6.3. Discussion générale

Selon les deux expériences que nous venons de présenter, le pattern attentionnel lié au traitement du stimulus négatif ne semble pas être sensible au contrôle attentionnel associé à la demande de la tâche principale. Au contraire, ce pattern est beaucoup plus sensible aux facteurs qui peuvent influencer l’input du stimulus négatif tels que le contexte émotionnel ou la fréquence d’apparition du stimulus.

L’expérience 5 a mis en évidence que la capacité attentionnelle du participant n’affecte pas le pattern de traitement de bas niveau du stimulus négatif. L’activation du stimulus négatif est augmentée par l’induction émotionnelle et devient un distracteur de la tâche. Cependant, la régulation de ce distracteur ne semble pas liée aux différences individuelles dans la capacité de résister à la distraction par le mot de couleur dans la tâche de Stroop originale. Dans la recherche sur les anxieux, Derryberry et Reed (2002) ont montré que les participants anxieux avec un bon contrôle de l’attention peuvent intercepter le biais attentionnel plus rapidement par rapport aux participants anxieux avec un faible contrôle attentionnel. Mais dans un laps de temps très court, même les individus anxieux avec un bon contrôle ne peuvent pas modifier le pattern attentionnel lui-même en faveur de la demande de la tâche. Ces éléments suggèrent que le biais attentionnel n’est pas sensible au contrôle attentionnel au niveau précoce du traitement et vont dans le sens de l’hypothèse de l’activation automatique du stimulus négatif à ce niveau.

Dans l’expérience 6, bien que les participants aient été conscients d’une fréquence d’apparition plus importante du stimulus négatif par rapport aux autres stimuli émotionnels dans la phase d’induction, ils n’ont pas pu développer et utiliser cette attente pour améliorer leur performance à la tâche. Par contre, la fréquence d’apparition du stimulus négatif dans la tâche semble faciliter le traitement du même type de stimulus. C’est un effet d’activation lié à la séquence locale ou un amorçage sur le traitement du même type de stimulus. Cette facilitation du traitement peut aider le contenu émotionnel négatif à entrer dans la conscience ou plus simplement à accéder à un niveau ultérieur du traitement et entrer en compétition plus forte avec le traitement de la cible. Le stimulus négatif devient alors un distracteur qui perturbe le traitement de la cible. De fait, les participants avaient plus de facilité à ignorer l’information négative quand la fréquence d’apparition des visages négatifs était beaucoup moins importante.

Selon les résultats que nous avons observés jusqu’ici, on peut distinguer deux modes distincts de traitement du stimulus négatif. Premièrement, dans la condition où le stimulus négatif est présenté pendant 30 msec, le code perceptif du stimulus négatif est relativement faible. Dans cette condition, le pattern attentionnel lié au traitement du stimulus négatif est plutôt associé à l’évitement de ce genre de stimulus et au renforcement du processus demandé par la tâche principale. Cette tendance est liée spécifiquement au traitement du stimulus négatif plutôt qu’à un stimulus affectif (négatif et positif). Kitayama (1990) a centré son hypothèse sur les stimuli affectifs en général mais, selon les résultats de présente recherche, un stimulus positif, même si sa présentation est très brève (code perceptif faible), joue généralement un rôle de distracteur. Le traitement du stimulus positif n’est pas associé à la défense perceptive ou à l’évitement quelle que soit la condition (code perceptif faible ou fort).

Deuxièmement, dans la condition où le code perceptif est relativement fort, le traitement du stimulus négatif devient un distracteur et engage la compétition avec le traitement de la cible. Le pattern attentionnel lié à l’évitement du stimulus négatif est observé seulement avec la condition 30 msec sans autre manipulation. Cet effet du stimulus négatif a disparu dans la condition de la fréquence d’apparition élevée des visages négatifs dans l’expérience 6 et la condition de l’induction émotionnelle négative dans les expériences 4 et 5. Ces conditions plus ou moins liées à l’augmentation de l’activation du stimulus négatif ou à l’efficacité de ce traitement et/ou à la compétition avec le traitement de la cible peuvent rendre compte de l’interférence.

Par conséquent, le pattern attentionnel lié à l’évitement du stimulus négatif peut être modifié par les facteurs qui peuvent influencer l’input du stimulus négatif tels que le contexte émotionnel ou la fréquence d’apparition du stimulus mais il n’est pas contrôlé par la demande de la tâche (le contrôle ne pouvait pas inhiber le stimulus négatif comme c’était le cas auparavant lorsque l’input ou le traitement du stimulus négatif était renforcé). Le mode réactif de l’évitement du stimulus émotionnel semble apparaître dans la condition où le contrôle attentionnel et la compétition des processus sont relativement faibles. Mais quand l’input du stimulus négatif est renforcé et le contenu émotionnel est plus susceptible d’accéder à un niveau ultérieur de traitement ou d’entrer dans la conscience, le traitement du stimulus négatif devient un distracteur et interfère avec le traitement de la cible en capturant les ressources attentionnelles. Cette hypothèse implique une différence d’effet de l’émotion chez les individus « normaux » selon le mode de présentation conscient ou non des stimuli.