3.1.2.2. La tâche de détection de sondes et l’évitement du stimulus émotionnel chez les sujets normaux

Cette tâche, qui a été adaptée par MacLeod et al. (1986) afin d’analyser plus directement les processus attentionnels liés au stimulus émotionnel, est issue des paradigmes cognitifs expérimentaux qui ont montré que l’attention spatiale peut être évaluée par la vitesse des réponses manuelles aux cibles visuelles (Navon et Margalit, 1983; Posner, Snyder et Davidson, 1980). C’est à dire que les individus peuvent répondre plus rapidement à un stimulus qui est présenté dans une région de l’espace vers laquelle l’attention se porte plutôt que dans une région d’inattention. MacLeod, Mathews et Tata (1986) ont présenté des paires de mots à 16 patients qui souffraient d’anxiété généralisée et à 16 participants normaux. Les deux mots étaient présentés l’un au-dessus, et l’autre en dessous du centre d’un écran d’ordinateur pendant 500ms. La tâche consistait à lire à haute voix le mot supérieur en ignorant le mot inférieur. La paire de mots était composée d’un mot émotionnellement menaçant et d’un mot émotionnellement neutre. Dans ce paradigme, la distribution de l’attention est mesurée par une tâche secondaire impliquant la détection d’une sonde en l’occurrence, un point (probe), qui peut apparaître à la place de l’un des deux mots juste après la disparition de la paire. Les participants devraient appuyer sur l’une des deux touches du clavier qui correspondait aux positions de la sonde inférieure et supérieure, le plus rapidement possible, dès la détection de la sonde. Les temps de réponse sont mesurés et l’impact d’un mot menaçant sur les latences de détection de la sonde dans les deux positions de l’écran est analysé. Cette tâche permet de déterminer si l’attention visuelle après une détection d’un stimulus menaçant s’oriente vers le stimulus menaçant ou s’en détourne.

Les résultats ont montré que le pattern de réponse était différent selon qui s’agissait de sujets anxieux ou normaux. Dans le cas où la sonde remplaçait le mot menaçant dans la position supérieure de l’écran, les temps de réponse chez les anxieux étaient plus rapides que ceux observés lorsque la sonde remplaçait le mot neutre à la position supérieure et que le mot menaçant apparaissait à la position inférieure de l’écran. Dans le cas où la sonde apparaissait dans la position inférieure de l’écran et le mot menaçant dans la position supérieure de l’écran, les temps de réponse étaient plus longs que ceux observés lorsque la sonde remplaçait le mot menaçant. Ce pattern chez les anxieux signifie que les anxieux orientent préférentiellement leur attention vers la position où le stimulus négatif est apparu. C’est à dire que les anxieux semblent être plus vigilants aux stimuli négatifs. Ce qui est intéressant est que le pattern de l’orientation attentionnelle chez les sujets normaux était totalement opposé à celui des anxieux. Les sujets normaux détournaient leur attention de la position où le stimulus négatif était apparu, évitant ce stimulus négatif.

La tâche de détection de sondes avec des stimuli sous forme d’images au lieu de mots a été utilisée dans les études de Bradley et al.(1997), Bradley, Mogg, White, Groom & Bono (1999), et Bradley, Mogg et Miller (2000) etc. Par exemple, dans l’étude de Bradley & al. (1995b), deux visages humains présentant des expressions émotionnelles différentes (un visage négatif ou positif et l’autre neutre) ont été exposé simultanément pendant 500ms à l’aide d’un tachistoscope, aux champs visuels droit et gauche. Immédiatement après cette présentation, une sonde est présentée à la place de l’une des deux images. La tâche consistait à appuyer sur l’un des deux boutons de réponse qui correspondait à la position de la sonde droite ou gauche, le plus rapidement possible après la détection. Cette tâche ne requiert pas d’activité supplémentaire comme la lecture de l’un des mots à haute voix, dans l’expérience de MacLeod et al. (1986). Les consignes demandent simplement d’éviter de cligner les yeux et de bien diriger le regard en direction du point de fixation.

Les résultats ont montré que les temps de réponse chez les patients anxieux (GAD ; generalized anxiety disorder) étaient plus courts lorsque la sonde remplaçait le visage émotionnellement négatif que lorsqu’elle remplaçait le visage neutre (mode réactif de « vigilance » lié au stimulus négatif). Dans l’étude de Bradley et al. (1997) avec les sujets anxieux (normo-anxieux), les auteurs ont aussi observé l’effet du biais attentionnel lié à l’émotion pour les expressions faciales. Le groupe de contrôle a montré une forte tendance à l’évitement lié au stimulus négatif et une tendance à la vigilance à l’égard du stimulus positif. Un résultat similaire a été obtenu dans l’étude de Bradley et al. (2000) en utilisant trois groupes d’étudiants anxieux (niveau d’anxiété élevé, moyen et faible). La figure 4 montre les résultats de l’expérience Bradley et al. (2000).

Figure 4. Le biais attentionnel en fonction du niveau d’anxiété (faible, moyen et élevé) et du stimulus émotionnel (visage menaçant, triste et joyeux) (Bradley et al., 2000)
Figure 4. Le biais attentionnel en fonction du niveau d’anxiété (faible, moyen et élevé) et du stimulus émotionnel (visage menaçant, triste et joyeux) (Bradley et al., 2000)

Les résultats ont bien montré que le degré de vigilance à l’égard du visage négatif était dépendant de deux facteurs séparés : le niveau de l’état émotionnel du participant et le type de visage négatif (triste ou menaçant). Bradley et al. (2000, p. 803) ont noté que la vigilance attentionnelle pour les stimuli négatifs s’amplifie avec l’augmentation du niveau de l’état émotionnel du participant, par rapport à celle pour les stimuli positifs. Ils ont aussi trouvé que les participants étaient plus vigilants pour les visages menaçants que pour les visages tristes et ceci indépendamment du niveau d’anxiété. Par conséquent, les individus avec un niveau d’anxiété faible semblent préférentiellement éviter les informations négatives modérément aversives, alors que les individus avec un niveau d’anxiété élevé semblent orienter leur attention vers les informations négatives par la conjonction de deux facteurs : le niveau d’anxiété et l’intensité de la menace. L’effet attentionnel lié à l’anxiété est relativement clair dans nombre de recherches qui ont utilisé la tâche de détection de sondes. Mais avec les participants dépressifs, cet effet n’est pas apparu clairement (e.g., Bradley, Mogg, & Lee, 1997 ; Hill & Dutton, 1989 ; MacLeod et al., 1986). L’étude de Mogg, Bradley et Williams (1995) a montré l’effet de biais attentionnel lié à la dépression dans la comparaison avec un groupe contrôle mais il faut noter également que ce groupe dépressif avait un niveau d’anxiété très élevé. Par conséquent, il y a peu de preuves empiriques pour affirmer la présence d’un biais attentionnel lié à la dépression en utilisant ce paradigme expérimental.

Quoi qu’il en soit, les résultats des recherches sur la tâche de détection de sondes montrent bien un pattern particulier chez les individus normaux. Dans l’étude de Bradley et al. (1997), il y avait un effet significatif lié à l’évitement du stimulus négatif (le visage menaçant) chez les individus non dysphoriques et dans l’étude de Yiend et Mathews (2001), il y avait un effet d’interaction significatif entre la position du stimulus menaçant et celle de la cible chez les individus avec un niveau d’anxiété bas, mais pas chez les individus avec un niveau d’anxiété élevé.