IV – Le matériau de recherche :

Comme il a déjà été dit, la base principale du matériau de recherche provient du fonds d'archives du SSAE. Ce fonds en cours d'inventaire et de cotation s'est constitué dès la création de l'Association. Dès les origines, les distances géographiques entre les bureaux et la rigueur toute anglo-saxonne de l'organisation du Service ont produit une abondante et méticuleuse correspondance, tant sur la description des activités réalisées que sur les démarches entreprises. Dès les années vingt, un système de recueil statistique du nombre de personnes reçues, de leur nationalité et de la nature des questions et problèmes traités a permis d'accumuler des informations sur l'évolution quantitative et qualitative de l'activité. Il convient néanmoins de lire ces données avec beaucoup de précautions car aucune consigne écrite ne garantit que le comptage ait bénéficié de toute la rigueur requise dans l'ensemble des bureaux concernés. C'est ainsi qu'à l'occasion de certains changements de direction, comme ce fut le cas à MARSEILLE en 1942, un nouveau décompte amènera la fermeture de centaines de dossiers rendant ainsi caduques toutes les statistiques établies auparavant.

Au fil du temps, la construction des archives a reposé sur une mobilisation importante du secrétariat. Dès leur réception par un bureau, chaque circulaire ou courrier, de quelque nature qu'il soit, est dactylographié en un ou plusieurs exemplaires. Il en va de même pour les courriers expédiés. Avec ce système d'organisation, les textes officiels sont reproduits en autant d'exemplaires nécessaires à leur conservation et à leur expédition aux autres bureaux devant en prendre connaissance. Malgré des disparitions et destructions de dossiers, ce système permet souvent de retrouver au moins un exemplaire du document initialement adressé. Il n'est pas non plus sans aléas. En effet, la retranscription peut entraîner des erreurs, notamment en ce qui concerne les dates, et nécessite d'utiles vérifications auprès des textes originaux. Les règles de fonctionnement internes au Service obligent aussi à l'élaboration de petites notes retraçant les démarches, comptes-rendus de visites ou d'entretiens téléphoniques. Ces notes intitulées, encore aujourd'hui, « feuilles roses » – car conservées sur papier pelure de cette couleur – constituent d'intéressants aides mémoires dans lesquels les auteurs n'hésitent pas à retracer leurs états d'âme et leurs interrogations, leur ajoutant ainsi une touche plus personnelle et moins administrative. Toutefois, l'épanchement de la sensibilité a des limites et leur lecture fait souvent ressentir la retenue et la prudence des protagonistes ; ces précautions iront d’ailleurs en s'accentuant au fur et à mesure de l'avancée des craintes de dénonciation 7 .

bien évidemment, il n'existe aucune trace des activités non légales qui ont été menées par une partie du personnel au sein du Service. De plus, les documents ont subi de multiples dommages au fil des événements : destruction d'un certain nombre de dossiers par le personnel de MARSEILLE à la fin de la guerre par craintes de représailles ; destruction par la Gestapo et la Milice de fichiers et de dossiers au moment des arrestations à PARIS puis à LYON en juin 1944 ; disparition de cartons au moment des déménagements successifs ou dégâts des eaux les rendant impropres à toute utilisation… Toutes ces péripéties font que certaines périodes sont particulièrement « squelettiques » alors que d'autres – qui ne sont pas obligatoirement les plus riches en évènements – sont, elles, beaucoup plus riches en papier et en dossiers. Néanmoins, les éléments conservés jusqu'à aujourd'hui sont loin d'être négligeables et constituent un ensemble appréciable, et non entièrement exploité, d'une mémoire associative ancienne de près de 80 ans.

Les archives du Service ont donc été privilégiées aux témoignages et cela essentiellement pour une raison de faisabilité. Beaucoup de témoins directs de la période de création de l'Association et de celle de l'Occupation ne sont plus là pour apporter leur éclairage et leur vision des événements. Ensuite, certains de ces témoins, encore accessibles, n'ont pas souhaité revenir sur une période jugée trop « grise ». Cet obstacle a pu être compensé, de façon parfois toute relative, par un certain nombre d'écrits rédigés par des salariées en exercice dans la période étudiée, écrits non plus « fonctionnels » mais véritablement « témoins ». C'est le cas notamment pour « les évènements de l'été 44 », c'est-à-dire l'arrestation de l'ensemble du personnel à LYON, avec la reconstitution du déroulement de leur arrestation par les secrétaires et assistantes sociales, et de leur incarcération à la prison de Montluc 8 .

C'est donc essentiellement sur une mémoire « officielle » que le travail de recherche s'est basé, tentant de confronter les allégations et déclarations avec les témoignages conservés d'autres acteurs de l'époque. On pourra, à bon droit, faire reproche à cette démarche d'avoir essentiellement privilégié une seule source d'informations à partir de l'exploitation d'une partie des archives du Service. Néanmoins, des liens et recoupements ont été opérés avec d'autres sources : pour l'essentiel, les archives du ministère des Affaires Étrangères (MAE) et celles contenues dans le fonds si riche du Centre de Documentation Juive Contemporaine (CDJC) pour ce qui concerne tous les aspects relatifs à l'internement et à la persécution, de même que l'activité des organisations d'assistance – au-delà des seules œuvres israélites. Tout ce qui a trait à l'histoire du travail social a été puisé dans l'abondante documentation conservée au Centre d'Études, de Documentation, d'Information et d'Action Sociales (CEDIAS), digne héritier du Musée Social.

Comme on l’a déjà indiqué, les conditions de réalisation de la recherche – le fait qu'elle soit menée en sus d'une activité salariée fort prenante – ont limité les possibilités d'approfondir certains aspects. Ainsi, la consultation d’un plus grand nombre de fonds d'archives départementales, notamment au sujet des comités de main-d’œuvre étrangère, aurait utilement complété les éléments d'informations sur le fonctionnement et l'activité du Service. Toute recherche a ses limites et bien des espaces restent à explorer et à approfondir lorsqu'un point final y est mis, point final qui n’est donc qu’un point de suspension.

Notes
7.

Ainsi, dans la plupart des notes et correspondances concernant des rendez-vous avec des personnes extérieures au Service, il est d'usage fréquent de ne désigner les interlocuteurs que par une initiale.

8.

On trouvera les pièces les plus significatives en annexe.