2. un processus automatique ou stratégique ?

De nombreux arguments sont dans le sens de l’hypothèse d’un pattern attentionnel pour le traitement du stimulus négatif « vigilant processing mode » associé à un phénomène pré-attentionnel soit chez les patients anxieux soit les sujets normo-anxieux (e.g., Bradley et al., 1995a ; MacLeod & Hagan, 1992 ; MacLeod & Rutherford, 1992; Mogg et al., 1994). Cette hypothèse pré-attentionnelle suppose l’existence d’un système qui peut évaluer la valence émotionnelle du stimulus avant l’identification conscient du stimulus (e.g., Mathews et MacKintosh, 1998; Mogg et al, 1999; Williams et al., 1997) et l’automaticité de l’allocation des ressources attentionnelles au stimulus négatif.

Selon les résultats de la présente recherche, l’effet de l’évitement du stimulus négatif était associé au processus pré attentionnel et indépendant du contrôle attentionnel. L’effet du biais attentionnel était présent dans la condition où les participants ne pouvaient pas identifier le visage. Cet résultat indique que chez les individus normaux aussi, la valence émotionnelle du stimulus peut être évaluée sans nécessité d’une identification consciente. Mais contrairement aux individus anxieux, les individus normo-anxieux inhibent automatiquement le traitement du stimulus négatif et allouent plus d’attention au traitement de la cible tandis que les stimuli neutre ou positif jouent un rôle de distracteur. Ces aspects sont incompatibles avec les modèles proposés dans les études sur le biais attentionnel chez les dysphoriques. Les modèles de Williams et al. (1997), de Mathews et MacLeod (2002) et de Dalgleish, Mathews et Wood (1999) expliquent que le « default avoidant processing mode» caractéristique de la population normale est déterminé par la capacité du contrôle exécutif qui à pouvoir l’opposer à l’activation provoquée par le stimulus négatif. Mais, avec le paradigme que nous avons utilisé dans cette recherche, l’inhibition du stimulus négatif pouvait bien être automatique au stade pré-attentionnel et elle n’est pas liée au contrôle exécutif. Par ailleurs, les individus normo-anxieux ne pouvaient pas contrôler la modification du pattern attentionnel au terme de laquelle le stimulus négatif devient un distracteur et provoque l’interférence avec le traitement de la cible même si les participants étaient conscients de ce qu’une grande partie des visages présenté étaient négatifs. Cette augmentation de la fréquence d’apparition empêche plutôt d’inhiber le stimulus négatif. Ce résultat n’est pas cohérent non plus avec le modèle d’Öhman et Mineka (2001) qui postulent un biais attentionnel ou pré attentionnel unidirectionnel. C’est-à-dire la vigilance attentionnelle face au stimulus menaçant ou un pattern de réaction contrôlé qui se traduit par un effet nul du stimulus négatif.

Au niveau pré-attentionnel, la différence des patterns attentionnels entre les deux populations dysphoriques et normale semble être plus clairement prononcée. Quand l’input du stimulus négatif augmente sous l’influence de certains facteurs comme, par exemple, le temps de présentation ou la fréquence d’apparition du stimulus négatif, ou encore le contexte émotionnel, cette tendance disparaît et le stimulus négatif devient un distracteur vis-à-vis du traitement de la cible. D’ailleurs avec le contexte négatif (expérience 4), l’effet de l’évitement du stimulus négatif n’a pas simplement disparu, mais le pattern est aussi devenu équivalent au mode de vigilance attentionnel, c’est-à-dire que le stimulus négatif a interféré avec le traitement de la cible, plus fortement que les stimuli neutre ou positif. Par conséquent, dans la condition où le stimulus négatif peut être traité plus efficacement (par rapport à la condition de 30 msec de temps de présentation avec un masque ou non), la différence entre les populations dysphorique et normale à l’égard du processus du stimulus négatif ne repose pas sur un mode de traitement qui serait qualitativement différent. Dans cette condition, le traitement du stimulus négatif interfère avec celui de la cible dans les deux populations.

La différence d’amplitude du biais attentionnel entre les deux populations dysphorique et normale peut être déterminée par la distractibilité du stimulus négatif et la contrôlabilité à l’égard de ce distracteur, si le processus de traitement du stimulus négatif entre en compétition avec le traitement de la cible sans être inhibé. Les patients anxieux et les normo-anxieux lorsqu’ils sont dans un état émotionnel négatif, peuvent avoir plus de difficulté à contrôler le stimulus négatif parce qu’il est renforcé par le système affectif, mais par contre, les individus normo-anxieux en dehors d’un contexte émotionnel particulier peuvent contrôler plus facilement le stimulus négatif et il en résulte une différence faible ou inexistante de l’effet distracteur négatif par rapport au stimulus neutre, même s’il devient conscient. Par conséquence, bien qu’au niveau du traitement précoce, les individus normaux inhibent automatiquement le traitement du stimulus négatif dans un état émotionnel neutre, et activent aussi automatiquement ce traitement selon un contexte émotionnel ou l’état émotionnel négatif, le rôle du contrôle dans le traitement ne doit pas être sous-estimé.

Quoi qu’il en soit, le mode réactif appliqué au traitement du stimulus négatif pouvait être dynamiquement modifié par les facteurs capables d’influencer l’input du stimulus négatif et cette modification était relativement indépendante du contrôle attentionnel lié à la tâche (voir expériences 5 et 6). Le niveau d’activation du stimulus négatif semble donc être plutôt défini par le système affectif sensible au contexte émotionnel et par les propriétés du stimulus comme le niveau de menace, la clarté ou la durée de présentation du stimulus négatif. Les propriétés d’un stimulus négatif peuvent déterminer directement l’identification du stimulus, et bien que l’état et le trait émotionnel ne puissent pas à eux seul assurer l’identification des objets négatifs, ils peuvent faciliter l’identification et augmenter l’efficacité de ce traitement en y allouant plus de ressources attentionnelles (Mogg & Bradley, 1998; Yantis, 1998) quel que soit l’activation initiale du stimulus négatif. Finalement, le traitement du stimulus négatif renforcé par le système affectif peut entrer en compétition avec celui de la cible avec plus d’efficacité. Chez les patients anxieux ou les sujets normo-anxieux, même si la facilitation du système affectif n’est pas suffisante pour permettre l’identification consciente du distracteur négatif (dans la condition de la présentation subliminale), ce système semble mobiliser l’attention pour augmenter l’efficacité du traitement du stimulus menaçant (e.g., Bradley et al., 1995a; Mogg et al., 1993a).

Le pattern de l’évitement du stimulus négatif ne semble pas être un processus constant chez les individus normaux. Selon l’émotion éprouvée par le sujet, le mécanisme lié au « monitoring et filtering» de l’environnement peut être dynamiquement modifié. La différence entre les sujets dysphoriques et les individus normo-anxieux repose sur la faculté de changement dynamique et automatique du mode réactif « avoidant», « vigilant», ou encore « normal » dans lequel il n’y a pas de différence avec les autres stimuli émotionnels selon l’environnement, versus le dysfonctionnement de ce mécanisme (i.e., un mode de traitement qui est systématique dans toutes les situations), chez les sujets dysphoriques.