1.Un réseau mis à l'épreuve.

Nous avons vu que, dès 1934, la branche allemande, sous la pression des autorités arrivées au pouvoir, est officiellement mise en veilleuse par le bureau de l’organisation. Cette précaution permet de faire valoir, sans grande illusion d’ailleurs sur l’effet produit, une désapprobation nette à propos de l’assujettissement brutal imposé par le système nazi, ainsi que le refus d’inclure des critères discriminants dans les actions menées. Néanmoins, les contacts officieux continuent d’exister. Pour plusieurs raisons, ces contacts s’établissent exclusivement avec GENÈVE. Le choix de la cité helvétique comme siège de l’organisation internationale était lié, nous l’avons vu, à la proximité d’autres organisations, d’ailleurs bien plus puissantes, comme le CICR . Et, dans la tourmente qui submerge l’Europe, la neutralité d’un pays géographiquement proche n’est pas sans présenter des avantages indéniables, présents et à venir.

À la mainmise de l’association allemande par le NSV se surajoutent des difficultés financières telles que Irma SCHMÖLDER, après avoir régulièrement lancé des appels au secours auprès des instances décisionnelles de l’IMS, propose que le bureau utilise les locaux et la protection de la Croix-Rouge. Il lui semble en effet que c’est le seul moyen de pouvoir protéger l’activité de l’association et assurer sa survie. La Croix-Rouge allemande était l’une des plus importantes sociétés nationales de Croix-Rouge au moment de l’accession de Hitler au pouvoir. Dès le mois de novembre 1933, de nouveaux statuts sont signés sous l’autorité du ministre de l’Intérieur et, en 1934, l’organisation, gardant son titre d’ « association humanitaire », est placée directement sous l’autorité du Führer. Cet « honneur » marque la considération du pouvoir pour cette puissante structure qui regroupe alors près de 9.000 comités. Très vite, cette puissance doit se mettre au service de la machine de guerre qui se construit. Subissant une profonde restructuration 267 afin de correspondre en tous points à la logique hiérarchique du régime nazi, la Croix-Rouge allemande est assimilée à une auxiliaire de guerre. Cette mission militaire est affichée dès 1938.

‘« Une guerre moderne demande aux services sanitaires une efficacité à toute épreuve, et seule une organisation parfaitement au point en temps de paix peut se montrer à la hauteur de la tâche » peut-on lire dans le Bulletin de la Ligue des Sociétés de Croix-Rouge 268 . ’

Outre les intentions à peine voilées sur les projets bellicistes à venir, cette affirmation bouleverse la notion pourtant fondamentale de «  neutralité  » qui est à la base de la création et de l’extension des sociétés de Croix-Rouge . Notion totalement engloutie par la mainmise autoritaire d’un régime ne laissant aucune alternative – hormis le sabordage – aux institutions 269 . Dans la mesure où, visiblement, ni le Secrétariat général ni le Comité exécutif de l’IMS ne semblent pouvoir avaliser les transformations de la branche allemande, il semble bien qu’Irma SCHMÖLDER n’ait d’autre alternative que de saborder discrètement le bureau berlinois. Cette vitrine ne l’empêche pas néanmoins de garder une active correspondance avec GENÈVE. Elle tente ainsi de faciliter le projet de la branche américaine qui négocie le transfert aux États-Unis de 32 enfants juifs d’origine allemande afin de les placer dans des familles prêtes à les accueillir. L’ouverture définitive des hostilités signera l’échec de ces efforts.

Dès 1938, alors que la persécution envers les Juifs bat son plein, la directrice du bureau berlinois fournit régulièrement à GENÈVE des informations sur le travail encore entrepris par les organisations juives. Son lieu de travail, situé à une cinquantaine de mètres de la Grande Synagogue, lui permet de conserver des contacts réguliers avec ceux qui mettent en œuvre l’assistance nécessaire, notamment en ce qui concerne l’aide à l’émigration. Consciente du danger qu’elle court pour elle-même et pour le Service qu’elle représente, elle ne cessera, tant que les moyens de communiquer avec GENÈVE le lui permettront, de servir de lien non seulement pour la population allemande mais aussi pour maintenir entre PRAGUE, VARSOVIE et GENÈVE la transmission de nouvelles, certes partielles et invérifiables mais qui s’avèreront souvent précieuses durant les heures les plus sombres. Car, pour les deux capitales de Tchécoslovaquie et de Pologne, l’heure de la disparition pure et simple sonne dès l’invasion par les troupes nazies et la prise en main des deux pays. Au contraire de leur homologue allemande, il n’est pas possible pour les directions des deux bureaux de tenter une affiliation plus ou moins réussie avec les sociétés nationales de Croix-Rouge, elles-mêmes voyant leurs activités interdites.

C’est donc, pour ces trois branches d’une importance non négligeable pour le réseau IMS, la fin d’une activité officielle entraînant la suspension d’un certain nombre de dossiers concernant des regroupements familiaux ou des rapatriements. La chape de plomb qui s'est abattue sur elles ne laisse guère de choix : il faut par tous les moyens préserver un fil, aussi ténu soit-il, pour que les relations se maintiennent 270 . Le réseau IMS se trouve donc en quelque sorte comme amputé ou, plutôt, subissant la paralysie d’une partie de ses membres.

Notes
267.

Les 9.000 comités initiaux sont dissous pour être regroupés dans une unité nouvelle ayant capacité juridique. Ce sont 13 comités régionaux qui sont institués et, placés sous l’autorité de la Présidence dont le siège est à BERLIN, eux mêmes subdivisés en comités d’arrondissement.

268.

Cité par Gérard CHAUVY, La Croix-Rouge dans la Guerre – 1935-1947, Flammarion, Paris, 2000, p. 60. Cette phrase est extraite d’un article «La nouvelle organisation de la Croix-Rouge allemande» du Dr BRECKENFELD.

269.

Le Président de la Croix-Rouge est nommé et révoqué par le Führer, le ministère de l’Intérieur exerce un droit de contrôle absolu sur les activités et les nominations, tous les dirigeants doivent prêter serments à HITLER. Dès le 1er janvier 1938, la nomination du Reischsartz SS, Ernst GRAWITZ, comme véritable «patron» parachève la mise sous tutelle de la société nationale.

270.

La directrice de la branche polonaise vivra dans la clandestinité la plus grande partie de la guerre. Liée d’amitié avec Irma SCHMÖLDER, elles réussiront à rester en lien durant toute cette période.