3.2. Meilleurs prédicteurs de l’apprentissage du code écrit

De nombreuses études se sont intéressées aux prédicteurs de réussite en lecture. Une importante controverse réside dans l’importance relative des petites vs larges unités phonologiques comme prédicteurs des différences individuelles observées en lecture. Certains auteurs attribuent un rôle plus important aux unités larges, en particulier l’unité rime (Bradley & Bryant, 1983 ; Goswami & Bryant, 1990 ; Bryant et al., 1990) sur l’apprentissage précoce de la lecture tandis que d’autres privilégient les petites unités que sont le phonème (Hoien, Lundberg, Stanovich, & Bjaalid, 1995 ; Muter, Hulme, Snowling, & Taylor, 1998 ; Nation & Hulme, 1997). Par exemple, Lundberg et al. (1980)ont examiné 133 enfants de la dernière année de maternelle à la seconde année de scolarisation et ont montré que parmi huit tâches phonologiques, deux tâches d’analyse visuelle et un test de lecture de niveau école maternelle, le niveau de lecture l’année suivante est prédit par la capacité à effectuer en maternelle la tâche dans laquelle ils doivent analyser des phonèmes et renverser leur ordre. Dans le même sens, Muter et al. (1998) ont suivi 38 enfants anglophones durant les deux premières années de scolarisation (âge moyen au début de l’étude : 4 ;3 ans).Une batterie de tests incluant des tâches de détection et de production de rimes et des tâches d’identification et suppression de phonèmes leur a été administrée. Les résultats révèlent que la manipulation des phonèmes exerce une plus grande influence sur la lecture précoce et l’écriture que les mesures observées sur la manipulation des rimes.

Afin de clarifier ce débat et en réponse à une critique formulée par Bryant (1998) sur la précédente étude que nous venons d’exposer, Hulme et collaborateurs (Hulme, Hatcher, Nation, Brown, Adams, & Stuart, 2002) ont effectué une étude longitudinale comportant 3 tâches (détection, oddity et suppression) ; ces trois tâches impliquent d’une part, des unités phonologiques différentes (larges : attaque/rime vs petites : phonème initial et phonème final) et d’autre part, les mêmes items pour chaque tâche. Des enfants de 5 et 6 ans participent à cette étude. Afin de séparer la conscience des attaques de celle des phonèmes initiaux, tous les items comportent un cluster consonantique en position initiale. Le fait de devoir utiliser les mêmes items dans les trois tâches, les a contraints à utiliser des non-mots comme stimuli. Les résultats montrent que les performances des enfants étaient plus élevées dans les tâches de jugement impliquant des unités intra-syllabiques que celles impliquant des phonèmes (Bruck & Treiman, 1990 ; Byrne & Fielding-Barnsley, 1990 ; Kirtley et al., 1989 ; Treiman, 1985 ; Treiman & Zukowski, 1996). Cependant, et conformément à leurs attentes, les mesures effectuées via des analyses de régression multiple pas à pas sur la conscience phonémique semblent être de meilleurs prédicteurs des différences individuelles en lecture que les mesures sur la conscience onset-rime (Hatcher & Hulme, 1999 ; Hoien et al., 1995 ; Muter et al., 1998 ; Nation & Hulme, 1997).

Il ressort de cette partie consacrée au développement des représentations phonologiques chez l’enfant entendant que deux types d’habiletés phonologiques impliquant un traitement différent sont nécessaires pour apprendre à lire. Des habiletés phonologiques acquises implicitement au contact de la langue orale et d’autres acquises avant l’apprentissage de la lecture (habiletés épi-phonologiques). Pendant cette période, les unités auxquelles l’enfant serait sensible, seraient des unités larges type syllabique ou infrasyllabique.

Lors de l’apprentissage de la lecture, l’enfant prend alors conscience que le langage oral est composé d’unités non signifiantes que sont les phonèmes et qui constituent l’unité de base du principe alphabétique. Il est capable de les manipuler de façon consciente (habiletés méta-phonologiques). Les habiletés phonologiques implicitement acquises seraient un prérequis au développement des habiletés méta-phonologiques qui seraient elles-mêmes un bon prédicteur de l’apprentissage de la lecture, en particulier les habiletés phonémiques.