2. Une association au service de tous les étrangers ?

La parution de cet arrêté est à situer dans la progression constante de la place et du rôle joués par le SSAE dans la protection des femmes étrangères. Remontons pour cela plus de dix ans en arrière. L’arrêté de 28 décembre 1928 prévoit que :

‘« lorsque l’effectif de main-d’œuvre féminine étrangère utilisée dans un département en agriculture était suffisamment important, il pouvait être créé sous la présidence du Préfet et sous l’autorité du ministère de l’Agriculture, un comité départemental d’aide et de protection des femmes immigrantes ». ’

Ce comité se charge de l’aide morale, et éventuellement matérielle, à apporter à ces femmes. Cette préoccupation de protection et de soutien trouve son origine dans les critiques formulées par les pays d’émigration à propos des conditions de vie et de travail de leurs ressortissantes en France. La délégation polonaise est particulièrement attentive au sort des ouvrières agricoles qui se présentent en masse dans les centres de recrutement. Plusieurs aspects la préoccupent : l’adéquation de la nature des travaux demandés sur place dans les exploitations françaises avec le contrat initial, les conditions de logement souvent désastreuses et, enfin, le problème de l’isolement. La publication de l’arrêté, en fin d’année 1928, est la réponse des autorités françaises aux fréquentes interpellations de la délégation polonaise. Celle-ci menace de contingenter les départs des ouvrières si un certain nombre de garanties ne peuvent être obtenues sur les conditions générales d’existence de leurs ressortissantes. Toutefois, la parution de l’arrêté ne représente qu’une avancée partielle car la création des comités de protection tant réclamés par les autorités polonaises tarde à se faire. Prenant acte du peu d’empressement des autorités françaises, les représentants polonais accentuent la pression 202 . En 1930, des limitations dans le recrutement sont prévues 203 puis c’est l’arrêt de toute autorisation de départ pour les ouvrières agricoles, quel que soit leur âge. Cet embargo total est le facteur décisif qui pousse le ministère de l’Agriculture à mettre enfin en application ses engagements protocolaires. Il est décidé de nommer des inspectrices rattachées aux comités départementaux dans dix-huit départements. L’OCMOA sollicite alors le SSAE pour trouver des travailleuses sociales parlant polonais 204 afin de remplir ces fonctions.

L’intervention du SSAE ne s’arrête pas là. Dès 1931, Lucie CHEVALLEY propose dans le cadre de la Commission Nationale d’assistance aux migrants, de regrouper les inspectrices départementales recrutées, afin d'assurer une formation et d'organiser une rencontre annuelle avec les services ministériels. Les conférences sont programmées, dès 1931, pour des sessions de deux à trois jours. S’y succèdent les interventions de juristes 205 , de magistrats ou de médecins, ainsi que des séances de travail sur des techniques de classement, d’enquêtes, etc. En général, la session est clôturée par des représentants du Service de la Main d’œuvre Agricole. À titre d’exemple, les thèmes de la première conférence étaient les suivants :

  • Qu'est ce que le Service social ? Par l'Abbé VIOLLET
  • Conditions d'admission, de séjour et de travail d'un ouvrier étranger.
  • Étude comparative des traités d'immigration.
  • Interprétation des contrats de travail.
  • Les lois françaises d'assistance et de prévoyance sociale et leur application aux travailleurs agricoles étrangers.

S’agissant des comités, si leur existence formelle est réelle puisque près d’une douzaine sont constitués dès 1929 206 , l’intensité de leur fonctionnement varie d’un département à l’autre. Ils sont composés de bénévoles et leurs subventions proviennent principalement des Conseils généraux. L’obligation d’embaucher des inspectrices qu’il faut rattacher, sans les y assujettir, à cette instance, leur donne une dimension nouvelle. Le premier arrêté de 1928 est remplacé par celui du 25 mai 1933. Sa publication est l’occasion pour le ministère de l’Agriculture de procéder à un examen du fonctionnement de l’ensemble des comités et d’étudier les modifications qu’il serait bon d’envisager 207 . Le ministère déplore un fonctionnement trop diversifié selon les situations locales, ainsi que l’insuffisance des liaisons entre les inspectrices, les Comités et les services de la MOA 208 . Le nouvel arrêté, s’il reprend in extenso les buts premiers assignés aux comités 209 , précise certains aspects liés au statut des inspectrices. Ainsi, leur traitement est bien prélevé sur le budget du Comité mais il est versé par l’intermédiaire de la Préfecture. Le ministère espère ainsi éviter la subordination franche ou induite par un traitement direct, du fait notamment de la présence d’organisations privées au sein du Comité. Les séances du Comité doivent, d’après les textes, avoir lieu tous les semestres et les inspectrices y ont voix consultative.

‘« Les inspectrices ne sont pas des fonctionnaires, mais elles sont à la fois presque des fonctionnaires et au surplus des travailleuses sociales. Elles doivent éviter de bousculer les règles administratives et intervenir avec tact et impartialité sous peine de créer des difficultés, dont elles seraient les premières à subir les conséquences. » 210

Voici en termes choisis toute l’ambiguïté d’un statut dont la définition va se retrouver régulièrement au centre des discussions entre les inspectrices et les représentants du ministère. La fonction de l’inspectrice relève de l’autorité publique elle-même liée par les engagements pris avec les pays d’émigration. Mais elle ne possède pas les missions et les prérogatives relevant de l’Inspection du travail, même si les buts de protection et de contrôle peuvent être considérés comme similaires 211 . Elle doit se révéler capable d’assurer plus que le respect des lois, leur connaissance, le respect du contrat entre l’employeur et l’ouvrière sans capacité de sanctions, et surtout s’intéresser au contexte « moral et matériel » de l’ouvrière.

Les comptes rendus des conférences permettent d’appréhender la nature des difficultés traitées par les inspectrices, sans toutefois permettre de savoir comment, par exemple, les interventions auprès des employeurs indélicats se déroulaient concrètement et quels étaient les résultats des négociations engagées. En fait, dans les préoccupations rapportées par les inspectrices au cours de ces rencontres, apparaissent le plus souvent celles d’un travail social auprès des ouvrières, concernant leur état de santé ou les incidents de vie en général. Parmi ces observations, certains éléments reviennent de façon régulière. Ainsi, les défaillances persistantes des méthodes de recrutement dans le pays d’origine sont soulignées. Les inspectrices souhaitent que les jeunes filles mineures ou de santé délicate soient découragées d'émigrer en France, de même que les femmes enceintes ou les femmes de plus de quarante ans, ainsi que les « faibles d’esprit ». Pour toutes ces catégories, une plus grande rigueur dans les critères de sélection devrait éviter des expériences qui, bien souvent, se soldent par des échecs. La rapidité du « tri » et l’absence d’attention portée au recrutement, notamment dans le secteur agricole, sont particulièrement marquées dans les années vingt, au moment d’une forte demande d’émigration dans ce domaine 212 . De même, les inspectrices observent que les femmes mariées, qui ont laissé conjoint et enfants au pays, ne s’adaptent que très difficilement 213 . Elles signalent, en outre, des problèmes de neurasthénie, voire des troubles mentaux, nécessitant parfois des rapatriements 214 . Ces troubles adaptatifs sont liés aux conditions de logement, souvent plus défavorables que dans leur campagne de provenance. Il faut sans cesse rappeler aux employeurs que les ouvriers ne doivent pas loger avec les animaux, mais dans des locaux chauffés et aérés et possédant un minimum de confort et d’hygiène. On note aussi le poids de l’isolement, ainsi que la chaleur toute relative de l’accueil qui leur est ménagé dans les exploitations où elles travaillent 215 .

Le souci majeur reste néanmoins les maternités illégitimes – souci qui occupe une grande part de l’activité. Le drame est encore plus criant lorsqu’il s’agit de femmes ayant laissé leur famille au pays d’origine. Les abandons à la naissance sont pourtant peu nombreux 216 , mais sans que plus de précisions ne soient données. Dans beaucoup de départements, les œuvres de protection de l’enfance s’occupent indifféremment de l’accueil des enfants étrangers ou français. Pour les orphelinats récalcitrants, les inspectrices utilisent comme argument les effets de la loi du 14 août 1927 sur la nationalité permettant de considérer l'enfant comme français a priori 217 .

L’action menée par les inspectrices se définit dans un premier temps comme une action sociale, au sens d’une protection qui reste dans le domaine d’une solidarité incluant une surveillance morale. Jusqu’en 1935, les inspectrices seront maintenues dans ce rôle. La plupart du temps, elles se rendent dans les exploitations agricoles. Leur action consiste en des rappels à l'ordre concernant la réglementation ou les termes du contrat ; elles aident l’ouvrière à faire valoir ses revendications et ses droits mais elles n’ont, en général, qu’une capacité d’action limitée pour régler les litiges ou exercer des arbitrages.

Ce n'est que lorsque le SMOA relèvera de la responsabilité du ministère du Travail que leur champ d’intervention se modifiera. Les inspectrices seront alors nommées par le Préfet, après approbation du ministère. « Du fait de ces nouvelles circonstances », M. BECKERICH, chef adjoint du Service central de la Main d’œuvre, les mobilise pour contribuer à la réadaptation dans l’agriculture des ouvriers du secteur industriel pour lesquels un refus de renouvellement de carte de séjour est probable et qui pourraient être réorientés vers les activités agricoles 218 . Malgré la crise, les besoins en main-d’œuvre agricole sont si criants que des projets tels que celui de la reprise par des étrangers de métairies laissées vacantes sont sérieusement envisagés, en particulier dans le Sud-Ouest.

Un nouvel arrêté, en date du 9 avril 1937, confirme le maintien des Comités départementaux et officialise les postes d’inspectrices chargées de l’assistance aux jeunes étrangères employées dans l’agriculture. Les Préfets sont sollicités par circulaire afin d’intervenir auprès des Conseils généraux et des Chambres d’agriculture en vue de subventionner les Comités dont le renforcement et l’extension sont souhaités.

Les compétences des inspectrices restent de l’ordre de l’assistance sociale et de l’interprétariat. S'y ajoute l’attention à l’abondante législation en matière de droit du travail, qui fait suite aux grèves de juin 1936 et aux accords de Matignon. Bien que le secteur agricole reste encore à l’écart de certaines dispositions – contrats collectifs, semaine de 40 heures, relèvement des salaires – d’autres doivent s’appliquer. C’est le cas des congés payés définis pour l’agriculture par le décret du 25 septembre 1936 219 . Les représentants du ministère attirent l’attention des inspectrices sur cette disposition – bien évidemment pour s’assurer de son application mais surtout pour s’inquiéter de la manière dont les jeunes ouvrières vont bien pouvoir remplir ce temps brutalement libéré :

‘« En effet, comment ces jeunes femmes qui n’ont ici ni amis ni famille vont-elles occuper leurs loisirs ? Il y aurait lieu de prévoir pour elles, dans la ville la plus proche, un mode d’hébergement économique et sûr au point de vue moral ; on pourrait même prévoir quelques occupations instructives. » 220

À partir de 1936, le mouvement d’introduction des ouvriers agricoles étrangers repart à la hausse, avec une nette progression pour les années 1937 et 1938 221 . Les contrats nominatifs qui, peu à peu, s’étaient généralisés pour les Polonaises tendent à régresser du fait d’un vaste mouvement de fraude organisée 222 . Les contrats collectifs sont toujours majoritaires pour les Tchécoslovaques et les Yougoslaves. Engagées dans « l’œuvre » de réadaptation des ouvriers industriels étrangers et de leurs familles dans le monde agricole, les inspectrices élargissent progressivement leur intervention à l’ensemble des groupes familiaux et aux travailleurs des deux secteurs – industriel et agricole. Le 7 avril 1939, un arrêté institue :

‘« dans les départements utilisant de la main-d’œuvre étrangère, industrielle et agricole, dans une assez forte proportion, des Comités qui seront appelés Comité de service social de la Main d’œuvre étrangère ». ’

Pour organiser ce service, le ministère fait appel au SSAE.

Si elle engage une volonté publique d’améliorer « la stabilisation et l’assimilation » des ouvriers étrangers et leurs familles, la mise en place des comités SSMOE comporte aussi un volet dont le but est de faciliter « l’organisation du rapatriement humain et efficace des étrangers qui ne peuvent ni ne doivent rester sur le sol français » 223 . Depuis 1931, l’organisation du rapatriements de la main-d’œuvre considérée comme surnuméraire pour cause de chômage est à l’ordre du jour. Les pouvoirs publics oscillent entre une relativisation de la crise – une embellie soudaine pourrait réactiver des besoins en main-d’œuvre – et un durcissement progressif des mesures visant tant l’introduction que le maintien des immigrés. Si les restrictions et le contingentement des arrivées sont sensibles dès le début de l’année 1932, ces mesures ne prennent pas en compte la question des étrangers installés depuis plusieurs années et qui se trouvent sans emploi et sans grand espoir d’en débusquer un nouveau. Comme pour les ouvriers nationaux, les tentatives de réadaptation « de la ville aux champs » ne sont guère couronnées de succès. Beaucoup sont alors réduits à la misère et se résignent à un retour dans leur pays. Pour ce retour, les étrangers s’appuient sur leurs organisations nationales présentes en France. Ils peuvent bénéficier d’aides financières du ministère ou solliciter des associations comme le SSAE. Celui-ci refuse de s’engager dans la politique des rapatriements forcés – expulsion, refoulement, déportation – mais accepte en revanche d’accompagner les rapatriements « volontaires ou facilités » : « volontaires » même si l’on n’a guère d’illusion sur la liberté du migrant dans un choix qu’il doit du moins pouvoir exprimer « comme une décision assumée » ; « facilités » au sens où tout départ, surtout de cette nature, nécessite certains préparatifs, des conseils et des ressources pour assurer le voyage. Le Service propose une aide dans tous ces domaines et prépare la réadaptation dans le pays d’origine. L’intervention s’effectue alors dans le cadre du réseau de l’IMS, en sollicitant des contacts et des enquêtes sur la situation sociale et familiale qui attend le rapatrié et, éventuellement, sa famille au pays. S’assurer des conditions générales du retour permet d’humaniser un peu une démarche qui n’est pas toujours bien supportée, ni par les intéressés ni par les assistantes sociales du service. Il faut donner des informations sur les démarches à effectuer, solliciter le correspondant dans le pays d’origine, s’assurer de la prise en charge financière du voyage et des conditions de réception, voire de prise en charge, une fois arrivé à destination.

Tout au long des années trente, les chiffres fournis dans les rapports d’activité, pour le bureau de PARIS, indiquent une importance croissante du nombre de dossiers traités. On peut néanmoins remarquer le faible nombre de cas en comparaison avec l'ensemble de la population étrangère 224 .

Tableau N° 3 : Nombre de dossiers de rapatriements traités
Année 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 1939
Dossiers 16 39 71 88 91 78 145 270

Pour l'année 1932, sur l'ensemble de l'activité du SSAE de PARIS, les rapatriements et « réémigrations » (sic) représentent 3% de l'ensemble des dossiers. Ils seront à hauteur de 4,5% en 1934 et de 7% en 1936. Pour l'IMS, l'activité concernant les rapatriements est loin de tenir une place essentielle, mais elle ne cesse de progresser dans la plupart des pays. Elle dépasse les 10% de l'activité générale en France pour atteindre respectivement 13% et 15% pour les branches allemande et italienne 225 .

En règle générale, ce sont essentiellement les personnes malades et les indigents qui sont adressés au Service ou qui sollicitent un tel retour. Le SSAE se mobilise aussi régulièrement pour des orphelins. La plupart du temps, les malades sont signalés par les hôpitaux. Si bien que, dès 1926, l’Assistance Publique décide de passer une sorte de contrat avec le SSAE. Contre l’assurance de la préparation et de la mise en œuvre du rapatriement par le service social, l’Assistance Publique assume tout ou partie des frais. Mais, peu à peu, ce sont les indigents qui deviennent les solliciteurs réguliers. La crise économique et le chômage frappent très durement les travailleurs étrangers, auxquels l’accès aux secours et autres allocations est plus difficile qu’aux nationaux. Leurs ressources financières s'en trouvent encore plus fragilisées.

Pour les rapatriements comme pour la main-d’œuvre étrangère, l’assistance proposée par le SSAE concerne majoritairement les ressortissants polonais. La branche polonaise appartenant à l’IMS est l’une des premières à devenir une auxiliaire régulière et subventionnée du Gouvernement de son pays. Œuvre privée, elle est sollicitée pour mener ou demander toute enquête auprès de ressortissants tant en Pologne qu’en France. Les autorités polonaises, soucieuses de conserver la maîtrise du sort de leurs compatriotes émigrants, s’appuient sur toute organisation susceptible d'aider ces derniers à maintenir le lien avec leur patrie d’origine. Église catholique, œuvres caritatives, services de tous ordres sont mobilisés. L’IMS, qui assure les relations entre services d’assistance français et polonais, est interpellé notamment pour des enquêtes dans les procédures de recouvrements de pension alimentaire et pour la préparation de convois d’enfants rejoignant leurs parents en France. L’accompagnement de ces convois sur le sol français et l’acheminement des enfants vers le domicile familial fait l’objet d’une coopération régulière entre les bureaux de Paris et Varsovie. La préparation des retours de rapatriés se déroule selon la même logique.

Toutefois, certaines opérations de rapatriement se déroulent dans d'autres conditions. Ainsi, le bureau de MARSEILLE relate, dans son rapport d'activité de l'année 1936, l'aide qu'il a dû apporter à la préparation du départ de près de 2.000 Arméniens repartis vers l'Arménie soviétique avec leurs chiens, leurs chats et leurs poules. Certains n'hésitent pas à embarquer aussi les chèvres et les ânes, ainsi que leurs instruments de travail. Un lopin de terre à travailler leur est promis à leur retour, promesse à laquelle ils veulent y croire envers et contre tout…

Le rapport d’activité de l’année 1934 fait apparaître que, sur 1.203 situations traitées, 14 seulement concernent des ressortissants allemands. C’est peu dire que l’Association n’est guère sollicitée ou intervient peu auprès des réfugiés allemands. La situation évolue très lentement jusqu’en 1939. L’année précédente, les Allemands ne représentent toujours que 2% des situations ayant nécessité une intervention. Comment expliquer cette situation ? En fait, on aura compris que l’activité du SSAE est intimement liée aux ressources offertes par l’IMS – comme le démontre la prise en charge importante des Polonais, conséquence des relations et de la vitalité de la branche polonaise. L’IMS possède bien une branche en Allemagne depuis 1928. Sa création avait été saluée comme un développement particulièrement appréciable pour le réseau. En effet, l’Allemagne est réputée pour son avance en matière d’organisation de services sociaux 226 et représente donc un pays de « premier choix » pour compléter l'implantation du réseau en Europe. Les statuts de l’Association, déposés en 1930, définissent son action comme relevant d’une intervention sociale dans le cadre d’une aide internationale, et s’exerçant indépendamment de toute considération politique ou confessionnelle 227 . En 1934, soit un an après l’arrivée au pouvoir des nazis, l’association change de nom et devient « Le Service Familial pour les Émigrés – Branche allemande de l’IMS ». Au bureau d’enregistrement des associations de la ville de BERLIN, est ajoutée la mention suivante : « en coopération avec les services d’assistance publique national-socialiste ». La mention peut sembler superflue, toute organisation sociale étant dans l’obligation d’intégrer l’assistance national-socialiste 228 pour être autorisée à poursuivre ses actions. Mais, ce qui est plus grave, le NSV s’octroie la présidence et la direction de l’association afin « d’exercer une certaine influence sur l’activité », tout en assurant que les principes premiers du service resteraient inchangés 229 . Malgré ces promesses, les brochures éditées à l’époque et présentant l’activité du service indiquent bien que celui-ci est reconnu et travaille avec l’ensemble des organismes d’aide sociale privés et publics ; toutefois, elles ne font plus mention de son caractère apolitique et non confessionnel. Le 1er février 1937, le Service Familial pour les Émigrés disparaît ou, plutôt, se trouve enregistré et répertorié sous le sigle NSV. Six mois après, le caractère indépendant de l’association n’est plus mentionné dans les nouveaux statuts qui se conforment « à ceux des associations dépendant de l’assistance publique national-socialiste ». De NEW YORK à PARIS, en passant par GENÈVE, la situation allemande est jugée alarmante. Un courrier officiel est adressé à la nouvelle direction, rappelant les directives et les principes du réseau et dénonçant l’incorporation de l’association dans un organisme officiel, ce qui est contraire aux statuts. Le Comité exécutif sait qu’il faut prévoir une rupture officielle de la coopération internationale avec son homologue allemand. Les branches restantes ne pourront donc plus s’appuyer sur des contacts officiels, ce qui limite les possibilités d’intervention 230 .

Il faut ajouter à cette première explication du peu d’investissement du SSAE auprès des exilés allemands que beaucoup de réfugiés se tournent vers des organisations de solidarité et d’assistance instaurées spécifiquement à leur bénéfice, en particulier pour les Juifs très nombreux qui ont fui l’Allemagne. Ce n'est qu'à la déclaration de guerre que le SSAE se trouvera sollicité. Les demandes qui lui sont alors adressées sont liées à la préparation du retour de femmes et d’enfants allemands résidant en France avant les hostilités ou à du rapatriement d’enfants français résidant en Allemagne 231 . Il en va de même pour les réfugiés espagnols : le contingentement immédiat de la fuite de milliers de femmes, d’enfants et de blessés dans des zones surveillées ou dans des camps d’internement a réduit l’irradiation géographique de ce mouvement de population. « (Les Espagnols) internés dans des camps et sans rapport avec l’extérieur, ont rarement fait appel à nous (…) Ils trouvaient une assistance matérielle auprès des œuvres pour réfugiés » 232  .

Dès la fin de l’année 1936, sur la demande du CICR, le SSAE est sollicité pour aider aux rapatriements en Espagne d’enfants évacués en France lors des combats sur le territoire espagnol. Les parents réclament leur retour au pays. Le SSAE accepte d’assurer les enquêtes nécessaires pour retrouver ces enfants et d’organiser, lorsque c’est possible, les rapatriements. Au cours d’une réunion du Comité, tenue le 8 mai 1939, la directrice Adèle de BLONAY fait état d’un contact que Lambert RIBOT, du Comité des Forges, a pris l’initiative d’établir avec elle. Celui-ci lui explique qu'il a été saisi par le Comité de Rapprochement franco-espagnol et par quelques ressortissants espagnols souhaitant que le SSAE se charge d’effectuer certains rapatriements d’enfants signalés en dehors du circuit habituel du CICR. Le Comité se prononce pour une étude sérieuse de la demande. Mais pour s’engager définitivement, le SSAE pose trois conditions qui sont les suivantes : aucune organisation politique ne doit intervenir dans ces rapatriements ; aucune personnalité espagnole nationaliste ne doit, de près ou de loin, être en lien avec le Comité de Rapprochement ; enfin, neutralité oblige, les enquêtes permettant de préparer le retour des enfants doivent être établies par des « organismes neutres » en Espagne. En formulant ces exigences – ou plutôt ces protections -, il fait en sorte que seules les situations signalées par le CICR feront l’objet d’une intervention de sa part. Lorsque pendant la guerre, en octobre 1940, le Gouvernement français sollicite l’aide du SSAE pour organiser le rapatriement collectif de l’ensemble des enfants espagnols placés encore en France, la seule réponse obtenue est que le Service se contentera de « boucler les dossiers et les situations qui sont réclamées directement par les parents ».

À MARSEILLE, le souci de neutralité est plus diversement exercé. L'aide auprès des Nationalistes est largement prodiguée, alors que, pour les Républicains, le SSAE se « contente d'aider à se procurer des autorisations provisoires de séjour » 233 . Les évacuations de femmes, d'enfants et de vieillards de MADRID vont s'accélérant. Embarqués sur un bateau hôpital anglais, plusieurs centaines d'entre eux débarquent à MARSEILLE. Le SSAE se charge de les mettre en contact avec le Service des réfugiés d'Espagne de la Préfecture, s'occupe du ravitaillement et de leur acheminement vers divers centres. Trois bateaux par semaine accostent entre fin septembre 1938 et janvier 1939, débarquant près de 8.500 réfugiés. En 1939, la Préfecture demande au bureau d'assurer une permanence dans ses locaux afin d'instruire directement les recherches de familles séparées et de s'occuper des enfants égarés. En cinq mois, 3.200 fiches de renseignements concernant des adultes sont renseignées, 137 concernent des enfants cherchant leurs parents et 247 des enfants recherchés par leurs parents. De nombreuses demandes de rapatriement sont en effet adressées d'Espagne par des parents qui souhaitent, dès la fin de la guerre civile, récupérer des enfants envoyés en France. Placés dans des familles d'accueil par divers comités « politiques », les enfants doivent être identifiés puis rassemblés par petits groupes. Ils repartent, victimes à nouveau des soubresauts de l'Histoire qui font de leur enfance un temps d'errance et d'incertitude. Les heures sombres qui s'annoncent pour le pays qui les avait accueillis, bon gré mal gré, vont contribuer à placer sur une échelle encore plus démesurée le poids des histoires individuelles broyées.

Notes
202.

Janine PONTY, Op. cit., pp. 265-266.

203.

Pas de filles de moins de 21 ans ; imposition d’un quota pour les femmes de plus de trente ans.

91 Et en général toutes les langues slaves car, avec les ouvrières polonaises, ce sont aussi les Tchécoslovaques et les Yougoslaves qui sont concernées par l'action des comités.

204.
205.

92 William OUALID est sollicité pratiquement tous les ans.

206.

Jean Charles BONNET en comptabilise quarante à l’automne 1931 (Op. cit., p. 176).

207.

Après quelques difficultés budgétaires en 1932, le financement est assuré en 1933 sur l’ensemble des départements sauf dans ceux de la Marne et de la Seine-et-Oise.

208.

Archives SSAE, Conférence annuelle des inspectrices départementales, 1,2 et 3 juin 1933.

209.

L’article 2 est identique.

210.

Archives SSAE, Conférence annuelle des inspectrices départementales, juin 1933, allocution du représentant du ministère du Travail.

211.

«L'inspection du Travail fonctionne sur deux modes bien distincts : l'incitation et la répression.» (Vincent VIET, Les Voltigeurs de la République. L'inspection du Travail en France jusqu'en 1914, CNRS Éditions Histoire 20ème siècle, 1994, Volume II, p. 435). Créée au XIXe siècle pour réagir aux abus de la révolution industrielle, l'Inspection du Travail se trouve localement sous le contrôle du Préfet et du Conseil Général qui doivent résoudre de brûlantes questions telles que celle-ci : «Les inspecteurs hommes peuvent-ils intervenir dans les ateliers féminins ? Une telle ingérence est jugée inconvenante. La femme doit s'occuper des affaires de femmes. (…) Les femmes obtiennent ainsi un droit d'inspection mais dans la logique de leur infériorité politique et sociale, elles ne pourront accéder au grade d'inspecteurs divisionnaires.» (Vincent VIET, Op. cit., Volume I, p. 79). C'est d'ailleurs durant la Première Guerre mondiale que les surintendantes d'usines, surveillantes et assistantes sociales vont connaître leur heure de gloire. Pour assurer le maintien des bonnes mœurs, l'emploi d'une sous-inspection prévaut dans la lignée des «usines couvents» créés par les patrons chrétiens pour appliquer «le ressort religieux» à l'industrie (voir Yvonne KNIEBIELHER et Christine FOUQUET, La Femme et les médecins, Hachette, 1983, p. 67).

212.

Janine PONTY souligne que, si pour les mineurs, la sélection est stricte, il en est tout autrement pour les travaux agricoles. «Les candidats sont jaugés sur des critères très vagues : le teint hâle, l'état de la paume et des doigts. Il suffit à une jeune fille de plonger ses mains dans la boue quelques instants pour être acceptée comme bonne de ferme», Op. cit., p. 75.

213.

Elles sont néanmoins partagées sur cette question ; certaines prennent en compte le fait que c’est parfois le seul moyen pour une famille de survivre.

214.

Cela représente la moitié des cas traités dans certains départements ; les privations antérieures aggravent un mauvais état de santé général. Quelques cas d’alcoolisme sont signalés.

215.

Pour Janine PONTY, les employeurs ont des besoins importants de main-d’œuvre, mais c’est à contrecœur qu’ils font appel à des ouvriers étrangers.

216.

Dans la mesure où les efforts déployés tendent à éviter l’abandon et à préparer un placement proche du lieu de travail de la mère, voire à négocier un retour de la mère et de l’enfant chez l’employeur ou même auprès du mari , nous pouvons supposer que la réalité du phénomène est sous-estimée.

217.

Tout enfant, né en France de parents étrangers domiciliés en France, peut à tout âge avant 21 ans réclamer la nationalité française. La demande peut être faite par le représentant légal avant 16 ans.

218.

Ce faisant, le représentant du ministère prend acte de l’échec des tentatives de réadaptation des ouvriers chômeurs nationaux. Archives SSAE, conférence mai 1935.

219.

Après un an de travail, l’ouvrier a droit à 15 jours de congés dont la moitié peut être fractionnée. L’époque de ces congés est fixée par le Préfet en Novembre de chaque année.

220.

Archives SSAE, intervention de M. BECKERICH, conférence des 28 et 29 mai 1937.

221.

La décrue est inégale. En 1930, on compte encore 92.828 introductions totales dont 6.318 ouvriers agricoles. Le niveau le plus bas est atteint en 1935 avec 46.517 introductions dont 3.280 ouvriers agricoles. En 1938, le nombre total d’introductions (45.904) n’atteint pas les chiffres de 1930, mais le pourcentage d’ouvriers agricoles passe de 6,6 % en 1930 à 17,7 % en 1938 avec un chiffre de 8.583. Archives SSAE, chiffres communiqués par le service de la Main d’œuvre du ministère du Travail.

222.

En Pologne, les contrats se «vendent» entre 2 et 300 zlotys.

223.

Archives SSAE, courrier en date du 12 Mai 1939, de Lucie CHEVALLEY à Alexandre PARODI reprenant les termes de l’arrêté susnommé.

224.

Sur l'ensemble de la population étrangère, les effectifs connaissent une baisse sensible puisque, en 1931, on recensait 2.890.000 étrangers et qu'en 1936, ils n'étaient plus que 2.453.000. En 1935, le nombre de «sorties» est supérieur au nombre d'entrées de travailleurs contrôlés sans que l'on puisse distinguer entre sorties volontaires et forcées. Ralph SCHOR, Histoire de l'Immigration, p. 125.

225.

Archives SSAE, rapport de Lucie CHEVALLEY, « Le rapatriement et la politique de l'IMS », 1939.

226.

Pour s'en convaincre, il suffit de suivre l'itinéraire d'Alice SALOMON (1872-1948) une des pionnières en matière de création de services sociaux et de formation au travail social. Victime de la répression nazie, elle doit abandonner la direction de l'école de service social qu'elle dirige. Après avoir tenté de résister, elle se résigne à l'exil et part aux États-Unis où elle mène une vie misérable. Voir Christine LABONTÉ-ROSET, «L'influence d'Alice SALOMON dans l'histoire du Travail Social», Vie Sociale, N°2, 2000, pp. 63-77.

227.

Principes illustrés par le titre de l’association «Aide Internationale aux Émigrés».

228.

Nationalsozialistiche Volwoklfahort (NSV). En 1936, il y a quatre organisations qui se dédient «au bien public» : le NSV qui, en sa qualité d'office du Parti, est appelé «Office central pour le Bien Public» et centralise ainsi toute l'activité sociale allemande ; la Croix-Rouge allemande ; le Comité central de le Mission intérieure de l'Église protestante allemande ; la fédération de charité catholique d'Allemagne. Dans un article préparé pour la Troisième Conférence Internationale de Service Social qui s'est tenue à LONDRES en 1936, le rôle des assistants sociaux est défini comme suit : «Les assistants sociaux, hommes et femmes, que, depuis 1934, nous désignons très justement sous le nom d'assistants et d'assistantes du Peuple, si indispensables qu'ils soient (…) ne sauraient contribuer à l'encouragement de la vie collective que s'ils agissent en collaboration étroite avec les autorités légales ou comme agents de liaison entre les autorités du canton et celles du village». Docteur WÄLHER, « La communauté – Survivances des usages et possibilités de renouvellement » in Le service social et la communauté, éditions G. Braun, Karlsruhe, 1936, p. 52.

229.

Archives SSAE, Irène STAHL, «  Évolution du Service Social International et reconstitution de la branche allemande après la Deuxième Guerre mondiale », septembre 1994, dactylographié, 20 p.

230.

Néanmoins, des liens clandestins continueront de s’établir entre Irma SCHMOLDER, assistante sociale puis vice-présidente du Service familial allemand et le siège de l’IMS à Genève. Ces contacts permettront au Secrétariat général de garder des relations non seulement avec Berlin mais aussi avec Varsovie et Prague.

231.

Voir infra pp. 177-178.

232.

Archives SSAE, rapport d’activité 1939.

233.

Archives SSAE, rapport d'activité du bureau de Marseille, 1939.