le bras tenu par un homme ou un clerc. La possédée est clairement isolée dans le panneau de Pise (planche 42) et accompagnée par deux personnages qui semblent être des clercs. L'un la tient à distance, l'autre porte ses mains à son visage 1632 . Dans le panneau de la chapelle Bardi (planche 43), la femme est habillée mais attachée et tenue par un laïc. Elle n'est pas seule car elle est accompagnée de plusieurs personnages, femme à l'enfant, hommes qui lèvent les bras au ciel, et un personnage à terre. La représentation du panneau du musée civique de Pistoi (planche 44) est proche mais simplifiée, deux personnages accompagnent une possédée ressemblant à la précédente.

Le panneau d'Assise revêt une dimension artistique unique. Saint François occupe à nouveau une position frontale et de part et d'autre sont développés quatre miracles sur un espace beaucoup plus important que dans les autres panneaux. Le troisième, en haut à droite est consacré à la démoniaque (planche 45). En conformité avec les images précédentes, elle est hirsute, à moitié nue, tenue par un bras. La possédée semble faire le lien entre les citadins, une foule qui s'inscrit sur un fond d'édifices urbains, et le clergé qui surmonte le tombeau de saint François sur un fond d'église. Le drame de la possession est signifié par le comportement de la possédée, son corps désarticulé est accentué par le démon qui sort de sa bouche et qui est amplifié par une sorte d'arbre, aux mêmes contours, qui sort de la ville.

Notes
1627.

C. Frugoni, "Francesco raccontato : le prime tavole con strorie, in particolare la tavola di Pescia", dans Francesco e l'invenzione delle stimmate, op. cit., p. 321-356.

1628.

Ibidem, p. 32 et note 16.

1629.

Ce récit fait écho à celui, classique de la nonne qui avale le diable en n'ayant pas béni sa salade, Dialogues de Grégoire le Grand, voir Texte 1 de l'Annexe 4.

1630.

Vir erat in civitate Fulginei, nomine Petrus, qui cum tempore quodam ad visitanda limina beati Michaelis archangeli, sive ex voto, sive ex poenitentia sibi pro peccatis iniuncta pergeret, ad fontem quamdam applicuit. Qui cum ex lassitudine itineris sitiret, illius fontis auquam degustans, visum est sibi demones imbibisse. Sicque per tres annos, ab ipsis obsessus, horribilia visu et dictu pessima faciebat. Veniens quoque ad tumbam sanctissimi patris, furentibus demonibus et crudelissime discrepentibus eum, claro et manifesto miraculo ad tactum sepulcri eius mirifici liberatus est, Thomas de Celano, Vita prima, III, c. 137, p. 309 et pour le latin, Analecta Franciscana, X, Collegii s. Bonaventure, Ad Claras aguas prope Florentiam, 1897, p. 108-109.

1631.

Thomas de Celano, Vita prima, III, c. 138, p. 309

1632.

C. Frugoni, "Francesco raccontato : le prime tavole con storie", op. cit., p. 335 et note 63.