II – Continuer, malgré tout.

1 .Une reprise d'activité au rythme de la libération.

‘« La consternation est immense au sujet de T(rillat) – c'est à peine imaginable – et l'on n'a aucun détail. (…)On ne sait rien de DG(runewald) depuis 5 ou 6 jours. Son beau-frère était allé à la police al(llemande) où on lui avait dit que sa libération était une affaire de quelques jours encore. » 697

À LYON, en cette fin de mois de juillet, le SSAE vit au rythme des nouvelles, ou plutôt de l'absence de nouvelles des deux collègues restées emprisonnées à MONTLUC. La prison a une réputation sinistre. L'absence d'élargissement, alors que tous les papiers attestant de l'aryanité des deux prisonnières ont été fournis, ne manque pas d'inquiéter leur entourage comme leurs collègues. Ces dernières se préparent, après un bref repos, à étudier une réouverture éventuelle du bureau. Tout est sens dessus dessous : fichiers éventrés, mobilier saisi ou détruit dont les précieuses machines à écrire toutes embarquées, dossiers dispersés au vent, le travail ne manque pas pour remettre en état les locaux. Mais les évènements se chargent de ramener le personnel à une autre réalité. Les bombardements alliés vont en s'intensifiant. L'avancée des troupes de libération, comme les accrochages entre groupes de résistants et forces d'occupation, sont un danger pour tout civil. La bataille fait rage. Pendant que les armes parlent, la Gestapo et la Milice accentuent leur sinistre besogne : tortures et massacres se succèdent. La population est prise entre les deux vagues ; prise aussi entre l'espoir et l'effroi selon les mouvements refluant des vainqueurs et des vaincus, le sort pouvant changer de camp d'un moment à l'autre.

La libération des principales villes du territoire français se déroule tout au long du mois d'août 698 . À LYON, c'est dans un désordre insoutenable que MONTLUC ouvre ses portes. Le 20 août, 120 détenus ont été amenés par les Allemands et exécutés à SAINT-GENIS-LAVAL. Le 24, l'ensemble des détenus est libéré. La situation militaire n'est pas encore stabilisée mais les institutions religieuses qui avaient préalablement accepté d'accueillir les détenus à leur sortie de prison consentent à le faire immédiatement. Les femmes sont acheminées chez les religieuses des Missions Africaines, les hommes chez les Franciscains missionnaires. Parents et amis se précipitent pour prendre des informations à propos des deux naufragées dont ils étaient sans nouvelle. Ils ne rencontrent que Denise GRUNEWALD. Marcelle TRILLAT a déjà quitté MONTLUC et la ville de LYON par une ambulance que son père a pu se procurer. Le récit fait par l'adjointe de la directrice du bureau de LYON saisit d'effroi les collègues accourues : elles ont subi toutes deux des interrogatoires successifs de plus en plus violents ; Marcelle TRILLAT a été battue sous ses yeux; mise au secret et sans plus aucun contact avec Denise GRUNEWALD, elle a continué à être torturée. Des compagnes de cellule, expertes dans le recueil des informations sur les évènements à l'intérieur de MONTLUC et sur les lieux où se déroulaient les tortures 699 , lui ont appris qu'après « être passée » à la baignoire, on lui avait arraché les ongles. Enfin, Marcelle était sur la liste du convoi prêt pour la déportation, convoi empêché de s'ébranler in extremis grâce à l'intervention par la dynamite de la Résistance des chemins de fer.

Plus au sud, à MARSEILLE, les bombardements répétés n'ont pas permis de procéder à l'ouverture du bureau. Une odeur » de poudre et de garrigue » envahit la cité phocéenne. Mais Lucienne MOURGUES est sortie des Baumettes depuis déjà près d'un mois, et aucune nouvelle arrestation n'est venue troubler l'équipe. Le bureau n'a pas pu reprendre ses activités. La Gestapo, qui a emporté tous les jeux de clés au moment de l'arrestation de la directrice, a confirmé explicitement la mise sous surveillance du service et le maintien de la fermeture. L'évolution de la situation militaire, avec l'avancée des troupes de libération, provoquent de violents combats qui embrasent MARSEILLE et ses alentours. Marie-Thérèse SCHINTZ assiste aux avancées et reculs des troupes des deux côtés :

‘« (…) de ma fenêtre, où j'avais vu avant mon départ tomber le Pont Transbordeur qui est à Marseille ce que la Tour Eiffel est à Paris, et couler les navires pour obstruer le port, de cette fenêtre, je vis la bataille faire rage entre les forts, départ et arrivée des obus. Je vis arborer le drapeau tricolore sur la colline si disputée de la « Vierge de la Garde » qui fut finalement prise d'assaut par les vaillants petits Marocains qu'on lançait contre une citadelle fortifiée à l'extrême . » 700

Les combats durent trois jours, toutes les collines avoisinantes sont en feu, une pluie de cendres s'abat sur la ville de façon ininterrompue.

‘« Nous avons appris à reconnaître un tir de 75 d'un de 120, les obus fusants des percutants, les explosions sous-marines qui secouent mieux qu'un tremblement de terre, les tirs en mer, les mitraillettes… » 701
Notes
697.

Archives SSAE, lettre de Suzanne FILLEUL à Lucie CHEVALLEY, le 26 juillet 1944.

698.

Paris, le 19 août où résistants et FFI investissent les bâtiments publics ; Marseille, le 21 août et Lyon le 3 septembre.

699.

Le 26 mai 1944, l'École de Santé Militaire, avenue Berthelot, est détruite par un bombardement. Siège de la Gestapo, c'est là que les prisonniers étaient conduits pour être « interrogés ». Les tortionnaires continuent leur sinistre besogne dans un immeuble au 35, Place Bellecour. Sur l'« organisation » de MONTLUC et des interrogatoires, on pourra se référer à Marcel RUBY, Résistance et Contre Résistance à Lyon et en Rhône-Alpes, Éditions Horvath, Lyon, 1995 et plus particulièrement au témoignage d'Émile TERROIRE, Op. cit., p. 553.

700.

Archives SSAE, Libération de Marseille, août 1944, dactylographié, 6 pages dont la première manquante.

701.

Archives SSAE, ibidem, p. 6.