- Le manuscrit Clm 10085 de la Bayerische Staatsbibliothek de Munich

Le manuscrit Clm 10085 de la Bayerische Staatsbibliothek de Munich est, à ma connaissance, l'un des premiers manuels d'exorcisme d'Occident. Ce rituel en latin et en allemand est composé de 45 folios, de petite taille (24x18 cm), il est originaire du Sud-Ouest de l'Allemagne. En dépit de la date présente dans l'un des formulaires (1365), l'ensemble de l'ouvrage est plus tardif, il est daté de la fin du XIVe et du début du XVe siècle pour sa partie en allemand 1665 . Le livre est mentionné à plusieurs reprises par Adolf Franz dans son ouvrage sur les bénédictions médiévales comme l'un des premiers, si ce n'est le premier rituel d'exorcisme 1666 .

Plusieurs prières et conjurations se succèdent dans ce manuscrit.

1) Le rituel commence par des recommandantions de pureté adressées directement à l'exorciste : "De exorcismo : Si quis uolens exorcizare seu expellere demones ab energumenis siue de obsessis, ante omnia debet esse castus, si autem non, debet se ad minus nouem diebus continere a fornicacione, priusquam incipit operare pro obsessis – leguntur letaniae" fol. 2r-3v.

2) Suivent plusieurs prières d'exorcisme abondamment développées : De vinculo spirituum : "Incipit vinculum in prologum quo spiritus maligni vicuntur". De vinculum spirituum non est silendum, Incipit vinculum. "Per potentissime et corroboratum nomine - in qua gloriose regnat et imperat et regnaturus est in secula seculorum. Amen.", fol. 4r-10v.

3) Au folio 10v, est indiqué que le formulaire qui précède date de 1365 et a servi à l'empereur des romains Charles pour la libération d'un homme possédé : "Alia coniuratio : "Ego exorciso vos N. per nomen pneumathon (et nominem pneumatham quod moyses nominavit et absorbti sunt a XXX) - ad effectum. Amen Hanc orationem fit Karolus imperator romanorum anno MCCCLXV ad liberationem hominum obsessorum a spiritibus malignis et probatum."

4) Des conjurations suivent : "Eterne deus qui iudicio Lucifer et angelos suos…" (fol. 11r-18r).

5) Puis l' Ordo subveniendi demoniaco (fol. 18r-29v) Statim cum possessus venerit ad ecclesiam ante altarem ducatur et consideretur utrum masculus si vel femina. Et queratur quando vel quoniam hic passio illi contingerit.

Il est composé de la manière suivante :

18 v : "Deus qui ad salutem humani generis maxime", exorcisme de l'eau.

19r : "Deus invictae virtutis auctor", exorcisme de l'eau et du sel.

22r-22v : Formulaire de la messe 'Salus populi' .

22v-23 : 12 jours de diète : "Caueat, ne interim quicquam possessa…comedat nisi panem azimum et piscem sale et aquam benedictam paratum. Nil calidum sumat, uinum nec medonem nec cereuisiam interim bibat. Omnis cibus et potus sit sale et aqua benedicta coniunctus et in cena semel in die comedat, et locus, in quo manet per singulas noctes, aspergatur" 1667 .

23r : "Domine sancte pater omnipotens eterne Deus expelle dyabolum…"

27v : "Exorcizo te excommunico te pabulum mortis…"

6) Après l' Ordo subveniendi demoniaco, commencent les lectures des péricopes des Évangiles (fol. 29v-33v) :

29v-30r : Mt 4, 2-12

30 rv : Mt 15, 21-28

30v-31r : Lc 11, 14-28

31v-32r : Jo 8, 51-59

32r-33rv : Mc 9, 16-28

33rv : Mt 15, 21-28

7) Viennent, dans une dernière partie, les prières d'exorcisme en allemand (fol. 33r-44r).

34rv : Du gewaltiger here, almechtiger vatter, du ewiger got, trib us dem bosen gaist von dem meschen…

34v : Ich beschwer dich du unrainer verfluchter gaist, du trache, du schadehaftige schlange…

34v : O du schopfer aller dingen…

35rv : Here Jesu Christe des lebendigen gottes sun…

35v : Ich beschwer dich du boser gaist bi dem vatter…

36rv : O du starker und du erwiger got wir bittend dich…

36v-37v : O here du got der himel, du got der propheten…

37v : Ich segne din hoptt als der her segnote die kranken zu chana galilae…

37v : O du heiliger vatter, almechtiger here underwiger gott du wilt nit…Here got under des augen alle herczen…

41r : O here du schopfer des frides…

41r-44r : O du ewiger got du hast in dime geretchen…

Ce rituel suit un ordre. Il commence par envisager l'exorciste et les dispositions dans lesquelles il doit être pour pouvoir accomplir la liturgie. Ce cadre, à la fois dans son organisation spatiale et dans les dispositions psychologiques du célébrant, est essentiel. Par la suite, les rituels modernes consacrent plusieurs pages à donner des recommandations comparables. La probité de l'exorciste est soulignée : à une époque où la responsabilité individuelle à l'égard du péché a été mise en évidence par de nombreux théologiens, le clerc doit être pur, pour ne pas donner prise au démon.

La première partie du manuscrit, des fol. 4 à 18r réunit plusieurs formulaires sans véritable structure. L'ensemble commence par une longue prière De vinculo spirituum dont je n'ai pas identifié l'origine. Un formulaire daté est inséré au folio 10v. Ce texte aurait été prononcé par l'empereur Charles en 1365. Il montre une certaine perméabilité de la liturgie aux sources narratives, à un événement, qu'il soit réel ou pas. De plus, cette courte mention suggère qu'un empereur a accompli un exorcisme, ce qui ne me semble pas être apparu auparavant. Diverses conjurations suivent cette mention énigmatique.

La seconde partie du manuscrit est composée d'un véritable ordo d'exorcisme (folios 18r-29v). Le rituel commence avec la prise en charge du possédé dans l'église et se poursuit avec les exorcismes des éléments. Suit une messe qui reprend partiellement le formulaire Salus populi. Le Carême pénitentiel qui est administré au possédé rappelle celui qui est inclus dans le pontifical du Xe siècle. Alternent ensuite adjurations et prières à Dieu. La lecture des péricopes évangéliques qui suit, connaît un développement sensible depuis les rituels du XIIe siècle provenant de l'empire 1668 . En sa dernière partie, des formules d'exorcisme en allemand ont été ajoutées. L'apparition de prières en langue vernaculaire prolonge une tendance présente depuis le XIIIe siècle 1669 et manifeste une liturgie en contact avec les fidèles, en constante évolution.

En l'état de nos recherches, il apparaît que ce premier rituel d'exorcisme est nettement l'hériter des livres liturgiques antérieurs, ce qui n'est pas une surprise. Il nous manque cependant bien des éléments pour expliquer précisément l'élaboration de ces textes dans le contexte du XIVe et du XVe siècles.

Du XIIIe au XIVe siècle, la liturgie de l'exorcisme passe donc d'un extrême à l'autre. Absente au XIIIe siècle, elle fait l'objet d'un livre spécifique à la fin du XIVe siècle. Cette époque semble donc réunir les conditions nécessaires à l'éclosion d'un tel ouvrage qui reprend en développant et en adaptant à des besoins locaux la liturgie de l'exorcisme. Mais cette naissance n'a pas eu lieu n'importe où. C'est dans l'aire germanique, fertile en formulaires d'exorcisme depuis le Xe siècle qu'elle est intervenue. Les formulaires en allemand qui figurent dans la dernière partie du rituel sont certainement un ajout du XVe siècle, et la construction et l'écriture de l'ouvrage désignent le Sud-Ouest de l'Allemagne, c'est-à-dire à nouveau, l'aire rhénane. Cet acte de naissance met fin à la longue gestation de l'exorcisme des possédés que nous avons pu voir progresser depuis le Xe siècle et ouvre une nouvelle page de l'histoire de l'exorcisme.

Notes
1665.

Remak-Honnef, E., Hauke H., Katalog der lateinischen handschriften der Bayerischen Staatsbibliothek München (Clm 10001-10930), Wiesbaden, Harrassowitz, 1991, p. 59-60.

1666.

A. Franz, Die Kirchliche Benediktionen im Mittelalter, Paderborn, 1909, tome II.

1667.

Franz, Die Kirchlichen Benediktionen, II, p. 562, n. 7.

1668.

Les manuscrits qui comportent la lecture des péricopes sont : Rituel de Prüm (XIIe s), Munich, BSB, Clm 100, fol. 115 ; Missel-pénitentiel (XIIe s), Munich, BSB, Clm 3909, fol. 252 v ; Miscellanea (XIIIe s), Paris, BN, ms. Lat. 3713, fol. 105-108v. Les récits hagiographiques nous ont donné des témoignages très riches sur la lecture des Évangiles au cours des exorcismes dès le XIe siècle, voir chapitres III et V.

1669.

Voir le recueil Miscellanea, Munich, Clm 615, fol. 127, "Exorcismus versibus germanicis sive Nachtsegen" qui date du XIIIe siècle.