3.1.1. Facilitation liée au traitement du stimulus émotionnel chez des individus dysphoriques ou dans un état d’éveil émotionnel négatif

3.1.1.1. Le seuil auditif et la tâche d’écoute dichotique

Il existe des données expérimentales qui tendent à démontrer que les individus ont une sensibilité perceptive plus grande à l’égard des informations en rapport avec leur préoccupation du moment ou « current concerns », comparativement aux informations neutres ou positives. Parkinson et Rachman (1981b) ont comparé la performance de deux groupes de mères: les mères du premier groupe avaient comme point commun le fait d’avoir un enfant hospitalisé pour une amygdalectomie, et les mères du deuxième groupe étaient des mères témoins ayant un enfant de même âge, mais pas hospitalisé. Dans la phase de test, les deux groupes écoutaient une bande musicale dans laquelle trois sortes de mots avaient été insérés: des mots liés à la préoccupation des participantes (e.g. operation, pain ou injection), des mots neutres mais susceptibles de donner lieu à une confusion auditive (e.g. operatic, pine ou inflection) et des mots neutres sans confusion possible (e.g. bird, pass, ou sun). La tâche consistait à répéter immédiatement le mot entendu. Trente mots (dix dans chaque catégorie) étaient présentés auditivement cinq fois de suite. Le volume sonore était très faible pour commencer et il augmentait de plus en plus pour permettre aux participantes d’identifier clairement les mots à la cinquième présentation. Les résultats montrent que les mères ayant un enfant hospitalisé avaient tendance à rapporter, plus souvent que les mères témoins, les mots liés à l’inquiétude au sujet de l’intervention chirurgicale et ce jusqu’à la quatrième présentation des mots. A la cinquième présentation, lorsque tous les mots pouvaient être clairement identifiés, il n’y avait plus de différence entre les deux groupes de mères. Il est à noter que le premier groupe de mères a rapporté plus de mots « prêtant à confusion » que le deuxième groupe, mais seulement au cours de la première et de la deuxième présentation (volume sonore bas), et que cette tendance a disparu avec l’augmentation du volume sonore.

Burgess et al. (1981) ont obtenu un résultat similaire en utilisant la méthode de l’écoute dichotique. Dans la tâche de l’écoute dichotique, les participants écoutaient deux messages simultanément dans chaque oreille à l’aide d’un casque d’écoute. La tâche consistait à répéter un message arrivant à l’une des oreilles tout en rejetant l’autre et, en même temps, à reconnaître l’apparition d’une cible présentée à l’une quelconque des deux oreilles, attentive ou non. La cible était un mot appartenant à une liste de mots liés à une phobie ou des mots neutres. Les résultats ont montré que le groupe clinique des phobiques a mieux détecté la cible que les autres groupes (un groupe normal pour contrôle et deux groupes analogues aux phobiques) surtout avec les mots liés à la phobie qui apparaissaient dans l’oreille « non attentive ». Des résultats similaires ont été obtenus chez des patients obsessionnels-compulsifs (Foa & McNally, 1986) avec des mots liés à l’obsession-compulsion et chez des patients boulimiques (Schotte, McNally & Turner, 1990) avec des mots liés à la boulimie.

L’interprétation de ces résultats soulève un problème relatif à la fréquence des mots et à la saillance émotionnelle (Williams, et al., 1997). Les mots employés dans la tâche sont ceux qui sont très fréquemment utilisés par les participants. Il est possible qu’une différence dans la fréquence subjective d’un mot engendre une différence dans le niveau de la distraction attentionnelle produite. La méthode de l’écoute dichotique a aussi été critiquée par Trandel et McNally (1987) en disant que cette méthode n’est pas suffisante pour empêcher les participants d’être conscients à l’égard des informations dans le canal « non attentif ». Partant de ce constat, Trandal et McNally ont échoué dans leur tentative de généraliser cet effet chez des patients atteints de stress post-traumatique (PTSD post-traumatic stress disorder) en contrôlant plus rigoureusement les conditions d’exécution de la tâche d’écoute dichotique. Mathews et MacLeod (1986) ont également cherché à mieux contrôler les conditions de la tâche en demandant directement à leurs participants s’ils avaient été conscients des mots présentés dans l’oreille « non-attentive ». Ils ont utilisé deux tests: un test de rappel incident des mots présentés dans l’oreille inattentive, en interrompant la tâche au milieu, et un autre test de reconnaissance de ces mots, après la tâche principale. Les résultats des tests ont montré que les participants n’étaient pas conscients du contenu du stimulus présenté à l’oreille inattentive. Pourtant, selon les résultats de la tâche d’écoute dichotique qui consistait à répéter les mots arrivant à l’oreille attentive, cumulée à une tâche de détection de sondes (secondary probe task), les participants anxieux montraient des temps de réponse plus longs lorsque les mots arrivant à l’oreille inattentive étaient négatifs plutôt que neutres.