4.2. Le modèle de Mogg et Bradley (1998, 1999)

Mogg et Bradley (1998) ont proposé une théorie alternative à la précédente fondée sur des mécanismes à la base des biais attentionnels liés à l’anxiété et la normalité. Ils suggèrent l’existence de deux systèmes de traitement du stimulus émotionnel : l’un sous-jacent à l’évaluation de la valence des stimuli, l’autre dévolu à l’engagement vers un but. Les fonctions du système d’évaluation de la valence correspondent à celles du système proposé par LeDoux (1989, 1994b, 1995, 1996; voir aussi Sander & Koenig, 2001) dans son modèle anatomo-physiologique, comprenant une analyse automatique et rapide des caractéristiques du stimulus, mais aussi l’intégration simultanée d’une information plus détaillée. Selon LeDoux, l’amygdale jouerait un rôle central dans l’évaluation du danger parce qu’elle recevrait directement, non seulement les entrées sensorielles « rapides et brutes » (quick and dirty) par l’intermédiaire du thalamus -qui permet d’allouer des réponses rapides sur la base d’informations limitées sur le stimulus- mais également des informations plus détaillées sur le stimulus par l’intermédiaire des voies neuronales plus longues et plus lentes de l’hippocampe et des régions corticales. Ainsi, le système d’évaluation de la valence dépend de l’intégration de diverses sources d’informations provenant de l’analyse des niveaux sous-corticaux et corticaux. Par conséquent, plusieurs variables peuvent influencer l’output de ce système, c’est-à-dire que non seulement la nature même du stimulus peut exercer une influence sur l’output du système, mais aussi l’état émotionnel, plus particulièrement anxieux de l’individu, le contexte dans lequel le stimulus est évalué, le contexte biologique interne et les expériences passées.

L’output du système d’évaluation de la valence est acheminé vers le système d’engagement du but, et ce dernier détermine en retour l’allocation des ressources en faveur du traitement de chaque stimulus selon sa valence. En d’autres termes, le système d’évaluation de la valence permet d’évaluer les propriétés affectives du stimulus, et l’output de ce système permet d’organiser le comportement de la personne, via le système d’engagement du but. Si un stimulus est étiqueté comme ayant une valeur élevée de menace ou une connotation négative élevée, le système d’engagement du but interrompt automatiquement ses activités en cours et assignera les ressources attentionnelles au traitement de la menace (Gray, 1982). Ce mécanisme reflète bien une dimension évolutionniste en étant sensible aux stimuli qui peuvent mettre en danger l’organisme et en mettant en place automatiquement (et rapidement) un ensemble coordonné de réponses (cognitives, comportementales et physiologiques) qui interrompent les buts en cours et activent des processus pour faire face à la menace potentielle. Par contre, si le stimulus est considéré comme non menaçant, alors l’organisme s’en désintéresse, inhibe tout traitement ultérieur de ce stimulus, et maintient le traitement de l’information et les ressources attentionnelles sur les processus liés aux buts en cours.

Dans ce modèle, l’anxiété-trait reflète la réactivité du système d’évaluation de la valence face aux stimuli négatifs, c’est-à-dire que le système est plus sensible chez les individus qui ont un niveau élevé d’anxiété-trait. Ainsi, un stimulus modérément menaçant pourrait être évalué comme une menace élevée chez les individus avec une anxiété-trait élevée, et l’évaluation de ce type de stimulus produirait une augmentation de l’allocation des ressources attentionnelles, via le système d’engagement du but. Les individus normaux présentant un niveau modéré d’anxiété-trait évalueraient ce même stimulus comme étant peu menaçant, et par conséquent, ne favoriseraient pas le traitement d’une menace jugée insignifiante. L’attention s’orienterait plutôt vers des stimuli hédoniques positifs, ou vers des buts pertinents. Par contre, si la connotation négative du stimulus augmentait, les individus normaux dirigeraient leur attention vers ce type d’information plutôt que de s’en détourner. Ainsi, ce modèle prévoit que la valeur croissante de la menace est associée à une augmentation de la vigilance chez les individus normaux.

En grande partie, les systèmes de l’évaluation de la valence du modèle de Mogg et Bradley (1998) correspondent aux fonctions des mécanismes de décision affective et d’allocation des ressources (Williams et al., 1988). Mais, dans le modèle de Williams, les différences individuelles dans la vulnérabilité à l’anxiété dépendent principalement du mécanisme responsable de l’allocation des ressources attentionnelles aux stimuli de menace ; dans ce modèle de Mogg et Bradley ces différences dépendent en grande partie des processus responsables de l’évaluation de la menace. De plus, ces différences conduisent à des prédictions différentes concernant le biais attentionnel face à des stimuli moyennement menaçants et celui face à des stimuli fortement menaçants. Selon Williams et al. (1988, 1997), les sujets anxieux deviennent plus vigilants et les sujets non anxieux deviennent plus évitants face à la menace, à mesure que la valeur de menace augmente. Dans le modèle de motivation cognitive de Mogg et Bradley, à la différence du précédent, un système efficace de détection de menace permet de s’assurer que l’attention est dirigée vers de réelles menaces (e.g., un serpent qui se dresse devant un individu) et ce, quelque soit le degré d’anxiété de l’individu (voir figure 6).

Figure 6. Modèle de Williams et al, (1988) (en haut) et modèle de Mogg et Bradley (1998) (en bas).
Figure 6. Modèle de Williams et al, (1988) (en haut) et modèle de Mogg et Bradley (1998) (en bas).