2. Le dessin d'une nouvelle redistribution :

Face aux pays qui sont déjà sous la botte nazie, une solidarité se met en place. Elle ne vise pas tant à faire fonctionner à tout prix ce réseau mis à mal par l’entrée dans la guerre, qu'à maintenir la capacité de réduire les effets désastreux du nouveau déchirement européen sur les populations.

Les États-Unis sont les premiers à tenter de nouvelles actions de sauvetage. L’IMS de NEW YORK bénéficie d’une longue expérience d’agence reconnue et légitimée par les autorités publiques. Son Président, Georges WARREN, participe à de nombreuses instances gouvernementales. Il utilise cette position stratégique pour accélérer les mesures susceptibles de faciliter l’émigration des Européens vers les États-Unis. Il s'agit autant de la recherche de familles acceptant d’accueillir des enfants allemands visés par des persécutions, que de négocier en vue de permettre à des milliers d’enfants britanniques d’être protégés des bombardements de leur ville natale. Durant les premiers mois suivant l’éclatement de la guerre, toutes ces initiatives vont occuper l’équipe américaine. S’appuyant sur la position encore neutre des États-Unis, et suivant en cela un processus identique à celui observé durant la Première Guerre mondiale, une mobilisation d’ampleur se réalise au sein des associations philanthropiques en vue de recueillir des fonds ou d’organiser des transports de victuailles. Assez rapidement et la plupart du temps sur les témoignages de ceux qui ont pu fuir l’Allemagne dès l’arrivée des nazis au pouvoir, la connaissance des persécution envers les Juifs provoque des mouvements de solidarité. Les propositions d’accueillir des enfants dans des familles volontaires affluent 271 . Néanmoins, c'est la question de l’émigration et, au-delà des initiatives privées, de l’évolution de la politique gouvernementale vis-à-vis des candidats à l'émigration, qui vont très vite se trouver au cœur des préoccupations et des actions de l’IMS new-yorkais.

La branche française se trouve, elle aussi, très vite confrontée aux effets de la guerre. En janvier 1940, quelques mois après le début des hostilités, le ministère de l’Intérieur sollicite le SSAE pour qu’il se mette officieusement en lien avec le CICR et l’IMS de GENÈVE. Il s’agit d’étudier les possibilités de rapatrier des civils français restés en Allemagne et qui ne peuvent revenir par leurs propres moyens. Les mesures envisagées ne concernent que certaines catégories de personnes : les femmes seules, les femmes avec enfants, les vieillards et les malades. Le durcissement des autorités allemandes, notamment en ce qui concerne la sortie des enfants même âgés de moins de quatorze ans, incite le Gouvernement à chercher l’appui d’organisations internationales pour de telles négociations. Au fur et à mesure de leur avancée, c’est plus la notion de réciprocité, avec l’organisation d’échanges, que celle de rapatriements unilatéraux qui semble constituer une issue crédible. Le SSAE sert de lien entre les autorités et le CICR 272 pour faciliter et faire progresser les tractations. Ces dernières portent sur les catégories bénéficiaires et sur leurs origines nationales. Les ressortissants français à rapatrier étant plus nombreux que les Allemands souhaitant revenir dans leur pays 273 , les concessions du côté français doivent être plus importantes. Les premières catégories acceptées sans problème sont les femmes seules, les femmes avec enfants, les fillettes de tous âges et les garçons de moins de quatorze ans. Peu à peu, l’échange s’élargit et permet d’intégrer les hommes et les femmes de moins de 17 ans et de plus de 60 ans. Les Français qui résident en Pologne peuvent également en bénéficier. Le rapatriement s’effectue aux frais des intéressés. Pour les « indigents », la France accepte de prendre en charge les frais d’acheminement jusqu’à la frontière allemande, à charge de réciprocité pour les autorités allemandes. Le SSAE propose d’intervenir pour le complément nécessaire dans certaines situations 274 .

La guerre rendant quasiment impossibles les contacts avec certains pays, le réseau IMS se trouve amputé d’une partie de ses moyens d’action. La neutralité des États-Unis permet de sauvegarder une de ses pièces maîtresses notamment sur le plan financier, mais la déflagration qui secoue l’Europe va surtout avoir un impact sur le rôle stratégique joué par le siège de l’IMS à GENÈVE. Ce rôle stratégique est dû à la situation particulière de la Suisse, au cœur de l’Europe et hors du conflit. Il constituera un point de repère pour l’ensemble des branches, quels que soient les vicissitudes plus ou moins tragiques que chacune devra affronter.

La branche suisse, appelée « Aide aux Émigrés » correspond en tous points, dans son fonctionnement comme dans ses finalités, à ses homologues américaine et européennes 275 . Son existence permet à l’IMS de conserver un rôle bien particulier de Secrétariat général d’une organisation internationale. Ainsi, les autorités helvétiques et les œuvres d'entraide qui se préoccupent de l'assistance et de l'aide à l'émigration des réfugiés gardent un interlocuteur particulier qu’elles ne manqueront pas de solliciter lorsqu’il sera nécessaire de mieux encadrer l’afflux croissant de réfugiés. Le CICR lui transmet tous les cas d'émigration et de rapatriement. Dès l'été 1939, l'Aide aux Émigrés centre son activité sur l'aide à apporter aux réfugiés, notamment pour les soutenir dans les démarches en vue d'une émigration.

Cette aptitude à maintenir liens nationaux et internationaux, malgré les aléas, est à mettre en lien avec la capacité de s'allier aux organisations qui tentent, elles aussi, de ne pas totalement sombrer dans l'impuissance. Parmi ces organisations, l'alliance avec le Comité International de la Croix Rouge constitue un élément de choix.

Notes
271.

Ces propositions pleines de sollicitude à l'égard des enfants «en danger» n'en oublient pas pour autant l'intérêt des généreux donateurs. Ainsi, ces derniers n'hésitent pas à faire valoir leurs critères de choix pour accueillir ces enfants : milieu social, sexe (les garçons étant largement préférés aux filles).

272.

Dont nous verrons ultérieurement les liens très étroits avec le Secrétariat Général de l’IMS.

273.

Archives SSAE, rapport SSAE au CICR du 2 janvier 1940.

274.

Archives SSAE, compte rendu d’A. de BLONAY suite à une «visite » au ministère de l’Intérieur, entrevue avec M. de QUIRIELLE, le 21 février 1940.

275.

À noter cependant qu'elle se dote, dès sa mise en place, de la compétence de juristes et non uniquement de travailleurs sociaux.