4. En Afrique du Nord, des camps de travail et de discipline.

Les autorités de Vichy ne se sont pas contentées de contraindre et d'enfermer sur le territoire national. Le système d'enfermement s'est élargi au département qu'était alors l'Algérie ainsi qu'au Protectorat du Maroc. Les camps mis en place sont essentiellement des camps de discipline et de travail. On trouve ainsi des « centres de séjour surveillé » comme à DJELFA en Algérie, des centres pour rapatriables allemands ou italiens, des groupements de travailleurs étrangers comme ceux de COLOMB-BÉCHAR et ses environs, des camps d'embarquement au Maroc comme celui d'AIN-SEBA situé à une dizaine de kilomètres de CASABLANCA et dans lesquels s'entassent les candidats à l'émigration.

L'Algérie, département français, est dirigé par un gouvernement, appelé « Gouvernement Général », qui réunit tous les services correspondant à un ministère rattaché à VICHY. En mai 1942, on compte environ 25.000 étrangers sur le territoire algérien. Leur situation dépend : du ministère de l'Intérieur pour tout ce qui relève de leur « état administratif », c'est-à-dire les demandes de naturalisations ou de réintégration ; de la Sécurité Nationale pour tout ce qui touche à la surveillance des personnes, la gestion et l'administration des camps 405 et de la Préfecture.

Les camps algériens comportent essentiellement des groupements de travailleurs étrangers (GTE) dispersés sur l'ensemble du territoire. Dépendants de l'autorité civile, ils sont principalement composés d'internés espagnols et d'anciens combattants des Brigades Internationales. On y trouve aussi tous les engagés dans la Légion Étrangère, quelle que soit leur nationalité, qui ont été démobilisés au lendemain de l'armistice. La plupart de ces internés sont dirigés vers de grands chantiers comme celui de la construction de la ligne de chemin de fer « Méditerranée-Niger » 406 , ou dans les mines de houille de KENADZA. Les conditions de vie et de travail sont pénibles tant à cause du climat que de la dureté des travaux demandés.

Les conditions de « séjour » dans les groupements sont contrastées. Certains internés obtiennent des contrats individuels, ce qui se produit essentiellement dans l'agriculture, leur permettant d'échapper aux contraintes du camp. Mais, dans la plupart des cas, c'est un univers rude et ingrat qui constitue le quotidien de ces travailleurs de force, représentant une main-d’œuvre abondante et bon marché.

Aucune organisation d'assistance ne se trouve au sein de ces camps. La plupart sont des camps de travail et de discipline comprenant quasi exclusivement une population masculine, et seule l'organisation de soins d'ordre sanitaire est prévue. C'est dans ce contexte que le SSAE est sollicité pour mettre en place un service social pour les étrangers résidant en Afrique du Nord en général, et pour les internés des camps d' Algérie et du Maroc en particulier.

En septembre 1941, Suzanne FERRIÈRE écrit à Marcelle TRILLAT pour lui transmettre la demande d'un ancien représentant de la Tchécoslovaquie à la Société des Nations. Ce dernier souhaite ardemment que le SSAE puisse s'occuper des Tchèques bloqués à CASABLANCA, qui se trouvent sans protection consulaire. Pour attribuer des secours disponibles sur le fonds mis à disposition par le gouvernement tchèque en exil à LONDRES, il aurait en effet besoin d'enquêtes précises et sérieuses sur les situations « dignes d'intérêt ». Il signale en outre qu'un travail serait à mener auprès des autorités pour régulariser certaines situations et faire obtenir des permis de travail aux ressortissants déjà établis au Maroc. Enfin, il lui semble indispensable que conseils et aide puissent être proposés à ceux qui souhaitent émigrer.

L'idée d'une intervention au Maroc est retenue par les directions du SSAE, mais en élargissant le point de vue initial. Pas question en effet de ne travailler que pour tel ou tel groupe national, ni de se transformer en distributeur de secours. En outre, il paraît nécessaire de s'intéresser au sort des internés « qui sont peut-être encore plus dépourvus là-bas que les internés en France » 407 .

Dès le début de l'année, le SSAE se met en quête de financements pour ce nouveau poste. La Commission des camps est sollicitée, tout comme le JOINT et le Comité Unitarien. À ALGER, le Comité d'étude d'aide et d'assistance qui s'occupe plus particulièrement de la population israélite, est prêt à subventionner le complément nécessaire pour un poste en Algérie. En lien permanent avec la commission des camps à TOULOUSE, ce comité s'alarme régulièrement de la situation des internés juifs dans les camps d'Afrique du Nord. Pour mettre en place cette nouvelle mission, il faut aussi obtenir les autorisations indispensables auprès du Gouvernement général d'ALGER, ainsi qu'auprès de la Résidence de France au Maroc. Le 6 février 1942, le ministère des Affaires Étrangères à VICHY confirme l'accord donné. L'avis est plus que favorable pour la création d'une section du SSAE en Afrique du Nord 408 . Une démarche est ensuite entreprise auprès de l'Inspection générale des camps afin d'obtenir les autorisations nécessaires pour se rendre à l'intérieur des camps d'internés, ainsi qu'une lettre d'accréditation auprès du Gouverneur général d'Algérie. Tout ceci est obtenu avec facilité et la proposition du Gouverneur général de contribuer au financement du poste permet d'entrevoir la possibilité de créer des postes d'assistantes sociales et de secrétaires en Algérie et au Maroc 409 . Une difficulté demeure : il s'agit de recruter celle(s) qui pourra remplir sans faiblir cette lourde tâche.

La chance semble sourire au Service puisque, dès janvier 1942, Marcelle TRILLAT signale à Georges PICARD qu'une assistante sociale qui vient de terminer un stage à PARIS, souhaite « ardemment aller dans la brousse » (sic). Dès le mois de mars, Claire MARIN-CHANCERELLE est recrutée. Sur la demande de la direction lyonnaise, elle part à RIVESALTES puis à GURS, où Ninon HAÏT termine sa mission, afin de se familiariser avec le travail dans les camps.

Une tournée est prévue en Algérie et au Maroc. Adèle de BLONAY et la jeune recrue prennent le bateau le 11 avril 1942 pour traverser la Méditerranée afin d'installer, de présenter et d'affiner la mission nouvelle du SSAE. « Nous partons avec l'idée d'un voyage de prospection : surtout ne pas avoir l'air de s'implanter » écrit Adèle de BLONAY à Marcelle TRILLAT. Une fois de plus, la prudence du SSAE ne se dément pas. D'emblée, l'attention des deux assistantes sociales est attirée sur la situation des internés dans les camps. Se faire une opinion exacte sur la nature des questions qu'elles pourront avoir à traiter se révèle pourtant assez difficile. Enchaînant à rythme soutenu les entrevues tant avec les officiels qu'avec les représentants des diverses œuvres et comités d'assistance ainsi qu'avec les délégués de la Croix Rouge, les avis qu'elles recueillent se signalent par leur diversité. Ainsi, le contrôleur civil de la région de CASABLANCA insiste sur le fait que ceux qui sont dans les camps de travailleurs ou de réfugiés sont bien connus et contrôlables. Mais il y a « les gens flottants auxquels s'ajoute le déchet inévitable des émigrants en transit ». Et c'est bien là, lui semble-t-il, que l'action serait la plus urgente et la plus utile 410 . Le représentant de la HICEM se charge de nuancer le tableau. Le nombre d'émigrants « en errance » est faible car « ceux qui ne peuvent ré-embarquer sont renvoyés en France ; … du reste on ne fait partir que des personnes absolument en règle et dont le passage a été payé à l'avance » 411 . En revanche, selon cet interlocuteur, les internés dans les camps sont dans un très mauvais état – et de se gausser de la visite des délégués de la Croix Rouge, à la tête desquels se trouvait la Maréchale LYAUTEY, visite qui ayant été annoncée ne risquait pas de faire apparaître tout ce qui laisse à désirer à l'intérieur des camps.

Outre les camps de travailleurs étrangers, les internés sont pour la plupart des étrangers qui, ayant été jugés indigents, n'ont pu bénéficier d'une simple assignation à résidence 412 . D'autres, en partance pour la Martinique ou l'Amérique du Sud, ont été débarqués. Ils sont internés ou placés dans des centres d'embarquement au sein desquels des mesures de surveillance et de réduction de déplacement sont néanmoins imposées. Il faut enfin compter avec les victimes de naufrages, le bateau sur lequel ils comptaient traverser l'Atlantique ayant été torpillé. Survivants mais ayant perdu souvent tous leurs bagages, il leur faudra s'accommoder du régime punitif et austère des camps d'internement.

Leur tournée achevée, la nature de la tâche à accomplir semble se dessiner de façon plus précise pour Adèle de BLONAY et sa jeune accompagnatrice :

‘« Le travail consistera en prospection dans tous les milieux étrangers, camps, centres de réfugiés, familles françaises séparées par une frontière (…) ; naturellement démarches administratives pour leur apporter une solution, contact avec les officiels et les services sociaux » 413 . ’

Une priorité absolue se dégage : aller dans différents camps proposer l'action du service.

Le camp répressif de DJELFA, baptisé « centre de séjour surveillé », est créé fin mars 1941. Il est considéré comme un camp disciplinaire, étant composé « en grande partie d'éléments transférés d'autres camps par mesure disciplinaire » 414 . Le camp est situé sur les hauts plateaux à 1.200 mètres d'altitude ; il est balayé par les vents du nord qui soufflent en tempête un jour sur deux durant l'hiver. On passe sans transition des froids rigoureux de l'hiver aux chaleurs étouffantes de l'été. Lors des gros orages qui surviennent régulièrement l'été, la proximité de l'oued provoque des inondations ravageuses interrompant la communication routière durant plusieurs jours, quand elles ne provoquent pas la destruction pure et simple de certaines installations, comme le jardin potager ou la briqueterie.

Le camp est financé sur des crédits relevant du commissariat militaire du territoire de GHARDAÏA, et le matériel de base est prêté par l'intendance militaire. Les conditions spartiates d'hébergement confinent rapidement à l'inadaptation totale. Par manque de crédits et par pénurie de moyens de transports, les installations et constructions « en dur » sont stoppées et la majorité des internés continuent, même au cœur de l'hiver, à dormir sous des tentes. Cette situation perdure et, malgré les efforts des internés pour fabriquer avec les moyens du bord l'outillage nécessaire et construire des baraques avec des mottes de terre crue, l'amélioration n'est guère sensible, notamment pour protéger des rigueurs du vent et du froid ainsi que de l'étouffement estival 415 .

En mai 1942, 1.084 internés se trouvent au centre de DJELFA. Parmi eux, on dénombre une majorité d'Espagnols et de Polonais 416 . Mais, en tout, ce sont 26 nationalités qui y sont représentées dans des proportions très diverses, parfois par un seul ressortissant. Un sort particulier est réservé aux Juifs, qui à DJELFA comme dans la plupart des camps d'Afrique du Nord, se trouvent dans des quartiers à part. Ils sont au nombre de 178 au moment de l'inspection de André JEAN-FAURE. Dans son rapport, le directeur du camp établit une rubrique spécifique intitulée « Question juive » :

‘« Quoiqu'une partie d'entre eux ne semblent pas s'adonner au camp à une propagande politique quelconque, tous peuvent en outre être malgré tout considérés comme des individus dangereux et indésirables et demandant à être surveillés. Les juifs sont à mon avis les internés les plus favorisés. Ils reçoivent des comités d'aide et cela de façon continue des secours conséquents en argent et en colis. À ce point de vue il est intéressant de noter l'esprit de solidarité qui règne chez ces gens-là », conclut-il, comme dépité 417 . ’

Il existe ainsi pour le directeur du camp deux ennemis : les Juifs et les communistes. Une grande partie de son énergie consiste d'ailleurs à soumettre à un contrôle précis tout mouvement à l'intérieur et à l'extérieur du camp. Nomination de chefs de groupe pour casser les « leaderships spontanés », censure de toute correspondance et colis, discipline de fer, appels bi-quotidiens, police intérieure pour traquer marché noir et propagande politique… Malheureusement, la pénurie de moyens fait que ses demandes réitérées d'obtenir un « encadrement européen sérieux et important » sombrent dans l'oubli. Et il ne peut que regretter une situation qui provoque, selon lui :

‘« un certain flottement dans la surveillance des internés qui profitent de cette occasion pour commercer illicitement, quelquefois même avec la complicité des gardes civils indigènes » 418 .’

L'alimentation semble représenter une moindre difficulté que dans les camps d'internement de métropole. Dans son rapport, le directeur souligne l'organisation qui permet, selon lui, d'assurer un ravitaillement dans des conditions satisfaisantes. Les légumes secs sont fournis par le service de ravitaillement général ; les légumes frais sont achetés directement auprès des différents colons de la région ; quant à la viande, uniquement de la viande de mouton, elle est achetée sur pied. La construction d'une chambre froide permet sa conservation dans des conditions apparemment satisfaisantes. Le pain est fabriqué sur place. Les proportions annoncées semblent bien supérieures à celles habituellement servies dans les camps d'internement métropolitains 419 . Le fait de travailler sur des chantiers particulièrement difficiles donne droit au « casse-croûte » quotidien et les primes de rendement distribuées sous forme alimentaire autorisent le directeur à considérer que « par le jeu de ces bonifications, les internés sont donc bien alimentés ».

Le tableau est-il aussi satisfaisant ? Non, car les camps d'Afrique du Nord, éloignés de tout, ne font l'objet que de bien peu d'attention. Quelques comités cherchent pourtant à venir en aide à certains groupes d'internés. Représentant la Croix-Rouge en Afrique du Nord, la Maréchale LYAUTEY organise une tournée dans la plupart des camps, en mars 1942. Si elle ordonne quelques améliorations pour un camp (celui de SIDI-EL-AYACHI au Maroc), son impression est plutôt favorable :

‘« Contrairement à ce qui a été dit à l'étranger, j'ai trouvé les camps bien tenus, la vie bien organisée, la nourriture suffisante… » 420 .’

Qu'en a-t-il été pour les représentantes du SSAE lors de leur visite du 7 au 13 mai ? Dans le rapport qu'elle rédige tout au long de son séjour, il est perceptible que Claire MARIN-CHANCERELLE semble adhérer sans recul à la présentation faite par le directeur du centre, durant les deux premières journées. Reprenant sans quasiment modifier une lettre la présentation du camp, elle restitue l'appréciation de la situation telle qu'elle est rédigée pour l'Inspection générale des camps. À peine souligne-t-elle de façon plus prononcée la pénurie de vêtements : « la question habillement semble assez précaire pour certains (internés) » 421 . Cette adhésion quasi béate subira néanmoins quelques transformations au cours des jours suivants. Ainsi, elle souligne que si l'accès au camp est facilité par la direction, il est particulièrement encadré. Impossible de se rendre à l'infirmerie ni d'obtenir le nombre et les causes de décès survenus depuis l'ouverture du camp. Quant aux rations alimentaires, si elles paraissent assurer le minimum nécessaire, il lui faut quelques jours pour remarquer que la portion de viande est largement inférieure aux besoins et aux déclarations officielles du directeur.

La situation sanitaire est rendue délicate par l'existence tenace, comme dans tous les autres camps, de parasites en tout genre qui empoisonnent la vie quotidienne des internés. La pénurie de rechanges et d'installations ne permet pas une hygiène correcte. Plus grave, la tuberculose sévit et la précarité des installations empêche de rassembler les malades dans des unités médicales appropriées. En avril 1942, ils sont encore installés sous des « marabouts sanitaires » 422 .

Au cours de ce séjour si bien « guidé », Claire MARIN CHANCERELLE ne conduira pas moins de 220 entretiens avec des internés. Comme dans les autres camps, les services proposés portent sur les transmissions de nouvelles, les recherches de familles, la récupération de bagages et d'objets. Les demandes de documents tels que les actes de naissance, de décès ou de mariage, les récupérations de passeports ou les démarches auprès des consulats sont la plupart du temps aussi importantes pour ceux qui espèrent encore l'aboutissement d'un dossier de rapatriement ou d'émigration 423 .

À l'issue de ces entretiens, des démarches s'avèreront nécessaires pour près de 180 dossiers. Le retour à ALGER permettra de poursuivre l'aide à apporter au camp. La pénurie de médicaments et de produits de suralimentation ou de lait concentré pour les tuberculeux fait l'objet d'une demande spécifique auprès de l'Unitarian Service Committee à Marseille. Un chirurgien dentiste interné, de nationalité espagnole, propose ses services mais aurait besoin d'instruments et de médicaments lui permettant d'exercer son art. La liste des outils nécessaires en poche, il ne reste plus qu'à solliciter tous les comités et œuvres disposés à apporter leur aide pour rassembler ces précieuses ressources.

Au Maroc, dans les premiers mois de cette année 1942, la plupart des étrangers ont été regroupés dans des compagnies de travailleurs appelées « unités d'étrangers » ; à BOU ARFA ou sur le chantier Méditerranée-Niger, ils dépendent de la Production Industrielle. D'autres sont en partance pour le Mexique et sont « hébergés » dans le camp de SETTAT. Enfin, dépendant des Affaires Politiques, les camps de MISSOUR et de SIDI-EL-AYACHI sont des lieux de rétention. Le premier est réservé aux communistes et aux étrangers ; le second abrite une population plus hétérogènes comprenant des marins norvégiens, danois et anglais et des familles. Beaucoup d'étrangers arrivés de France au Maroc pour émigrer aux États-Unis ou au Mexique sont pris aux pièges de l'administration. Un grand nombre d'entre eux sont apatrides et se trouvent, du fait des difficultés grandissantes pour émigrer avec des visas d'entrée qui sont échus, dans l'impossibilité de faire renouveler leur passeport. Le directeur de la Sécurité Publique évalue le nombre de ces malheureux à près de 25.000 424 . Certains approchent néanmoins du but et se trouvent confinés, en attente du sésame, dans les camps spécifiques d'embarquement. À CASABLANCA, la majorité de ces centres sont situés à AIN-SEBA. Ils sont gérés par le Comité d'assistance aux Réfugiés. La visite des installations principales 425 laisse apparaître une pénurie générale de lits et de couvertures. Le financement par le JOINT, la participation des hébergés ainsi que la solidarité des émigrants permettent d'assurer, vaille que vaille, un ravitaillement correct et la distribution régulière de sucre et de savon. Il est impossible aux hébergés d'aller en ville et les deux émissaires du SSAE rencontrent sur place un personnage débordant de sollicitude maternelle et d'une autorité devant rester incontestée qui se « charge de tout » : ravitaillement, perception des chèques par procuration, résolution de tous les problèmes. Devant cette parfaite et totale organisation de l'assistance, le SSAE bat en retraite, toute intrusion semblant malvenue.

‘« Le camp de SIDI EL AYACHI, est situé à 3 kilomètres d'AZEMMOUR. Il s'agit d'un ancien poste militaire. Il est composé d'un groupe de constructions en maçonnerie, sans étage, fort heureusement disposé ; on est loin, ici, de l'affreux alignement des baraquements de RIVESALTES » 426 . ’

S'il existe un camp « idéal », nul doute que la correspondante du SSAE ne voit dans ce « camp familial » le modèle de ce que devraient être tous les camps :

‘« Ce ne sont pas des groupes que l'on parque, mais des personnes pour lesquelles on a su organiser la vie d'une façon humaine et intelligente » 427 .’

Ce camp modèle est sous la protection de la Maréchale LYAUTEY en personne qui, après une seule visite, réussit à faire débloquer les fonds nécessaires pour améliorer les conditions matérielles de séjour : construction de lits, achats de paillasses et de couvertures… Qui sont les « hébergés » ? En novembre 1940, on y trouve des réfugiés étrangers arrivés au moment de la débâcle. Peu à peu, la plupart sont libérés ayant trouvé du travail ou ayant des ressources suffisantes pour vivre. Ce sont ensuite les étrangers en instance d'émigration débarqués à Casablanca, les bateaux sur lesquels ils étaient partis à destination de l'Amérique du Sud ayant fait demi-tour. Puis des marins de diverses nationalités provenant des bateaux réquisitionnés par le gouvernement et armés avec des équipages français 428 . Les Norvégiens sont les plus nombreux, mais on trouve aussi des Grecs et des Belges. Lorsque Claire MARIN-CHANCERELLE arrive à SIDI-EL-AYACHI, ils ont quitté le camp en laissant leurs travaux maraîchers à la disposition des familles restantes. En juin 1942, ce sont les Polonais et les Espagnols qui restent majoritaires 429 . Dans ce camp familial, tout semble avoir été conçu pour le confort – néanmoins relatif – des hébergés. Un système de permissions et des autorisations permanentes de se déplacer hors du camp dans un périmètre défini donnent une respiration comme nul autre espace d'internement. Ce régime semble assez exceptionnel. Peut être aura-t-on remarqué qu'aucun israélite n'y est enfermé.

C'est un autre contexte qu'il faudra affronter au Groupement de travailleurs Étrangers d'IMFOUT près de SETTAT où 274 hommes de toutes nationalités sont « occupés à la construction d'un barrage ». Ce chantier est prévu pour plusieurs années, le site est sauvage et dénudé, les conditions de vie quotidienne « rustiques » : pas de couchage, pas de paillasses, pas de réfectoire ; les hommes mangent dehors, par terre ; la pénurie de bois ne permet même pas de construire des tables. L'habillement est « genre militaire ». Les horaires de travail s'établissent de la façon suivante : les travaux commencent de 6h15 à midi, avec un quart d'heure de pause pour le « casse croûte » , et de 14 heures à 19 heures. Un jour de repos est prévu – le mardi -, dix jours par an de permission et un salaire de 7,50 francs par jour ! La plupart de ces travailleurs forcés sont d'anciens engagés et leur amertume est grande de se trouver ainsi dans un groupement de travailleurs étrangers. « Ils souffrent de la séparation de leur famille, du manque de nouvelles, se sentent perdus loin du monde » note Claire MARIN-CHANCERELLE. Si beaucoup d'entre eux lui demandent d'intervenir pour leur dossier d'émigration ou d'intercéder pour obtenir une libération ou encore d'envoyer de l'argent à l'étranger, la majorité souhaitent obtenir des nouvelles de leurs proches 430 .

Pour la plupart, les camps d'Afrique du Nord sont essentiellement des camps de travail forcé. Si les conditions d'existence paraissent largement moins dramatiques que celles des camps sur le territoire métropolitain – peut-être parce que seuls des hommes y sont retenus – elles n'en sont pas moins d'une dureté considérable. Tant les motifs d'internement que l'exploitation d'une force de travail à bon marché en font des lieux d'enfermement et d'exclusion. Même si leur sort n'est pas ignoré, l'éloignement géographique est un obstacle pour que l'entraide puisse s'y développer avec la même puissance que dans les camps de la zone Sud. Là, le sort des internés et, parmi eux, ceux des plus vulnérables, mobilise les forces des œuvres d'assistance qui, en se regroupant, tentent à la fois de décupler leur capacité d'action et veulent croire à une possible pression sur les autorités en vue d'améliorer le sort des internés et, surtout, de faciliter leur libération.

Notes
405.

Archives SSAE, entrevue avec le directeur de l'Intérieur et de la Jeunesse, le 4 mai 1942 à ALGER.

406.

Ce chantier concerne essentiellement les compagnies regroupées autour de COLOMB-BÉCHAR.

407.

Archives SSAE, courrier de Marcelle TRILLAT à Adèle de BLONAY.

408.

Archives SSAE, courrier MAE Vichy, Direction Politique Afrique-Levant, n°1617 à Lucie CHEVALLEY.

409.

Description du financement : 3.000 francs commission des camps, Joint 3.000 francs, SSAE 6.000 francs, Comité d'étude et d'aide d'Alger 3.000 francs, gouvernement général 28.000 francs pour 6 mois ; les émoluments de l'Assistante Sociale s'élèvent à 2900 francs.

410.

Archives SSAE, audience au Contrôle civil de la région de CASABLANCA, le 23 avril 1942.

411.

Archives SSAE, entrevue avec M. OETTINGER, correspondant de la HICEM à CASABLANCA et avec M. SPANIARD de la HICEM de LISBONNE, le 24 avril 1942.

412.

Au Maroc notamment, des flots de réfugiés arrivèrent dès l'été 1940. Parmi eux, beaucoup d'étrangers. Dans les mois qui suivent, leurs situations sont examinées dans des commissions de criblage qui, sur des critères de ressources jugées suffisantes ou non, décident du sort des ressortissants étrangers.

413.

Archives SSAE, courrier du 30 août 1942 de Marcelle TRILLAT à une candidate pour suppléer Claire MARIN-CHANCERELLE qui ploie déjà sous la tâche à accomplir.

414.

Archives SSAE, rapport du directeur du camp en date du 30 avril 1942. Ce rapport a été établi en vue de la tournée d'inspection d'André JEAN FAURE, nommé Inspecteur général des Camps en septembre 1941 et qui, dans les mois suivant sa nomination, va visiter la quasi-totalité des camps d'internement en France et en Afrique du Nord. Archives MAE, Série Guerre 1939-1945, Vichy, Europe, Sous-série C, n° 151, 152, 153, 155.

415.

Dans le rapport qu'il établit suite à l'inspection des camps, André JEAN FAURE qui, par ailleurs, reprend textuellement le rapport établi par le directeur du centre de DJELFA, insiste sur les ordres qu'il a donnés afin que les matériaux et la main-d’œuvre soient prioritairement consacrés à la finition du camp. Il souligne aussi le nombre insuffisant de paillasses et le papier huilé servant à la fois de vitres et de volets. Archives MAE, Série Guerre 1939-1945, Vichy Europe, sous-série C, n°153.

416.

599 Espagnols sont présents dont 250 sont en attente de rapatriement. Quant aux Polonais, ils sont au nombre de 156 dont près de la moitié sont désignés comme juifs. Archives SSAE, rapport du directeur du centre de séjour surveillé, renseignements donnés le 7 mai 1942.

417.

André JEAN FAURE reprend textuellement cette rubrique dans son rapport d'inspection.

418.

Archives SSAE, rapport du directeur de DJELFA du 10 avril 1942, p. 10.

419.

La ration quotidienne est de 250 grammes de pain, 650 de légumes frais et 800 de légumes secs.

420.

Archives SSAE, compte rendu d'un entretien d'Adèle de BLONAY avec la maréchale LYAUTEY et M. BERTI, délégués Croix-Rouge, le 25 avril 1942 lors de la tournée de la directrice du SSAE en Afrique du Nord.

421.

Archives SSAE, rapport «Visite au camp de DJELFA» par Melle de BLONAY le 7 mai, et par Melle MARIN-CHANCERELLE du 7 au 13 mai 1942, p. 3.

422.

Archives SSAE, «Rapport sur la situation sanitaire du centre de séjour surveillé de DJELFA» par le Docteur GILLET, 20 avril 1942.

423.

Archives SSAE, « Rapport d'activité en date du 2 novembre 1942 ». Dans ce rapport, l'assistante sociale fait état de l'ensemble de ces visites en Algérie dans les camps de DJELFA, de BOGHAR (groupe autonome de travailleurs étrangers), COLOM-BÉCHAR et KANADZA (groupes de travailleurs du Sud-Oranais) et au Maroc à SIDI-EL-AYACHI, à BOU-ARFA et à BERGUENT.

424.

Archives SSAE, compte rendu d'une audience avec le directeur de la Sécurité Publique le 14 avril 1942.

425.

«Le Casino Plage», l'École et le Luna Park.

426.

Archives SSAE, rapport intitulé «Visite au camp de SIDI EL AYACHI », 5, 6 et 7 juin 1942.

427.

Ibidem, p. 4.

428.

Archives MAE, série Guerre 1939-1945, Vichy, Europe, sous-série C, dossier n°155, rapport de André JEAN FAURE, 16 mai 1942.

429.

Le dénombrement fait le 7 juin 1942 est le suivant : 87 Polonais, 80 Espagnols, 32 ex-Allemands, 16 ex-Autrichiens, 18 Tchécoslovaques. 29 autres «hébergés» se répartissent par unité entre 17 nationalités. Archives SSAE, ibid.

430.

52 de ces travailleurs «encadrés» ont sollicité l'intervention du SSAE pendant le séjour de Melle MARIN à IMFOUT les 19, 20 et 21 juin 1942. Dans le camp, les Espagnols sont majoritaires (58) suivis de près par les Allemands (56) et les Polonais (51). 26 nationalités sont représentées parmi les 274 hommes présents.