2.3. Les niveaux du contrôle attentionnel

Le débat théorique sur les niveaux du contrôle attentionnel concerne à la fois les processus automatiques et le contrôle exécutif. C’est un des sujets les plus importants et actifs dans la recherche en psychologie cognitive, sans doute parce qu’il s’agit d’une des fonctions les plus importantes pour les activités mentales. Beaucoup de travaux ont été entrepris pour distinguer les propriétés du traitement automatique versus contrôlé de l’information. Schneider, Dumais et Shiffrin (1984) proposent ainsi qu’un processus contrôlé est orienté par la stratégie ou le plan intentionnel, tandis qu’un processus automatique est déclenché involontairement par des inputs déterminés et qu’il est difficile de l’arrêter ou de le contrôler. Les processus contrôlés sont susceptibles d’intervenir dans l’exécution de tâches difficiles, non-familières et imprévisibles tandis que les processus automatiques seront activés dans des tâches familières pour lesquelles il existe des chaînes régulières de stimulus-réponse (S-R). Les processus contrôlés demandent une grande quantité de ressources à la différence des processus automatiques qui peuvent s’exécuter sans ressources. Schneider, Dumais et Shiffrin (1984) considèrent l’indépendance à l’égard des ressources et l’insensibilité au contrôle volontaire comme les caractéristiques typiques des processus automatiques. Un des inconvénients associé à cette dernière caractéristique est le manque de flexibilité des processus automatiques: il est difficile de modifier une séquence initiée par un processus automatique lorsque le processus est surappris.

Mais les données expérimentales ne se conforment pas à une vision dichotomique de l’attention. Le déroulement d’un processus automatique peut être modifié, au moins partiellement, par des processus top-down (e.g., Friedrich, Henik, & Twelgov, 1991). Schneider et Fisk (1983) ont remarqué que certains participants n’utilisent l’automaticité qu’après une instruction leur demandant de ne pas essayer de recourir à la stratégie contrôlée. Le modèle connexionniste développé par Cohen, Dunbar, et McClelland (1990) peut rendre compte de ce genre de modification d’un processus automatique par le contrôle attentionnel. Dans ce modèle, la force respective de chacun des processus constitue le principe explicatif sous-jacent à la prise de contrôle du processus automatique par le processus top-down.

Selon le modèle connexionniste, il y aurait peu de processus indépendants du contrôle attentionnel. Dans la simulation réalisée par Cohen, Dunbar, et McClelland (1990) les auteurs ont montré que des processus qui présentaient apparemment toutes les caractéristiques de l’automaticité étaient en réalité affectés par l’allocation attentionnelle (e.g., lire le mot est affecté par le changement d’allocation attentionnelle dans la tâche de Stroop modifiée). Il est cependant important de souligner que, dans ce modèle, l’attention est considérée comme une modulation des processus. Cette modulation se traduit par l’activation additionnelle des unités liées à l’attention (la demande de la tâche) et cette activation, en retour, modifie la réactivité des unités. Cohen, Dunbar, et McClelland proposent alors une réinterprétation de l’effet Stroop. Le fait que la vitesse de traitement de l’information et les effets d’interférence soient des variables de nature continue, étroitement liées à la pratique, les amènent à suggèrer une explication en termes de « force » du traitement. L’activation se propage selon un chemin dont la force, qui dépend des coefficients synaptiques des liaisons entre les unités, croît avec la pratique. Le rôle de l’attention est de moduler le cheminement de l’activation dans le réseau pour éviter les interférences entre les flux d’informations qui s’entrecroisent au niveau de certaines unités. Toutefois, dans ce modèle connexionniste, une définition claire du rôle de la stratégie contrôlée et volontaire reste à préciser (voir Wells & Matthews, 1994).

Pour résumer, les traitements de niveau bas correspondent à des processus déclenchés automatiquement et involontairement par l’entrée du stimulus et ils sont relativement indépendants des ressources. Grâce à l’effet de la pratique, des processus de traitement peuvent devenir relativement automatiques, même dans le cas d’activités complexes. Pour les traitements de haut niveau, c’est le stratégie volontaire ou le plan d’action qui spécifie les processus. La mise en œuvre de ces processus est limitée par la capacité ou les ressources. Les processus de haut niveau ne peuvent pas agir directement sur les processus de bas niveau de traitement, mais ils les influencent plutôt en biaisant leur réactivité. Quoi qu’il en soit, l’existence même d’interactions entre les processus de bas niveau et de haut niveau, qui rend difficile l’attribution de rôles précis à chacun d’eux, montre aussi que la discussion sur la distinction conceptuelle entre haut et bas niveaux de traitement reste à approfondir.