3.2.3. L’influence des caractéristiques des participants sur l’effet d’interférence

Généralement, les individus qui ont un trouble émotionnel ont plus tendance à être perturbés par le distracteur émotionnellement négatif. En revanche quelle que soit la valence émotionnelle du distracteur, cette tendance est absente chez les sujets normaux qui ne sont pas dans un l’état émotionnel particulier. Certaines recherches (e.g., McKenna & Sharma, 1995 ; White, 1996) montrent l’effet d’interférence avec les mots négatifs chez les participants normaux mais elles ne sont pas nombreuses et la taille de l’effet est beaucoup moins importante que celle observée avec des participants qui souffrent d’un trouble émotionnel ou qui sont induits émotionnellement par une situation particulière (e.g. les étudiants dans une période d’examen). La plupart des recherches utilisent un groupe de sujets sains comme groupe contrôle et montrent des temps de réponse plus longs dans le groupe émotionnellement perturbé ou induit que dans le groupe témoin. La population qui montre le plus régulièrement l’effet interférence est incontestablement celle qui manifeste une anxiété généralisée (e.g. Mathews & MacLeod, 1985 ; Mogg, Mathews & Weinman, 1989). D’ailleurs, l’effet de Stroop émotionnel a été plus largement étudié avec cette population anxieuse. Il y a aussi des preuves d’un effet de biais attentionnel avec des populations qui souffrent de phobie sociale (e.g. Mattia, Heimberg, & Hope, 1993), de phobie d’araignée (e.g., Watts et al., 1986), de troubles de la panique (e.g., McNally et al., 1994), de stress post-traumatique (PTSD) (e.g., Yule, 1992), de troubles obsessionnels compulsifs (e.g., Karno, Golding, Sorenson, & Burnam, 1988) et de dépression (e.g., Williams, 1992).

Mais, ce ne sont pas tous les participants dysphoriques qui montrent un biais attentionnel dans la tâche de Stroop émotionnelle ou avec des versions modifiées de cette tâche. Il y a un autre facteur lié à la caractéristique des sujets qui influence ou modifie l’effet d’interférence. C’est l’état et le trait émotionnel du participant. Le trait est considéré comme une « prédisposition » émotionnelle permanente telle que le tempérament d’une personne, alors que l’état vu comme une émotion liée à un épisode ou à un contexte particulier qui correspond à l’émotion « maintenant et pour le moment » (Williams et al, 1996).

Mathews et MacLeod (1985) ont montré que l’interférence dans la tâche de Stroop émotionnelle était liée à l’état d’anxiété plutôt qu’au trait d’anxiété. La même tendance a été trouvée dans l’expérience de Gotlib et Cann (1987) avec des participants dépressifs. Dans cette expérience, l’effet d’interférence observé au début du traitement clinique chez des patients dépressifs a disparu après une amélioration clinique. Ce résultat indique que l’effet d’interférence est dépendant de l’état actuel lié à la dépression. Dans l’étude sur l’anxiété aussi, l’expérience de Mathews, Mogg, Kentish, et Eysenck (1995) a constaté la même disparition de l’interférence après le traitement clinique chez les anxieux. Mais, dans des études qui ont manipulé le niveau de stress des participants, Mogg et al. (1990) et MacLeod et Rutherford (1992) n’ont pas trouvé d’effet d’interférence différent selon le niveau de stress.

Les recherches qui ont montré que l’interférence dans la tâche de Stroop émotionnelle était sensible au niveau de trait émotionnel sont également nombreuses. Citons les études qui ont utilisé les « anxiety inventories », Richards et Millwood (1989) qui ont montré que les participants avec un niveau élevé d’anxiété trait étaient plus perturbés avec des mots négatifs qu’avec des mots neutres, comparativement aux participants avec un niveau faible d’anxiété. L’étude de Dawkins et Furnham (1989) et celle de Mogg Mathews et Weinman (1989) ont trouvé le même effet.

Par conséquent, il est difficile de savoir quel facteur est plus lié à l’interférence dans la tâche de Stroop émotionnelle. Williams et al (1997, p. 98) supposent que le trait émotionnel demande une certaine activation par l’émotion actuelle ou par le contexte pour qu’il puisse provoquer une interférence dans la tâche de Stroop émotionnelle. Quoi qu’il en soit, le pattern attentionnel vigilant à l’égard du stimulus négatif chez les participants dysphoriques n’est pas un processus immuable. Il peut être modifié par l’émotion actuelle ou/et le tempérament émotionnel du participant.