4.1. Le modèle de Williams et al. (1988, 1997)

Le modèle de Williams et al (1988, 1997) explique les biais attentionnels par des troubles émotionnels et plus particulièrement par des problèmes liés à l’anxiété. Selon ce modèle, deux mécanismes sont responsables des biais attentionnels et pré-attentionnels : le mécanisme de décision affective (ADM pour Affective Decision Mechanism) et le mécanisme d’allocation de ressource (RAM  pour Resources Allocation Mechanism).

Le mécanisme de décision affective a pour fonction d’évaluer la valeur de la menace des stimuli environnementaux. Dans le cas où un stimulus recèle un caractère menaçant, ce dernier est détecté et les priorités pour le traitement ultérieur des informations sont modifiées, via le mécanisme de RAM. L’output produit par le système ADM dépend non seulement des caractéristiques du stimulus, mais également de l’état de l’humeur de l’individu. Ce mécanisme serait piloté soit de manière automatique (ou pré-automatique), soit de manière contrôlée et attentionnelle, selon les types de troubles émotionnels du sujet: l’anxiété induirait un fonctionnement automatique ou pré-automatique tandis que la dépression induirait un fonctionnement conscient car il se déclencherait après l’identification des stimuli.

Selon ce modèle, l’anxiété induirait donc un biais dès les premières étapes du traitement de l’information par exemple lors de l’orientation initiale de l’attention tandis que la dépression induirait un biais lors des dernières étapes du traitement de l’information, dans le processus mnésiques par exemple.

Un état d’anxiété élevé augmente l’output de l’ADM ce qui tend à augmenter la valeur de menace attribuée au stimulus. Le système RAM détermine alors l’allocation des ressources pour le traitement de l’information. Son opération est influencée par le niveau du trait d’anxiété des individus. Les individus  « normaux », donc non anxieux dans ce modèle, ont une tendance à orienter leur attention loin de la menace alors que les individus anxieux ont une tendance à orienter leurs ressources attentionnelles vers la menace. Cette hypothèse interactionniste propose que les biais attentionnels et pré-attentionnels sont le résultat d’une interaction entre état et trait d’anxiété.

Une des carences de ce modèle est qu’il ne prévoit pas le rôle essentiel joué par le phénomène de « compétition » (Mathews et MacKintosh, 1998). Comme nous l’avons vu, de nombreuses expériences mettent en évidence que, lorsqu’il n’existe pas de compétition au niveau de l’information présentée (tâche de Stroop, tâche de détection de sondes, présentation de mots ambigus, homophones ou homographes), les participants anxieux ne présentent pas un comportement différent de celui des participants normaux. De plus, ce modèle n’explique pas le comportement d’évitement des sujets non anxieux face à l’information modérément menaçante (Mathews et MacKintosh, 1998; Mogg et al., 1998, 1999).

Le modèle de Williams et collaborateurs (1996, 1997) a été mis à jour dans une perspective connexionniste. Le modèle de PDP (Parallel Distributed Processing) de Cohen, Dunbar et McClelland (1990) a été utilisé pour expliquer des résultats obtenus dans la tâche de Stroop émotionnelle. Partant de ce modèle PDP, Williams et al (1996, 1997) ont reformulé le fonctionnement du mécanisme de décision affective (ADM) en termes d’activation des unités d’inputs qui sont plus ou moins porteuses d’une valeur de menace. Dans le réseau connexionniste mis en place par Williams et al. (1996, 1997), l’activation des unités représentant un stimulus menaçant est renforcée par cette étiquette émotionnelle qui est sensible au contrôle neuromodulateur. L’étiquette émotionnelle est un produit, soit de l’état de préparation biologique, soit des connaissances antérieures. Cela donne un avantage aux unités d’input étiquetées comme menaçantes par rapport aux autres unités en compétition dans le réseau. Cela augmente automatiquement la probabilité de déclenchement du mécanisme d’allocation ou d’attribution des ressources (RAM), ce qui mène au biais attentionnel. Dans ce modèle basé sur le PDP, RAM se représente comme une unité liée à la demande de la tâche. Lorsqu’il n’existe pas de compétition, aucun avantage particulier n’apparaît, parce qu’un simple stimulus de menace, ou non, dirige toujours efficacement le produit en sortie de ce réseau, qu’il porte ou pas une étiquette de menace. Ainsi, ce modèle explique pourquoi la présence simultanée d’autres stimuli est une condition nécessaire pour permettre l’apparition d’un biais attentionnel.

L’originalité de Williams et al. (1996, 1997) est d’avoir modélisé les effets de l’anxiété mais, malgré la reformulation du modèle, peu de modifications ont été apportées au modèle de 1988. Les individus pour lesquels le niveau d’anxiété est élevé ont toujours une tendance à traiter de façon plus forte les unités liées à la menace, tandis que les individus avec un niveau d’anxiété faible ont une tendance à diriger leurs ressources attentionnelles loin de la source de menace.

Finalement, Williams et al. (1996, 1997) partagent le point de vue théorique de Oatley et Johnson-Laird (1987) qui attribuent une valeur adaptative aux émotions. En référence à la théorie de Oatley et Johnson-Laird (1987), Williams et al. (1997, p. 112) suggérent que « le rôle de l’émotion est de signaler un lien dans la poursuite des conséquences désirées ou l’évitement des conséquences non-désirées. L’émotion provoque les changements dans les modes de traitement de l’information pour mieux faire face à la situation potentiellement nouvelle qui peut exiger une action immédiate ». Mathews et MacLeod (1994) considèrent que le modèle le plus explicatif est celui de la priorité : chaque émotion primaire constitue un mode spécifique de traitement à l’intérieur du système cognitif, ce qui permettrait de déterminer des priorités de traitement.

Le modèle de Williams et al. (1988, 1997) permet de distinguer les différents biais attentionnels et cognitifs associés à la dépression, à l’anxiété et à la normalité, et les situent à différents niveaux du traitement de l’information. Mais ces hypothèses ne sont valables que lorsque les stimuli sont modérément négatifs (mais pas très négatifs) et pour des mots. Des données expérimentales, issues de travaux qui ont essentiellement utilisé des mots (e.g., Mathews & MacLeod, 1985 ; Mogg, Bradley, Williams, & Mathews, 1993a), ont contribué à l’élaboration du modèle de Williams et al. (1988, 1996, 1997). De tels stimuli présentent l’inconvénient d’avoir une valeur subjective et arbitraire ainsi qu’une fréquence différente d’utilisation selon les individus qu’ils soient dysphoriques ou normaux. Ce modèle ne peut cependant pas expliquer la vigilance attentionnelle à l’égard du stimulus de menace qui est pourtant très élevée chez les sujets normo-anxieux. Quel que soit l’état ou le trait émotionnel d’un individu, il est parfois vital de détecter et de réagir rapidement face à un stimulus dangereux et quelquefois l’individu réagit avant même que le stimulus ne soit complètement identifié. Ce genre de réaction rapide chez les sujets normaux a été identifiée dans le circuit thalamo-amygdalien par LeDoux (e.g., 1989, 1994b, 1995, 1996). Cet auteur affirme à partir de travaux sur un modèle animal de la peur, l’existence d’un système efficace qui permet de détecter rapidement le danger, de telle sorte que l’attention est dirigée automatiquement vers ce type d’information. Par conséquent, le modèle de Williams et al. (1988, 1997) semble apporter des réponses partielles pour expliquer un mode général de traitement de l’information émotionnelle.