3.2.4.2. Compétition des processus et capture attentionnelle

Une des découvertes importantes dans les recherches sur le biais attentionnel concerne le fait que ce ne sont pas toutes les tâches qui montrent l’effet du biais attentionnel. C’est-à-dire que les caractéristiques de la tâche sont un des éléments critiques pour faire apparaître un effet d’interférence. Mathews et MacLeod, (2002) indiquent que le biais attentionnel chez les sujets dysphoriques ne peut être observé que seulement quand la tâche a au moins deux processus qui sont en compétition pour capturer l’attention, et qu’ils sont différents au niveau de la valence émotionnelle. Dans une étude sur l’anxiété utilisant une tâche d’encodage, Mathews (1988) a rapporté que la détection d’un mot lié à l’anxiété n’était pas plus rapide chez les anxieux que chez les sujets témoins. Mais dans étude suivante (MacLeod & Mathews, 1991b) dans laquelle les mots étaient présentés avec un autre stimulus (non-mot), ces patients ont montré plus de rapidité pour la décision lexicale avec des mots liés à l’anxiété. Dans l’étude de Mathews et Milroy (1994) également, aucune différence fondée sur le niveau d’anxiété n’est apparue dans une tâche de décision lexicale avec une simple présentation d’une cible de valence neutre ou négative. Mais l’effet du biais attentionnel est apparu quand deux ou plus de deux cibles étaient présentées simultanément (MacLeod & Mathews, 1991 ; Mogg, Mathews, Eysenck, & May, 1991 ; voir aussi Byrne & Eysenck, 1995). Dans la tâche de Stroop, Martine, Williams et Clark (1991) n’ont pas trouvé d’effet du biais attentionnel à l’égard des mots liés à la menace chez des anxieux quand ils leur demandaient de lire le mot présenté. Ainsi, ce qui semble caractériser véritablement les sujets dysphoriques et surtout les anxieux c’est davantage une attention préférentielle pour les stimuli menaçants lorsqu’ils sont en compétition avec d’autres stimuli de valence émotionnelle différente, plutôt qu’une efficience particulière pour le traitement de l’information menaçante en elle-même. Nous allons discuter cette compétition en détails.

La tâche de Stroop émotionnelle, celle de détection de sonde et celle d’écoute dichotique sont des tâches basées sur la compétition entre le traitement d’un stimulus neutre et celui d’un stimulus négatif. L’effet du Stroop émotionnel et celui de la tâche d’écoute dichotique impliquent un pattern de la compétition directe entre le traitement de la cible (neutre) et celui du distracteur émotionnel. Le fait que chez les anxieux ou les sujets dysphoriques en général le traitement du distracteur menaçant provoque l’interférence et le ralentissement des temps de réponse à l’égard de la cible (la dénomination de couleur ou la répétition du mot entendu par l’oreille attentive), indique que le traitement du stimulus négatif entre en compétition pour capturer l’attention malgré, ou contre, les processus liés à la demande de la tâche et le contrôle de haut niveau. Mais, à l’inverse, l’absence d’effet indique que le traitement du stimulus distracteur modérément négatif ou menaçant, chez les sujets normaux, ne peut pas capturer plus d’attention dans la compétition avec le traitement de la cible qu’il n’en capture avec des stimuli neutre ou positif. Ainsi, le traitement du stimulus négatif chez les individus normaux ne révèle pas de pattern attentionnel particulier par rapport aux stimuli neutres ou positifs.

Dans ce sens, les résultats de la tâche de détection de sondes apportent un élément très intéressant. Dans cette tâche qui montre que les participants normaux ont un pattern attentionnel particulier, les temps de réponse avec la sonde apparaissant dans la position où le stimulus négatif avait été présenté étaient plus longs que les temps de réponse avec la sonde apparaissant dans la position où le stimulus neutre avait été présenté. Contrairement aux sujets dysphoriques, les sujets normaux ont plus de difficulté à répondre avec la sonde qui remplace le stimulus négatif. Il est difficile de dire s’ils évitent la position où le stimulus négatif a été présenté ou s’ils sont plus vigilants vis-à-vis de la position où le stimulus neutre est apparu, mais c’est un phénomène de biais attentionnel dont le pattern est orienté à l’inverse de celui des les sujets dysphoriques. De plus, ce pattern attentionnel ne semble pas lié au contrôle attentionnel ou stratégique associé avec la demande de la tâche principale parce que ce mode réactif de l’évitement à l’égard du stimulus négatif ne procure pas d’avantage pour la vitesse de détection.

La question importante dans ce sous-chapitre est de savoir pourquoi l’effet du biais attentionnel chez les participants normaux est apparu dans cette tâche et non dans la tâche de Stroop émotionnelle. Comme cela a été discuté avant, l’effet d’interférence dans la tâche de Stroop émotionnelle est basé sur la compétition directe entre le traitement du stimulus négatif et celui de la cible. Mais l’effet du biais attentionnel dans la tâche de détection de sondes est basé sur la compétition entre les deux traitements (stimulus négatif et neutre) qui ne sont pas liés directement à la performance de la tâche assignée. Autrement dit, le traitement du stimulus négatif entre en compétition avec un traitement qui n’est pas renforcé ou modifié par le contrôle attentionnel, tandis que dans la tâche de Stroop émotionnel, le traitement du contenu émotionnel entre en compétition avec le traitement de la cible, renforcé par le contrôle attentionnel. Si les individus dysphoriques ou non montrent un pattern attentionnel particulier par rapport au stimulus négatif, ce pattern attentionnel peut être plus facilement observable dans la condition où un traitement du stimulus négatif est en compétition avec un autre traitement qui implique le même niveau de contrôle vis-à-vis de la demande de la tâche.

Par conséquent, la tâche de détection de sondes va être plus sensible que la tâche de Stroop émotionnelle pour observer le biais attentionnel chez les sujets normaux, lequel biais est lié à l’évitement du stimulus négatif. Dans la tâche de Stroop émotionnelle, les processus de traitement du stimulus émotionnel qui sont activés simultanément à ceux de la cible peuvent jouer un rôle de distracteur, donc, le sujet doit inhiber ces processus quelle que soit la valence émotionnelle du stimulus en amplifiant les processus liés à la demande de la tâche assignée. Dans ce sens, l’effet de la tâche de Stroop émotionnelle reflète la distractibilité associée au stimulus émotionnel et la défaillance du contrôle attentionnel plutôt que l’attention sélective per se (Eysenck, 1992 p. 58). Par contre, le biais attentionnel observé dans la tâche de détection de sondes semble plus impliquer une différence individuelle au niveau de l’attention sélective à l’égard du stimulus émotionnel. A ceci s’ajoute le fait que le pattern attentionnel observé dans chaque groupe de sujets peut être lié à un mode de traitement par défaut «default processing mode» qui est utilisé en règle générale.

Quoi qu’il en soit, chacune des tâches montre les différents aspects de l’attention. Mais la tâche de Stroop émotionnel ne semble pas un bon paradigme pour mesurer le biais attentionnel chez les participants normaux. La tâche de détection de sondes semble plus sensible à cet effet, mais comme nous en avons discuté avant, l’effet du biais attentionnel dans la tâche de détection de sondes reflète l’orientation spatiale de l’attention du participant selon la valence émotionnelle, plutôt que l’attention générale.