1.2. Sensibilité phonologique ou “ capacité épi-phonologique ”

Au cours d’activités ludiques mettant en jeu le matériel sonore de la langue, l’enfant pré- lecteur, en jouant avec les sons, découvre qu’au-delà des assonances avec lesquelles il s’est familiarisé en apprenant des comptines, il existe entre certains mots des similitudes phonologiques. Cette sensibilité à la structure phonologique de la langue orale que Gombert (1992) qualifie de sensibilité phonologique ou de capacité épi-phonologique n’implique pas de traitement conscient. Elle résulterait du développement linguistique “ naturel ” et émergerait avant l’apprentissage de la lecture (Morais, Bertelson, Cary, & Alegria, 1986) avec quelques différences liées à la qualité de leurs productions orales (Webster & Plante, 1995) et au niveau du vocabulaire stocké (Fowler, 1991 ; Metsala & Walley, 1998 ; Walley, 1993). Webster et Plante (1995) ont montré que les enfants dont la qualité des productions orales est peu développée obtiennent des scores significativement plus faibles aux tâches phonologiques que les enfants avec une bonne qualité de production de parole. De même, les enfants avec un niveau de vocabulaire important ont des performances plus élevées dans des tâches phonologiques que celles des enfants avec un vocabulaire plus faible. Ces performances sont plus élevées pour les mots familiers que pour les mots non familiers (Bowey & Francis, 1991). Chaney (1992) montre que les scores en vocabulaire expressif d’enfants de 4 ans sont significativement corrélés avec des scores composites en phonologie. L’étendue de la restructuration lexicale influencerait les performances dans les tâches phonologiques implicites ; celle-ci dépendrait du développement du vocabulaire des enfants.

Des tâches telles que le jugement de similarité phonologique ou encore de détection de l’intrus (‘“ Rhyming odd-word-out ”’) sont généralement utilisées pour évaluer cette sensibilité phonologique. Par exemple, Bradley et Bryant (1983) montrent que les enfants, dés 4 ans, peuvent déterminer parmi trois ou quatre mots monosyllabiques, celui qui ne s’apparie pas avec les autres (“ pin ”, “ win ”, “ sit ”, et “ fin ”). Dans le même sens, ils peuvent juger si deux mots présentent des caractéristiques communes ou non (Martinot & Gombert, 1996). Ces tâches n’impliquent pas d’opérer un contrôle intentionnel sur les unités. Martinot et Gombert (1996) parlent d’un ‘“ simple contrôle exercé par l’organisation des connaissances phonologiques en mémoire à long terme sans intentionnalité ”’ (p.268). En revanche, à ce niveau, les enfants sont incapables de réussir des tâches impliquant l’isolement et la manipulation de segments linguistiques, telles que la détection, la transposition ou l’identification de l’unité commune. L’expérience de Duncan, Seymour et Hill (1997) illustre bien cette observation. En effet, les performances des enfants prélecteurs dans la tâche de détection de l’intrus portant sur la rime sont élevées alors que dans la tâche de détection d’unité commune, ces derniers sont incapables de prononcer le segment rimant partagé par deux mots. Ceci implique que l’étude des habiletés phonologiques nécessite d’opérer une distinction entre des processus au statut cognitif différent selon qu’ils sont accessibles ou non à la conscience. Bien qu’Harris et Beech (1998) ainsi que Seymour, Duncan et Bolik (1999) préfèrent décrire cette habileté en terme de ‘“ conscience phonologique implicite ”’, nous continuerons, tout au long de cet exposé, à parler de capacité “ épi-phonologique ” que nous opposerons ultérieurement à la capacité “ méta-phonologique ” qui semble apparaître seulement lors de l’apprentissage de la lecture, en particulier pour l’unité phonémique. L’étude des habiletés phonologiques quel que soit le traitement impliqué (épi vs méta), nécessite donc que nous prenons en considération le type d’unité traitée.