- Contenu des nouveaux manuels

Les rituels d'exorcisme du XVe siècle reprennent les anciens formulaires transmis dans les livres liturgiques depuis le VIIIe siècle et n'innovent pas beaucoup par rapport aux premiers manuels. Une recherche systématique est à mener à ce sujet qui a été laissé de côté par Nancy Caciola 1684 . En effet, l'exorcisme liturgique, avant le XVe siècle, ne se résume pas aux exorcismes de l'eau et du sel ni à l'exorcisme baptismal, il est un complexe mélange entre plusieurs types de formulaires qui ont des sens différents et qui sont remployés dans le cadre de l'exorcisme des possédés, comme nous avons tenté de le démontrer dans les pages qui précèdent.

Le principal apport des rituels d'exorcisme réside moins dans les formulaires des prières elles-mêmes que dans les didascalies qui les accompagnent. Quelles sont les dispositions d'esprit dans lesquelles l'exorciste doit se trouver, comment "tester" la possession d'une personne : mettre une pyxide sur sa tête, et lui demander s'il reconnaît ce qui s'y trouve 1685 ; s'adresser au démon dans sa propre langue par un message inscrit sur un morceau de papier et, en fonction de sa réaction, interpréter son état 1686 . Il convient d'insister aussi sur l'apparition de véritables ordines d'exorcisme dans ces livres, comme le manuscrit de Munich Clm 10085 l'a montré. C'est vers l'étude de ces constructions liturgiques et de leurs variantes qu'il convient d'orienter l'histoire de l'exorcisme au XVe siècle.

Comme le souligne Nancy Caciola, l'emploi du langage diabolique est contrôlé par l'exorciste, il le domine en le prononçant et en l'écrivant sur un morceau de papier. Il ne s'agit pas d'une invocation magique mais d'une appropriation de ce langage pour mieux contrôler le diable. Après l'identification de la possession, l'appel au diable, une série de questions 1687 lui sont posées sur son identité, son rang, son nom 1688 . Certains interrogatoires dépassent largement la simple identification du démon puisqu'ils servent à connaître l'au-delà et font appel au savoir prophétique des démons 1689 . Mais tout cela n'est pas une nouveauté, le manuscrit de Dendermonde du XIIe siècle et les exempla du XIIIe siècle nous ont déjà montré combien les savoirs des démons sont mis à contribution à l'occasion des exorcismes.

Peu à peu, se met en place ce que la liturgie catholique intègre dans le Pontificale Romanum. Cette liturgie est élaguée pour en venir à l'essentiel 1690 . Le très prolixe Rituale du cardinal Santori en 1584, qui est davantage à l'image des rituels d'exorcisme eux-mêmes, n'a pas été publié 1691 . En un siècle, du XVe au XVIe siècle 1692 , la liturgie de l'exorcisme d'Occident est fixée sans connaître de grande modification.

Au XVe siècle commence alors une autre histoire qui se prolonge aux XVIe et XVIIe sècles avec les grandes périodes de persécution contre les sorcières et les épidémies de possession 1693 .

Notes
1684.

L'approche de la liturgie par Nancy Caciola est parfois trop rapide, elle utilise le manuscrit de la bibliothèque Vaticane Vat. Lat 7701 sans le définir ni indiquer que les formulaires qu'il contient sont entièrement dépendants des sacramentaires du VIIIe siècle, voir Discerning spirits, op. cit., p. 237.

1685.

"Incipit expulsiones dyabulorum, et cetera. Statim cum obsessus venerit ad ecclesiam, corpus Domini ponatur, cum pixide, furtive super caput ipsius. Et si de hoc commovebitur, vel dicet se dolere, tunc interrogas eum quid habeat super caput. Si tunc dicet tibi veritatem, de corpore Domini, noveris [sic] eum obsessum esse ; vel si sic non poteris considerare, dic hunc versum obsesso in aurem sinistram occulte : Deum, qui te genuit, dereliquisti, et oblitus es Domini creatoris tui. Si ex hoc in furore capitur, tunc est obsessus" BAV ms Pal lat 794, fol. 68r ; N. Caciola, Discerning spirits, op. cit., p. 244, n. 54

1686.

"Si vis scire utrum homo sit obsessus an non, scribe ista versa in una carta vel littera : AGLA * LAY * ELEYTH * et illos quatuor versus que vocantur versus dyaboli quia per se fecit illos versus : Omimara chentazirim post hossita lossita lux Ebulus lepolpes mala raphamius allilous Helmo starius sed poli polisque Lux capit horrontis latet vertice montis.Dissen prieff solman in sein hand lege. Recipit autem in manu, tunc non est obsessus, si autem non, tunc est obsessus" , BSB, Clm 23325, fol. 32v, et une inscription proche dans BAV ms. Pal. Lat. 794, fol. 83v, N. Caciola, Discerning spirits, op. cit., p. 245, n. 58. L'auteur ajoute que le manuscrit comporte un morceau de papier avec la même inscription. Une "carta" à poser sur la tête du possédé est évoquée dans le BSG ms. lat. 1352, fol. 51.

1687.

"hic exorcista debet interrogare demon" BSG ms. lat. 1352.

1688.

Le nom du démon s'avère essentiel dans les exorcismes du XVe siècle, précisément identifié/baptisé au cours de l'exorcisme il est mieux vaincu. Voir l'exemple donné par P. Paravy du noble grenoblois Pierre Argentorix qui amène sa femme à Notre-Dame de Lorette en 1489, les démons prennent la fuite en clamant leur nom et leurs crimes qui vont du massacre des Innocent au meurtre de Jean sans Peur, P. Paravy, De la chrétienté romaine à la réforme en Dauphiné, op. cit., p. 675.

1689.

Un interrogatoire du démon particulièrement développé se trouve aussi dans le Livre d'Egidius, bibliothèque Mazarine, ms lat 1337, fol. 90r-v., voir J. Delumeau, La peur en Occident (XIVe-XVIIIe siècle), Paris, Fayard, 1978, p. 329-330.

1690.

Le Sacerdotale de Castellanus est imprimé pour la première fois à Venise en 1523, les exorcismes figurent à la fin, fol. 344-363.

1691.

Le Rituale du cardinal Santori qui n'a pas été publié mais il figure sous une forme manuscrite à la bibliothèque Vaticane ms. Vat. lat. 6116. Il consacre les 140 derniers folios sur 640 aux formulaires d'exorcisme, voir B. Lowenber, Das Rituale des Kardinals Sanctorius, 1938.

1692.

Le XVIe siècle voit se développer en parallèle avec les rituels d'exorcisme proprement dits un "art d'exorciser", voir Buonaventura Farinerio, Exorcismo mirabile da disfare ogni sorte de malefici et da cacciare i demoni (Venice, 1567) ; Girolamo Menghi, Compendio dell'arte essorcistica (Bologna, 1584) ; Flagellum demonum (Bologna, 1644). Sur ces auteurs, voir G. Volpato, "Girolamo Menghi o l'arte esorcistica", Lares 57, 3 (1991), p. 381-397 ; G. Romeo, Inquisitori, esorcisti, e streghe nell Italia della Controriforma, Florence, 1990 ; A. Maggi, Satan's Rhetoric: A Study of Renaissance Demonology, Chicago, 2001.

1693.

Le sujet des liens entre sorcellerie, magie et possession est immense et mérite une étude à lui seul, voir néanmoins : M. de certeau, La possession de Loudun, Paris, Julliard, 1970 ; R. Mandrou, Possession et sorcellerie au XVIIe siècle, Paris, Fayard, 1979 ; M. Ostorero, A. Paravicini Bagliani,K. Utz Tremp, L'imaginaire du sabbat : Edition critique des textes les plus anciens (1430-1440), Lausanne, 1999 ; M. Bailey, "From Sorcery to witchcraft : Clerical Conceptions of Magic in the Later Middle Ages", Speculum, 76, 4 (2001), p. 960-990 et du même, Battling Demons : Witchkraft, Heresy and Reform in the Late Middle Ages, University Park, 2003.