Première partie : A l'aube du XXe siècle, la naissance d'une association : origines et évolution. 1900–1939

Chapitre 1: « Welcome to america ! »

I – De l’Est à l’Ouest : vers le rêve américain.

Véritable phénomène de masse, l’émigration économique au XIXe siècle s’accélère à partir de 1840 et atteint son plus haut niveau à la veille de la Première Guerre mondiale. 35 à 40 millions de migrants se rendent aux États-Unis entre 1820 et 1924, et le début du XXe siècle marque l’apogée de cette déferlante puisque, dans la première décennie, ce sont près de 9 millions de nouveaux immigrants légaux qui traversent l’océan 9 . La plupart d’entre eux arrivent à New York, ou plutôt à cette sorte de gare de triage installée à Ellis Island, tête de pont qu’il faut franchir victorieusement avant de pouvoir prétendre à une entrée définitive sur le sol américain.

Depuis la fondation de la Virginie, première colonie britannique en 1607, le continent américain accueille par vagues successives une colonisation de peuplement. Après une politique largement favorable à une naturalisation facile voire quasi automatique, à la fin du XVIIème siècle s’instaurent des mesures restrictives quant à l’acquisition de cette nationalité américaine. Elles visent la mise en place d’un contrôle plus strict des qualités des futurs ressortissants. Ainsi, par l’Alien and Sedition Act (1798), le Président des États-Unis peut déporter les étrangers soupçonnés d’activités séditieuses. De même, la durée de résidence exigée pour pouvoir prétendre à la naturalisation passe de 5 à 14 ans. Au début du XIXe siècle, les candidats à la nationalité doivent justifier de leur honnêteté et prêter serment à la Constitution (Naturalization Act, 1902) 10 .

L’apparition des premières compagnies de navigation transocéaniques, au milieu du XIXe siècle, accentue plus encore le mouvement migratoire vers le continent américain. Dans une première période, les immigrants viennent essentiellement du Royaume-Uni (dont fait partie l’Irlande) et d’Allemagne. Cette immigration de peuplement ne connaît que quelques pauses réduites lors de phases de récession économique provoquant une fermeture relative, car temporaire, aux flux européens. Mais, à partir de 1880, les territoires d’origine se modifient de façon substantielle. De « nouveaux » immigrants, provenant essentiellement de l’Europe de l’Est (Juifs de Pologne et de Russie) et du Sud (Italiens, Grecs…), représentent une part de plus en plus importante dans une émigration qui atteint son apogée avec le chiffre de 1.285.000 personnes traversant l’océan en 1907 11 . À la conquête de nouveaux territoires, à la recherche de la fortune, s’ajoute la quête de la sécurité et de la liberté pour des millions d’individus. Au mythe du pionnier et du chercheur d’or, à la légende des villes pavées d’or, se superpose la silhouette emblématique de la Statue de la Liberté ouvrant le chemin d’une nouvelle vie. La misère économique, la fuite des persécutions et des pogromes perpétrés dans l’Empire russe à l’encontre des communautés juives viennent grossir des contingents toujours plus nombreux à vouloir émigrer.

Cette modification dans la nature et la composition des populations candidates à l’entrée sur le territoire américain n’est pas sans incidences. Et, peu à peu, l’horizon indépassable du Far West devient une frontière de plus en plus tangible. La liberté de l’immigration, qui faisait partie d’une certaine manière de la définition constitutive du pays, se trouve contestée par la montée irrésistible de la suspicion puis de la crainte provoquée par ce qui est vécu comme une menace grandissante et qu’il convient de juguler.

Notes
9.

L’ensemble des chiffres relatifs aux flux migratoires transocéaniques est tiré de Gérard CHALIAND, Michel JAN et Jean-Pierre RAGEAU, Atlas des Migrations, Seuil, 1994.

10.

Dominique DANIEL et Bénédicte DESCHAMPS, L’Immigration aux États-Unis de 1607 à nos jours, Ellipses, 1998.

11.

En 1901, près de deux millions de ressortissants d’Autriche-Hongrie franchissent l’Océan ainsi que deux millions d’Italiens. Quant aux Russes, ils sont près de 1,6 million pour cette même année.