4.4. Le modèle de Wells et Matthews (1994, 1999)

Le modèle à niveau multiples proposé par Wells et Matthews est basé sur le rôle des connaissances sur soi (« Self-Knowledge ») dans l’organisation et le guidage de la stratégie de l’individu pour atteindre ses buts et sur la modification de ces connaissances dans le temps. Ce modèle à niveaux multiples tente d’accommoder les éléments caractéristiques qui sont sous-jacents à la relation réciproque entre l’émotion et l’attention. Selon Mattews et Wells (1999, p. 181), le modèle met en avant:

Trois niveaux de cognition interviennent dans ce modèle. Le premier est celui du réseau de bas niveau qui est opérationnel et guidé par les priorités du stimulus. Le réseau est activé automatiquement mais c’est un système incomplet pour répondre à la menace. Le deuxième niveau est lié au processus contrôlé correspondant à l’appraisal conscient et à la régulation de l’action. Le troisième niveau correspond au stockage des connaissances sur soi en mémoire à long-terme. Il comprend les items liés aux connaissances acquises par l’expérience et les stratégies pour la régulation. Face à certaines menaces, un individu active un plan ou une stratégie à partir de la mémoire à long terme et adapte ce plan à la demande de la situation immédiate grâce au système exécutif  de la régulation de l’état du soi « Self-Regulatory Executive Function (S-REF) ».

Le plan se distingue d’un processus automatique par le fait que dans un processus aucune réponse ou séquence n’est spécifiée. D’après ce modèle, chaque stimulus menaçant ou négatif peut enclencher des stratégies différentes selon la situation pour être traité et régulé. Ainsi, la réaction doit elle être contrôlée par les plans ou les stratégies plutôt que par un processus automatique.

Le S-REF a deux fonctions principales. La première consiste à contrôler la sélection attentionnelle selon la stratégie et le plan comme dans le cas de l’attention guidée par un schéma. Le processus du haut niveau peut activer les unités de bas niveau associées aux traits « feature maps » particulier dans le champ visuel (Cave & Wolfe, 1990), ou aux assemblages « templates » pour les objets qui suscitent l’intérêt (Duncan & Humphreys, 1989). La deuxième fonction du S-REF consiste à traiter les intrusions de l’information provenant du réseau de bas niveau. Ce traitement peut consister en un rejet de l’intrusion pour les activités actuellement en cours ou bien par l’interruption du plan actuel et par une activation d’un nouveau plan ou d’une nouvelle stratégie. Dans ce modèle, le traitement de l’intrusion lui-même est un processus guidé par le plan (plan-driven). Il permet de décider de l’action qui doit être prise face à l’intrusion spécifique. Par exemple, un plan lié à l’action de conduire une voiture peut spécifier l’action de freinage en réponse à la perception d’un chien traversant la route. Wells et Matthews considèrent que l’exécution d’un plan ainsi que le traitement de l’intrusion est contrôlé par l’ensemble des mécanismes de traitement.

Wells et Mathews proposent l’existence d’un sous système du S-REF (Self-Regulatory Executive Function) affecté au traitement du stimulus négatif. Selon cette hypothèse, les dysphoriques tels que les anxieux ou les dépressifs sont caractérisés par l’activité excessive de ce sous système lié aux plans qui incorporent des croyances négatives sur soi. Ils sont aussi caractérisés par une participation excessive du S-REF dans le processus de traitement en cours. Par exemple, dans le cas de l’anxiété, les anxieux ont plus tendance à accéder au plan lié à la surveillance de l’environnement, qui peut être spécifié par la recherche active de la menace et le maintien de l’attention sur le stimulus menaçant lequel peut alors accéder à la conscience. Cette tendance à la surveillance excessive peut induire une allocation des ressources attentionnelles plus importante à l’égard du stimulus négatif et provoquer des latences plus longues pour les temps de réponse dans la tâche de dénomination de la couleur avec des mots négatifs. Finalement, le biais attentionnel observé dans la tâche de Stroop émotionnelle peut être considéré comme la manifestation d’une stratégie qui repose sur l’option d’une surveillance renforcée de la menace.

Les activités du S-REF sont initiées par des stimuli diversifiés, externes ou internes, liés à la menace sociale, psychologique ou physique. L’input provenant de ces stimuli active les buts et les plans liés à la régulation de l’état du soi. Il guide alors le système exécutif en appliquant des procédures top-down. Ce dernier, en retour, analyse le stimulus et sélectionne la stratégie qui permet de répondre à la question :« quel est le processus top-down le mieux à même de gérer ce stimulus particulier ?». Le sous-système S-REF reste actif tant que le défaut d’ajustement pour l’état du soi (self-discrepancy) n’a pas été résolu. Des troubles émotionnels comme l’anxiété, qui sont difficiles à contrôler par l’individu, peuvent être le résultat d’une activité prolongée de S-REF.

En outre, le processus de référence au soi peut lui-même influencer les autres processus généraux et ce, même si le stimulus concerné est absent. Ce processus diminue dans un premier temps les ressources attentionnelles engagées dans les autres processus et provoque une réduction générale de la performance à la tâche assignée. Ensuite, ce processus de référence au soi influence les processus de niveau plus bas et de niveau plus haut du plan: le contrôle peut modifier indirectement le niveau d’activation des unités de bas niveau (Norman & Shallice, 1986), le processus de référence au soi va alors modifier également l’activation des unités de haut niveau liées au contenu du plan. Ces activations résiduelles vont aider à augmenter la probabilité d’activation du S-REF.

En résumé, le modèle de S-REF développe une hypothèse basée sur l’effet de stratégie associé à la fonction exécutive du sous-système de régulation de l’état de soi. Selon Wells et Matthews, la plupart des troubles émotionnels, y compris l’anxiété généralisée, sont liés au plan de la surveillance de la source de menace, qui spécifie la focalisation et le maintien de l’attention sur les indices d’une menace congruente avec le trouble particulier de l’individu. Par conséquent, la stratégie sert à sensibiliser le système aux stimuli menaçants et à développer la détection de la menace ainsi que la surveillance vis-à-vis d’une menace future.