Ce livre liturgique a toute sa place dans la pratique de l'exorcisme. L'iconographie de l'exorcisme qui apparaît dans certains manuels du XVe siècle le confirme.
Le rituel attribué à saint Ambroise, manuscrit latin 1352 de la bibliothèque Sainte-Geneviève, comporte au folio 36 un dessin qui daterait du XVIe siècle 1679 . Une figure au centre, probablement saint Ambroise, exorcise un homme et une femme agenouillés, priant, des démons s'échappent de leur bouche. Le saint porte un livre ouvert en direction du lecteur. Cette image est une mise en abyme de l'exorcisme : à partir du XVe siècle, l'exorcisme est une action liturgique représentée par un clerc qui porte un livre ouvert et qui reçoit parfois l'aide d'un saint. Les exemples montrant l'exorciste un livre ouvert à la main sont nombreux : dans la prédelle du panneau du Maître de Saint-Séverin (1470-1480) analysée par Nancy Caciola 1680 , la couverture de l'édition de Stephan Plannck de l'ouvrage Coniuratio malignorum spirituum (vers 1492) 1681 , dans les peintures murales de l'arc alpin, dans un ex-voto de l'Italie centrale à saint Nicolas de la fin du XVe siècle 1682 . Ces images traduisent la place centrale accordée au livre. Quelle est l'origine de cette représentation et est-elle une nouveauté au XVe siècle ?
L'iconographie de l'exorcisme a toujours accordé une place importante à la représentation du livre. Dans les rituels d'ordination et leur illustration, le livre est l'objet qui symbolise la charge de l'exorciste 1683 . De plus, L'exorciste représenté avec le livre ouvert se rencontre bien avant le XVe siècle. Dans le sacramentaire de Drogon (IXe siècle), qui représente saint Arnoul de Metz (planche 28) et dans la Bible Moralisée du XIIIe siècle (planche 61), l'exorciste fait face au possédé, le livre ouvert à la main. C'est au XVe siècle que cette convention semble se généraliser.
En effet, dans les siècles qui précèdent, les saints font des exorcismes avec divers objets qui sont autant d'armes. Le combat contre le diable a lieu la crosse à la main : c'est le cas de saint Aubin d'Angers (planche 29), saint Adalbert de Prague sur la porte de bronze de l'église saint Wojciech de Gniezno (planche 25), saint Basile de Capadocce dans un Passionnal du XIIe siècle (planche 30) et saint Léon IX, dans le Passionnaire de Weissenau (planche 48). Parfois, la crosse devient une arme qui transperce le diable. C'est ainsi que sont représentés les exorcismes de saint Emile de la Cogolla (planche 36), saint Achard, abbé de Jumièges transperce le diable de sa crosse dans un missel du XIIIe siècle (planche 24). Saint Guthlac est le seul à utiliser sa ceinture (planche 46).
La suprématie du livre s'impose donc au XVe siècle. Elle signifie le triomphe de la parole liturgique sur toute autre forme d'action, en particulier charismatique. Désormais, dans les représentations comme dans les faits, l'exorcisme est liturgique plus que charismatique.
Ce manuscrit du XVe siècle mérite à lui seul une étude particulière. Il comporte trois parties. La première partie commence par des prières, l'invocation de saint Ciprien contre les démons, les psaumes XXV, LI, LIII, LVII, une oraison Ego Ciprianus servus servorum domini nostri Iesu Christi, providi…Au folio 14, apparaissent les exorcismes du feu, de l'huile et du sel. Au folio 19, est présentée la litanie de tous les saints puis au folio 28 les questions posées au diable. La deuxième partie commence au folio 37 par une invitation à la confession : Confessio fienda antequem magister ad demoniacum, si erit necessaria…Au folio 63 figurent des recettes pharmaceutiques. La troisième partie présente l'exorcisme de saint Zénon de Vérone, à partir du folio 64. Le sujet de cette thèse doit beaucoup à la découverte de ce manuscrit en 1992 à l'occasion de la recherche sur les représentations du diable aux XVe et XVIe siècles, il fera peut-être l'objet d'une autre recherche portant, cette fois-ci, sur l'exorcisme au XVe siècle.
N. Caciola, Discerning spirits, op. cit., p. 237.
Voir Bibliotheca magica dalle opere a stampa della Biblioteca Casanatense di Roma (XVe-XVIIIe s), fig 322.
E. Antoine, "Images de miracles, le témoignage des ex-voto peints en Italie centrale (XIVe-XVIe siècles)" dans D. Aigle, Miracle et Karama, hagiographies médiévales comparées, bibliothèque de l'Ecole des Hautes Etudes, Brepols.
Voir le chapitre III et les planches 59 à 61.