2.1. La capacité limitée

Tous les processus de traitement de l’information non automatiques sont soumis à la contrainte de la capacité limitée. Par exemple, la performance à une tâche donnée diminue lorsqu’un individu doit exécuter une deuxième tâche en même temps. Si deux tâches sont effectuées simultanément, on constate en général que lorsque la performance à l’une des deux tâches diminue, celle de l’autre tâche s’améliore. Pour interpréter ce genre de résultat, une conception de l’attention a été développée dans laquelle les processus cognitifs sont supposés avoir besoin de « ressources, effort ou attention » pour effectuer les traitements (e.g. Kahneman, 1973, Kahneman & Treisman, 1984). Dans cette conception théorique, la qualité, l’efficacité et la profondeur du traitement dépendent donc des ressources qui sont disponibles. Mais il est vite apparu que les phénomènes attentionnels ne peuvent pas être mesurés aussi simplement. Les résultats d’expériences avec un paradigme de double tâche montrent souvent que l’interférence entre les tâches a tendance à augmenter avec la similarité des tâches, ce phénomène suggère un problème de structures plutôt que de difficulté intrinsèque des tâches (Wickens, 1980). Ces données expérimentales ont conduit les chercheurs à postuler l’existence d’un aspect structural à la notion de capacité limitée et ont abouti à l’élaboration d’un « modèle de ressources multiples » par Wickens, (1984). Selon cette approche théorique, la performance à une tâche dépend des ressources réparties dans des réservoirs spécialisés en raison de propriétés structurelles. Autrement dit, le système de traitement de l’information comporte de nombreux mécanismes qui disposent chacun d’une capacité et ces mécanismes peuvent se partager et diviser les ressources limitées selon les activités mentales. Par hypothèse, les tâches qui ne demandent pas les mêmes ressources et qui n’utilisent donc pas une même structure peuvent être exécutées plus efficacement que les tâches qui demandent des ressources qui relèvent d’une même structure. L’étude d’Altonis, Allport et Reynolds (1980) montre que les tâches comme la tâche de sight-reading et la tâche de shadowing qui demandent des ressources différentes, peuvent être exécutées ensemble sans détérioration de la performance en comparaison avec celle mesurée dans la condition de simple tâche. Par contre, il y aura une compétition entre les mécanismes ou les structures impliquées dans le traitement de l’information quand deux tâches ou plus activeront simultanément la même structure de traitement. Dans ce cas précis, l’augmentation de la difficulté d’une tâche, qui peut être définie comme la demande de plus d’allocation attentionnelle, aura tendance à réduire la performance à l’autre tâche puisque les ressources sont limitées et insuffisantes pour exécuter les deux tâches simultanément. Cette approche intègre deux formulations: l’une basée sur les ressources et l’autre basée sur la structure (e.g. Navon & Gopher, 1979; Wickens, 1984).

Les critiques sur la théorie des ressources attentionnelles portent sur plusieurs points importants. D’abord, quelle que soit la nature des ressources, cette théorie ne permet pas de rendre compte des changements de la compétence cognitive et plus particulièrement des changements de la structure des processus attentionnels. Dans la plupart des tâches, les performances s’accroissent en fonction du temps d’apprentissage, donc en fonction de l’habileté acquise. Dans le cas d’une double tâche, cela se vérifie également puisque l’aptitude au partage de l’attention croît avec la fréquence de la répétition et le degré de maîtrise dans chacune des tâches (Hirst, Spelke, Reaves, Caharack & Neisser, 1980). Une autre question se pose à propos de la réduction des ressources nécessaires qui apparaît avec la construction d’un automatisme: s’agit-il de l’effet d’une procéduralisation de l’activité ou bien d’une réorganisation des processus de contrôle qui gagneraient en efficacité ?

Une tout autre perspective permet d’interpréter le concept de capacité limitée: il s’agit de la notion de « skill » (Hirst, 1986 ; Meyer & Kieras, 1994). Les modèles proposés mettent avant tout l’accent sur le rôle du contrôle de haut niveau qui planifie les opérations dans les tâches multiples. Selon cette approche, l’interférence observée dans les situations de double tâche résulte de l’organisation inappropriée de l’opérateur (contrôle exécutif). Dutta, Schweickert, Choi et Proctor (1995) montrent que les instructions explicites qui peuvent guider les processus de contrôle exécutif, peuvent réduire le degré d’interférence entre deux tâches.

Quelle que soit la conception de la capacité (ressources, structure ou skill), les limitations de la capacité dans le système cognitif obligent à sélectionner les informations lorsqu’il y a compétition entre les processus.