2.3. Organisation des unités lors de l’apprentissage de la lecture

La question du format des unités impliquées dans le traitement phonologique des mots écrits fait l’objet d’un large débat. Deux conceptions semblent s’opposer sur l’importance des unités larges et des unités réduites au début de l’apprentissage de la lecture. L’une avance l’idée d’un développement continu et progressif qui passerait d’une conscience syllabique à une conscience intra-syllabique (niveau intermédiaire) pour aboutir à une conscience phonémique (chemin 1). Ceci se traduirait par un développement des unités larges vers des unités réduites (Goswami, 1999 ; Treiman, 1989). D’après cette conception, ce serait les unités largesqui seraient importantes et en particulier la rime au début de l’apprentissage de la lecture. Selon le modèle de Goswami et Bryant (1990), d’une part, ‘“ les enfants commencent l’acquisition de la lecture et de l’écriture avec des capacités sur la rime ; d’autre part, la phonologie qui s’appuie sur la rime constitue un point d’ancrage pour la catégorisation des mots selon leurs ressemblances sonore et orthographique ; enfin, ce point d’ancrage est utilisé pour élaborer un lexique de mots par le biais d’un processus de détection d’analogies entre mots connus et mots non familiers ”’.

L’autre conception tend à montrer au contraire que la capacité méta-phonologique est étroitement liée à l’apprentissage de la lecture et se caractériserait par un développement discontinu allant de la prise de conscience des unités petites vers celle des unités plus larges (chemin 2). Autrement dit, sous l’effet de l’enseignement formel, les enfants traitent d’abord les phonèmes puis prennent en compte des unités de plus en plus larges (en anglais : Erhi, 1998 et en français :Colé, Magnan, & Grainger, 1999). Ce point de vue est conforme avec le modèle à double fondation de Seymour (1997) selon lequel lors d’une première phase fondatrice, les enfants apprennent les correspondances graphèmes-phonèmes (processus alphabétique) et dans une deuxième phase, des unités plus larges contribuent au développement du lexique orthographique. Ces modèles feront l’objet ultérieurement d’une description plus détaillée.

Il se trouve que la plupart des arguments expérimentaux actuels convergent vers une conception discontinue du développement de la conscience phonologique, tout en reconnaissant que la prise de conscience du phonème (niveau méta-) ne peut se produire que si une certaine sensibilité au phonème existe (niveau épi-). Gombert et Colé (2000) envisagent que le développement de la sensibilité phonologique irait des unités larges aux unités plus petites. À l’inverse, le phonème serait la première unité à être maîtrisée au niveau méta-phonologique par l’enfant. Les unités phonologiques plus grandes seraient maîtrisées par la suite. Ce point de vue converge avec les résultats observés dans les études de Seymour et collaborateurs (Duncan et al., 1997 ; Seymour et al., 1999) qui montrent à travers une tâche de détection d’unité commune que les lecteurs débutants ont de meilleurs performances lorsque l’unité commune à identifier est le phonème que lorsque c’est une rime, indiquant que la conscience phonémique émerge avant celle de la rime. Cette dernière ne serait apparente qu’à l’âge de 7 ans. Gombert (1990 ; Gombert & Colé, 2000) précise toutefois qu’ ‘“ il serait possible que l’unité rime soit maîtrisée en même temps ou avant le phonème mais à condition que l’enseignement porte explicitement sur ce niveau ”’.