2. La Croix-Rouge Française : un cousinage lointain.

La Croix-Rouge française doit sa création, dans sa forme moderne, à la fusion de trois « sociétés » : la Société de Secours aux blessés militaires, l'Association des Dames françaises et l'Union des Femmes Françaises. Cette fusion entre trois anciennes institutions, qui n'avaient pas obligatoirement de lien ou de caractéristiques communes, est officialisée par la loi du 7 août 1940. La Croix-Rouge Française, ainsi formée, est reconnue d'utilité publique et affiliée au CICR. Elle bénéficie donc d'une obligation de neutralité vis-à-vis du pouvoir national en place. Nous avons vu que, dans certains pays, notamment dans l'Allemagne nazie, cette neutralité était bafouée au profit d'une utilisation comme auxiliaire de guerre puis d'arme de propagande.

Qu'en est-il dans « la France de Vichy » – alors que la fusion imposée par le régime en place laisse augurer d'une prise en main par le pouvoir politique ? Le contrôle par l'État s'effectue par la nomination du Président et de trois des sept membres du Conseil d'administration. Comme pour le Secours National, la figure tutélaire du Maréchal PÉTAIN est présente puisqu'il en est le Président d'honneur, la Maréchale présidant, quant à elle, le Comité central. La Croix-Rouge française pourrait ainsi, à l'instar du Secours national, se trouver au cœur du système de propagande et de monopole du régime. Cette hypothèse est illustrée par le fait que les deux organismes sont présentés comme les auxiliaires officiels de l'action de l'État. Souvenons-nous du Préfet JEAN FAURE qui, devant les membres du Comité de NÎMES, fait comprendre que les autorités ont délégué le Secours national et la Croix-Rouge dans les camps d'internés, rendant l'action des œuvres et des associations facultative 541 . De fait, la Croix-Rouge intervient dans la plupart des camps d'internés civils de la zone occupée et, après septembre 1941, dans les deux zones. Ses interventions consistent essentiellement à compléter les besoins gigantesques en vestiaire. Un modus vivendi doit être trouvé entre les deux organisations officielles pour coordonner leurs interventions en vue « d'une action concertée ». Un premier accord est passé en février 1942 542  ; un autre en juillet 1943.

Les interventions dans les camps d'internés civils en zone occupée ont constitué les premiers éléments de coopération entre la Croix-Rouge et le SSAE, ce dernier étant sollicité pour s'occuper des dossiers d'émigration des ressortissants étrangers lorsqu'ils pouvaient encore être constitués. L'affiliation de la Croix-Rouge au CICR aurait dû créer un lien entre le SSAE et la société nationale de Croix-Rouge. Il semble que ce cousinage n'ait pas produit un tel rapprochement, malgré une coopération forte entre les assistantes des deux services lorsqu'elles travaillent ensemble dans les camps. Les difficultés que rencontrent les négociations relatives à la mise en place des messages familiaux laissent entrevoir combien la défense des territoires respectifs ralentit la concrétisation d'un service pourtant jugé, de part et d'autre, particulièrement indispensable.

On se souvient qu'avant l'armistice, le SSAE avait été chargé d'organiser la transmission des messages familiaux entre la France et les pays occupés par l'Allemagne et ses alliés. L'arrêté pris en juin 1940 n'est pas remis en cause, mais la partititon du territoire en deux zones nécessite des réajustements. Ainsi, en zone non occupée, les messages familiaux à destination de l'Allemagne, des pays qu'elle occupe et des « autres pays belligérants » sont transmis par le bureau de LYON. Pour la zone occupée, un accord est conclu avec la Croix-Rouge qui se charge de la transmission dans les pays neutres, le SSAE de Paris organisant celle entre la France occupée, l'Angleterre et les Dominions 543 . Pour autant, les choses ne seront pas si simples à mettre en place. En effet, la Croix-Rouge prenant sa mission particulièrement à cœur va diffuser plusieurs communiqués par voie de presse et de radio indiquant qu'elle se charge de la transmission de l'ensemble des messages familiaux, ce qui provoque quelques grincements et surtout un désordre important dans le fonctionnement d'un système dont nous avons vu qu'il ne brillait pas par sa simplicité. L'invasion par les forces occupantes de l'ensemble du territoire national en novembre 1942 va obliger, là encore, à de nouveaux réajustements qui ne trouveront une stabilité qu'en 1943.

Notes
541.

Nous avons vu aussi que cette déclaration tardera à se rendre concrète pour les internés, particulièrement en zone non occupée, et que la survie de la plupart d'entre eux est due essentiellement à la présence et à l'intervention des œuvres privées regroupées à NÎMES.

542.

Céline LHOTTE, assistante sociale à l'Entraide d'Hiver du Maréchal et au Secours national, raconte que les contacts entre les deux services n'étaient pas toujours empreints d'une franche cordialité et que «l'accueil est plutôt froid». Céline LHOTTE, Et pendant six ans…, Bloud et Gay, 1947, p. 55. Voir aussi Jean-Pierre LE CROM, «De la philanthropie à l'action humanitaire», La Protection Sociale sous le régime de Vichy, pp. 231-234.

543.

Archives SSAE, courrier du 24 mars 1941 au ministère des Affaires Étrangères de Vichy.