Partie Théorique

Chapitre 1. L’émotion: données générales

1.1 Approches cognitives de l’émotion.

1.1.1 Cognition et émotion

Dans une approche systématique des travaux sur les relations entre l’émotion et la cognition, deux types d’effet peuvent être envisagés: le premier type retrouve l’effet de l’émotion sur la cognition et le deuxième concerne à l’inverse les effets de la cognition sur les états émotionnels. Pour commencer par le premier type, Williams et al. (1997) attribuent les effets de l’émotion sur le fonctionnement cognitif à trois aspects différents : celui du matériel émotionnel, des caractéristiques du sujet et de l’interaction entre ces deux facteurs. En ce qui concerne l’influence du matériel sur le fonctionnement cognitif, l’attention et la mémoire sont tous les deux modulés par l’émotion mais les effets sur l’attention, d’une part et sur la mémoire, d’autre part, sont différents (e.g., Bower, 1981; Öhman, Flykt, Esteves, 2001). Par exemple, le stimulus négatif peut attirer plus d’attention que les stimuli neutres et surtout, dans le cas où le stimulus représente un danger pour la survie de l’individu, comme l’irruption soudaine d’un serpent dangereux, tous les traitements cognitifs en cours sont interrompus par le traitement du stimulus aversif (e.g., Lang, Bradely, Cuthbert, 1997). La mémoire ou la récupération en mémoire peut aussi être influencée par le même type de valence émotionnelle (e.g., Blaney, 1986; Bower, 1981). En second lieu, le fonctionnement cognitif peut être affecté différemment selon l’état et le trait émotionnel du sujet. Par exemple, il a été démonté que le traitement de l’information chez les individus anxieux ou dépressifs était généralement moins efficace au niveau du temps de réponse dans la tâche de dénomination des couleurs (e.g., MacLeod, Mathews, & Tata, 1986; Williams et al., 1997). En troisième lieu, l’effet de l’émotion peut être mis en relation avec l’interaction entre le contenu du stimulus émotionnel et les caractéristiques de l’individu comme l’état ou le trait émotionnel du sujet. Par exemple, les participants qui ont un niveau élevé d’anxiété-trait semblent avoir une plus grande difficulté à désengager leur attention à l’égard du stimulus négatif (e.g., Compton, 2000, Fox, Russo, Bowles & Dutton, 2001) que des participants normaux et à montrer une plus grande tendance à interpréter le stimulus ambiguë (e.g., un mot polysémique) comme de l’information négative (e.g., Eysenck, Mogg, May, Richards, & Mathews, 1991).

Les études liées aux effets de la cognition sur l’émotion ont aussi bénéficié d’un très large intérêt. La théorie cognitive d’appraisal est une des théories les plus connues dans ce domaine. Cette théorie décrit comment la cognition peut modifier le traitement de l’information. Dans une des études initiales consacrées à ce modèle, Spiesman, Lazarus, Mordkoff et Davison (1964) ont montré que le changement d’appraisal consécutif à des commentaires sur les stimuli aversifs pouvait modifier les réactions émotionnelles vis-à-vis de l’objet. D’après Lazarus (1991), le processus d’appraisal est basé sur l’évaluation subjective des stimuli en lien avec des buts, plans et croyances personnelles. Cette évaluation des évènements et des situations émotionnelles peut engendrer une différence dans les réactions émotionnelles bien que les processus impliqués dans cette évaluation demeurent encore ambigus. Zajonc et al. (1980, 1993) reprennent cette hypothèse en disant que les processus cognitifs peuvent influencer l’émergence et le type d’émotion éprouvée mais que l’interaction entre les processus émotionnels et les processus cognitifs n’apparaît qu’au niveau du traitement tardif. Pour le démontrer, ils font appel à « l’effet de simple exposition répétée». En utilisant la méthode d’exposition subliminale, ils ont montré que cette exposition simple était suffisante pour influencer la préférence à l’égard du stimulus subséquent (Kunst-Wilson & Zajonc, 1980). Selon Zajonc, l’individu peut avoir une réaction de préférence vis-à-vis d’un stimulus avant même d’avoir pu l’identifier.

Cependant, plusieurs auteurs ont remarqué que cette discussion sur la primauté de la cognition sur l’émotion risquait d’être inutile, en raison de l’ambiguïté du concept de « cognition » (e.g. Leventhal et Scherer, 1987). Ainsi, il paraît difficile de définir certains processus automatiques ou pré-attentionnels dans le mesure où est considéré comme tout système « cognitif » qui exécute au moins une computation minimale (Power & Dalgleish, 1998).

Quel que soit le niveau de l’interaction entre l’émotion et la cognition, les recherches récentes essaient plutôt de montrer que les émotions affectent la cognition à presque tous les niveaux depuis le simple input sensoriel automatique ou pré-attentionnel jusqu’à ceux de traitement complexes, propositionnel ou schématique. En particulier, cette tendance a été renforcée par le développement de nouveaux paradigmes qui permettent d’étudier expérimentalement les phénomènes affectifs à de multiples niveaux (e.g., conscient et inconscient, bas et haut ou encore automatique et stratégique). Il en est résulté des modèles des processus cognitifs de traitement du stimulus émotionnel dans lesquels différents niveaux cognitifs sont impliqués. Aujourd’hui, une modélisation cognitive des émotions qui viserait à une représentation globale devrait impliquer plusieurs niveaux de traitement cognitifs (Williams et al, 1997).