1.1.2 L’émotion et les différent niveaux de traitement cognitif

Il est assez facile de trouver des arguments en faveur d’une dissociation entre des processus de bas niveau et de haut niveau impliqués dans le traitement du stimulus émotionnel. Prenons ainsi le cas d’une personne souffrant d’une phobie des araignées, elle comprend bien qu’il n’y a pas de raison d’avoir peur en face d’une araignée et elle sait qu’il est stupide et irrationnel d’être effrayé. Pourtant, dès que la personne aperçoit une araignée ou des objets associés à l’araignée, elle est immédiatement effrayée et ne peut se soustraire à l’emprise de la peur. Les études de Stroop émotionnel montrent bien ce genre d’effet en situation de laboratoire. Dans cette tâche de dénomination de la couleur, le patient donne généralement la couleur des mots liés à l’objet pathogénique moins rapidement que celle des mots neutres. Cela veut dire que la présence d’un tel stimulus perturbe les processus contrôlés par la demande de la tâche (nommer la couleur du mot) tandis qu’un stimulus neutre n’affecte pas la performance de dénomination de la couleur (e.g., Watt, Trezise & Sharrock, 1986). Ce simple exemple montre bien une défaillance du contrôle exercé par les processus cognitifs de haut niveau (top-down process) sur les processus de bas niveau (bottom-up process) et une forte influence des processus automatiques de bas niveau de traitement (data driven processing) sur les processus effectivement contrôlés par l’attention (strategy driven processing).

Cette difficulté de contrôle en face de stimuli négatifs ne se rencontre pas chez tous les individus. Par exemple, dans la tâche de Stroop émotionnelle, l’effet d’interférence entre le traitement du stimulus négatif et celui de la cible est souvent absent chez les individus normaux. Il est possible que les processus de bas niveau liés au traitement des stimuli émotionnels soient moins automatiques ou/et plus facilement contrôlés chez certains individus. De la même façon, les individus qui souffrent de troubles émotionnels peuvent aussi montrer une bonne contrôlabilité du stimulus négatif dans la tâche de Stroop émotionnelle dans certaines conditions. Par exemple, dans la condition où un vrai serpent est présent dans l’expérience, les participants ayant une phobie des serpents ont montré une latence de réponse plus rapide même avec les mots associés au serpent que dans la condition où le serpent est absent (Mathews et Sebastian, 1993). La réaction provoquée par le stimulus émotionnel semble avoir un caractère idiosyncrasique assez prononcé (Wells & Matthews, 1994, Williams et al, 1997). Chez certains individus, cela se traduit par le traitement des stimuli négatifs de manière automatique et difficilement contrôlable tandis que chez d’autres individus, ce genre de stimulus peut être contrôlé plus facilement. Mais, dans certaines situations, la tendance peut encore être inversée avec le traitement de haut niveau cognitif et avec le changement de l’émotion.

Quoi qu’il en soit, les caractéristiques du traitement du stimulus émotionnel ne peuvent pas être décrits seulement en termes de processus de bas niveau ou de contrôle de haut niveau. Ce constat a conduit à la nécessité du développement de modèles hiérarchiques des émotions fondés sur des niveaux des traitements multiples (e.g. Leventhal, 1979, 1984; Power & Dalgleish, 1997; Teasdale & Barnard, 1993).

En règle générale, ces modèles postulent que l’information émotionnelle est traitée au moins aux deux niveaux et que chaque niveau de traitement peut provoquer des conséquences différentes au plan émotionnel. Quel type de mémoire émotionnelle est-il activé ? Et quel type de processus est-il opérationnel ? Il s’agit alors de répondre à ces deux questions centrales dans les modèles à niveaux multiples. Ajoutons aussi que les données neurobiologiques (e.g., LeDoux, 1995) sur l’interaction entre amygdale et le cortex pré-frontal sont aussi cohérentes avec ce genre de modèle.

Nous allons présenter brièvement trois modèles pionniers dans ce domaine pour mieux comprendre ce type de modèle: le « hierarchical emotion processing model » de Leventhal (1979, 1984), le modèle de « preparedness » d’Öhman et al. (1979, 1993) et le multisystème d’activation de l’émotion d’Izard (1993).