Chapitre 3 : été 44, l'épreuve

La répression devient une réalité pour des Français jusqu'alors bien plus préoccupés de leur quotidien – rude et terne – que des souffrances infligées à ceux qui leur avaient été désignés comme responsables des maux qu'ils subissaient. Si l'année 1942 est une année « tournant », celles qui suivent permettent d'observer la déliquescence progressive d'un pouvoir réactionnaire ; déliquescence qui accompagne, dans une spirale de violence et d'abandons, la course en avant de l'occupant dans une guerre totale 682 . La période reste marquée par l'aveuglement politique, l'échec social et la ruine économique.

La cassure de l'automne 1942 marque ainsi de façon irrémédiable une rupture entre un régime s'enfonçant dans la collaboration d'État et une population qui n'est pas loin de trouver de nouveaux héros ; ces héros sont encore interdits mais leur subversion rompt la lassitude d'être éreinté et passif. Les cercles de solidarité au sein de la population s'épaississent et s'élargissent. Citadins comme paysans apportent une contribution ponctuelle, ou plus conséquente, selon la situation et les occasions données à ceux qui « résistent ».

De ces fractures irrémédiables, Vichy ne prend guère conscience. LAVAL est tout à sa politique de collaboration d'État ; PÉTAIN à ses manœuvres incertaines, alors que l'échec de la Révolution Nationale se creuse de plus en plus ; le « Peuple français », lui, regarde ailleurs. Un bel exemple d'aveuglement et d'incompréhension qui fait que, jour après jour, ce gouvernement creuse un peu plus un fossé infranchissable en s'acharnant à prendre le parti des futurs perdants. Pierre LAVAL et Philippe HENRIOT, devenu ministre de la Propagande en janvier 1944 dans un gouvernement vichyste aux teintes de la Collaboration, décident que le bonheur des Français se fera contre ce que l'opinion publique semble refuser et rejeter. Sûrs de la victoire des forces nazies, en attendant « ce jour de gloire », la contrainte et la violence servent de programme et de discours de politique générale 683 .

Notes
682.

Pour le Reich, le débarquement des forces alliées en Afrique du Nord et l'enlisement tragique des troupes sur le front de l'Est ne laissent d'autre alternative qu'une guerre totale menée sur les fronts militaires et les territoires occupés. Guerre totale, guerre féroce qui engage les deux forces, celles d'occupation et vichystes, dans une chasse sans pitié aux « terroristes » et aux Juifs.

683.

Les besoins de l'occupant ne s'arrêtent pas à l'implication totale de l'État Français dans une guerre civile. Déjà exsangue à cause du coût exorbitant des frais d'occupation versés au vainqueur, l'économie française doit encore « faire un effort ». «La collaboration presse-citron était plus que jamais à l'ordre du jour ». (Jean-Pierre AZEMA, De Munich à la Libération, 1938-1944, p. 301. On se reportera dans le même ouvrage au chapitre sur l'exploitation économique par l'occupant nazi, pp. 213-220.). Dans cette contribution forcée, n'oublions pas la demande de main-d’œuvre toujours plus exigeante dont nous connaissons les effets ravageurs sur l'opinion publique. La Révolution nationale ne va guère mieux. Portée par un gouvernement beaucoup plus faible qu'il ne veut le laisser paraître, ses ambitions de pacifier et d'unir les Français s'effondrent inexorablement. C'est que, outre le rejet de plus en plus ouvert à l'égard de l'occupant, la politique de collaboration fait l'objet du même refus. Dans l'image de la répression en action, forces occupantes et groupes miliciens se confondent.