6.1.1.3. Discussion

Les résultats ont montré que la capacité attentionnelle du participant n’affecte pas la taille du biais attentionnel quelle que soit la valence émotionnelle du distracteur. La figure 13 montre qu’après l’induction par les images négatives, les participants avaient plus de difficulté à nommer la couleur avec les stimuli négatifs et neutres qu’avec des stimuli positifs. Bien que l’attention portée au stimulus neutre soit augmentée, par rapport aux résultats des expériences 1 et 3, l’allure générale du pattern attentionnel semble être modifiée après l’induction avec les images négatives. Quoiqu’il en soit, la Figure 13 montre que les « bons contrôleurs » du distracteur dans la tâche de Stroop originale employaient le même pattern attentionnel selon les stimuli émotionnels. Ces résultats indiquent que le pattern et le mode attentionnel lié au traitement du stimulus émotionnel peut être plus sensible au contexte émotionnel qu’à la capacité de contrôle attentionnel chez les individus normaux.

Deux interprétations sont possibles pour le résultat de cette expérience. Premièrement, en ce qui concerne la recherche de Derryberry et Reed (2002), la différence de performance entre les individus anxieux dotés d’un bon contrôle attentionnel et ceux dotés d’un contrôle faible reposait sur le temps d’interception du distracteur. Selon les résultats, tous les participants anxieux ont montré le biais attentionnel (difficulté de désengagement) à l’égard du stimulus négatif avec un SOA de 250 msec entre le stimulus négatif et l’apparition de la cible quelles que soient leurs capacités attentionnelles bonnes ou mauvaises. La différence entre les deux populations à l’égard du biais attentionnel est apparue avec un SOA de 500 msec. Dans notre expérience, le stimulus émotionnel a été présenté très rapidement (30 msec) avec un ISI très court (90msec). Ceci suggère que le biais attentionnel n’est pas sensible au contrôle attentionnel au niveau précoce du traitement et va dans le sens de l’hypothèse d’une activation automatique à ce niveau. L’activation à ce niveau semble être plus sensible à l’état ou au contexte émotionnel. Par conséquent, comme dans la recherche de Derryberry et Reed (2002), il est possible que les participants avec un bon contrôle attentionnel puissent neutraliser le biais attentionnel provoqué involontairement ou automatiquement, plus rapidement que les participants avec un faible contrôle attentionnel, mais ils ne peuvent pas modifier le pattern attentionnel lui-même lié au bas niveau de traitement.

Deuxièmement, le contexte émotionnel qui peut induire l’état émotionnel du participant peut aussi activer une stratégie de traitement du stimulus émotionnel (e.g., process knowledge – driven). De ce point de vue, on peut supposer deux stratégies possibles: une stratégie de contrôle orientée vers la demande de la tâche et une autre, activée par le contexte émotionnel négatif qui favoriserait le traitement des stimuli négatifs. Ces deux stratégies de contrôle peuvent activer les unités de l’input liées au traitement du stimulus concerné: soit la tâche, soit les stimuli négatifs. En particulier, dans la tâche où il n’y a pas de compétition directe au niveau de l’input, l’activation du stimulus favorisé par le système affectif qui est activé par le contexte émotionnel peut se renforcer sans être intercepté par la demande de la tâche principale. Le stimulus émotionnel dans la tâche que nous avons utilisée était présenté séparément avec un ISI de 90 msec entre la cible et le stimulus émotionnel. De plus, il était un stimulus non pertinent vis-à-vis de la tâche mais il la perturbait beaucoup moins que les mots de couleur. La tâche n’oblige pas de traiter profondément ce stimulus émotionnel parce qu’il ne présente aucun indice utile pour la dénomination rapide de la couleur. Les visages ne comportaient pas d’indice lié à la réponse potentielle contrairement à la tâche de Stroop originale, ni un indice lié à la position de la cible comme c’est le cas dans la tâche de détection de sondes. Les visages ne sont pas non plus des composants du stimulus cible lui-même, contrairement à la tâche de Stroop émotionnel. Ces éléments peuvent impliquer que les participants ne contrôlaient pas vraiment le stimulus émotionnel quelle que soit la valence émotionnelle.

Par conséquent, dans la tâche que nous avons utilisée, le pattern attentionnel au bas niveau de traitement du stimulus négatif, soit automatique, soit favorisé par un autre processus lié au système affectif ne semble pas sensible à la capacité de contrôle attentionnel. Cette insensibilité du processus émotionnel au contrôle attentionnel semble apparaître dans les tâches qui utilisent l’amorçage ou la pré-signalisation (priming ou cueing) avec le stimulus émotionnel, c’est-à-dire, en l’absence de la cible au moment du traitement du distracteur émotionnel. Quand l’input du stimulus émotionnel est en compétition directe avec la cible, il semble plus facilement intercepté par l’activation de la cible comme dans la tâche de Stroop émotionnel et dans l’expérience 3. Mais, comme dans la tâche de détection de sondes ou dans la tâche utilisée ici, quand la cible est absente, au moment de la présentation du distracteur émotionnel, le pattern attentionnel semble apparaître plus facilement et échapper au mécanisme de régulation lié à la demande de la tâche. Mais cet aspect n’exclut pas l’influence du contrôle attentionnel sur le mode de traitement du stimulus émotionnel. Dans le cas de l’expérience 5, le niveau de compétition des processus entre le stimulus émotionnel et la cible est très bas et de plus, un autre distracteur plus fort (mot de couleur) est présent. Dans ce genre de situation, les sujets n’ignoreront pas davantage le distracteur émotionnel avec le contrôle volontaire même si on demande aux participants d’ignorer les visages dans les consignes de la tâche et qu’ils peuvent inhiber ces visages volontairement.