3.1.3. Limites des interprétation en termes de facilitation du traitement

Les travaux récents indiquent certaines difficultés d’interprétation des phénomènes liées à la facilitation du traitement de stimuli négatifs. Premièrement, les effets émotionnels exposés précédemment sont liés à l’objet de préoccupation du sujet (current concern) ou à la catégorie émotionnelle plutôt qu’à la valence émotionnelle. Ensuite, il faut dire qu’en raison de l’utilisation de mots comme stimulus, dans la plupart des expériences, il n’est pas aisé de distinguer l’effet de l’émotion proprement dit de celui de l’activation sémantique. Bien que chez les anxieux, l’effet du biais attentionnel soit observé avec des stimuli généralement négatifs, le plus souvent, cet effet est associé au stimulus concernant l’émotion spécifique ou current concern du sujet (e.g., les mots liés à la dépression chez les dépressifs). Plusieurs expériences ont échoué dans leurs tentatives d’obtenir l’effet de la facilitation perceptive liée à la congruence de la valence émotionnelle entre le stimulus présenté et l’état émotionnel du participant (e.g., Clark, Teasdale, Broadbent, & Martin, 1983; Gerrig & Bower, 1982; MacLeod, Tata, & Mathews, 1987).

Deuxièmement, les résultats de la tâche de décision lexicale et de reconnaissance peuvent être interprétés par un biais de réponse (c’est-à-dire le biais opérant au moment de la réalisation de la réponse et non au niveau des processus cognitifs étudiés). Bien qu’il y ait de nombreuses preuves que la sensibilité perceptive soit influencée par le contenu émotionnel du stimulus (e.g., Broadbent & Gregory, 1967 ; Dorfman, 1967 ; Lane & Nadal, 2000), ces preuves ne sont pas suffisantes pour affirmer que le biais de réponse lié au traitement du stimulus émotionnel n’est pas impliqué. Il est possible que la facilitation du traitement du stimulus émotionnel soit favorisée, non seulement, par le niveau de l’input où l’attention sélective est influencée par un amorçage dû à l’état ou au trait émotionnel du sujet, mais aussi par le niveau de la réponse, biaisé par le sujet. Small et Robins (1988) ont observé l’effet de la facilitation avec des mots positifs antonymes de la dépression par rapport aux mots neutres. Ce genre de résultat est favorable à une interprétation en termes d’amorçage du niveau conceptuel impliquant les antonymes des mots associés à la dépression (Williams et al, 1997).

L’interprétation de l’effet de la tâche de détection de sondes est assez indépendante du biais de réponse (Williams et al., 1997). Cette tâche montre assez clairement la différence entre les anxieux et les normaux en ce qui concerne le pattern de l’allocation attentionnelle et l’attention sélective à l’égard du stimulus émotionnel : le pattern de la vigilance et de l’évitement. Avec des images telles que des expressions faciales, qui sont des stimuli plus écologiques et naturels, ce pattern attentionnel a toujours persisté. Mais, malheureusement, la tâche de détection de sondes n’a pas été employée avec différents états émotionnels. Pour instant, l’effet observé avec la détection de sondes semble être limité à l’anxiété. Soulignons encore que l’interprétation de l’effet de vigilance et d’évitement attentionnel impliqué dans la tâche de détection de sondes reste limitée à l’orientation initiale de l’attention et ne peut s’étendre à l’ensemble des processus attentionnels. En effet, ce paradigme ne donne qu’une image instantanée de l’état du participant à peu près 500msec après l’onset des stimuli. Ce paradigme ne donne pas d’information sur le pattern d’attention avant et après ces 500msec (Hermans Vansteenwegen & Eelen, 1999, voir aussi Eysenck, 1992). Récemment, Fox, Russo, Bowles et Dutton (2001) notent que l’effet lié à la tâche de la détection de sondes est associé à la capacité de désengagement de l’attention vis-à-vis du stimulus négatif plutôt qu’à une orientation de l’attention en direction du stimulus négatif chez les anxieux et un évitement du stimulus négatif chez les sujets normaux.

Quoi qu’il en soit, les études sur la défense perceptive et la détection de sondes suggèrent bien l’existence de patterns particuliers d’allocation attentionnelle selon les individus et leurs émotions. Ce qui est intéressant dans les études sur la défense perceptive, c’est que les anxieux montrent le plus souvent une faible ampleur ou une inversion du phénomène de défense perceptive (Mathews & MacLeod, 1985) bien que les données chez les dépressifs soient restées ambiguës (Powell & Hemsley, 1984). Cela peut signifier que les sujets dans un état émotionnel caractérisé (nettement triste ou anxieux) semblent plus vigilants et allouent plus de ressources attentionnelles au stimulus menaçant, tandis que les participants normaux semblent plus facilement détourner leur attention de ce stimulus en augmentant le seuil perceptif.