2.2.2. Modèles de lecture par analogie (Goswami & Bryant, 1990 ; Goswami, 1999)

Contrairement aux modèles développementaux à étapes présentés précédemment, Goswami postule que plusieurs processus de lecture peuvent être mis en œuvre chez les enfants débutants lecteurs. Ces derniersutiliseraient précocement diverses compétences (phonologiques et orthographiques). L’apprentissage des relations entre graphème et phonème ne constituerait pas la seule voie d’entrée dans l’écrit. Les lecteurs débutants pourraient développer très précocement une lecture des mots nouveaux sur la base d’une analogie avec des mots dont ils connaissent la forme orthographique. Plus précisément, ce modèle prend en compte de façon centrale le rôle des analogies sur les rimes dans l’acquisition de la lecture et de l’écriture. Dans ce modèle, quatre connexions causales sont mises en valeur pour rendre compte de la dynamique développementale.

Avant l’apprentissage explicite de la lecture, une première connexion s’effectuerait entre la capacité de segmentation de la parole en unités intra-syllabiques de type attaque-rime et la capacité à identifier des séquences orthographiques correspondant à ces unités. Cette opération permettrait à l’enfant d’identifier des unités orthographiques correspondant aux rimes des items et de se constituer ainsi un petit lexique orthographique composé de mots dont il peut identifier les rimes. En retour ce lexique faciliterait la lecture de mots que l’enfant n’a jamais rencontrés mais qui ont les mêmes rimes que les mots qu’il connaît. Ainsi l’enfant qui sait comment se prononce le mot écrit “ bien ” parce qu’il a rencontré ce mot écrit souvent et qu’il y a associé sa forme phonologique, pourra lire le mot “ rien ”. L’apprentissage des analogies précoces sur des unités larges, les rimes en particulier, faciliterait ainsi l’apprentissage de la lecture (Goswami, 1995 ; Goswami & East, 2000).

Sous l’effet de l’instruction formelle de la lecture, une seconde connexion causale concernant la relation entre compétence phonémique et lecture s’établirait. L’expérience de la lecture conduirait progressivement à la connaissance des phonèmes.

La troisième connexion fait référence aux rapports entre écriture et lecture. Les habiletés acquises en lecture influenceraient l’écriture et inversement.

Plus récemment, Goswami (1999) a introduit une quatrième connexion qui concerne la qualité des représentations phonologiques. Très tôt vers 18 mois, l’enfant commence à se constituer un stock lexical. Au début, les représentations phonologiques des mots sont de nature holistique puis progressivement deviennent de plus en plus structurées sous l’influence de l’augmentation du vocabulaire. Cependant l’étendue du vocabulaire n’est pas une condition suffisante au développement de représentations phonologiques précises. Des travaux ont montré que le vocabulaire étendu de certains dyslexiques ne leur ont pas permis d’accéder à des représentations phonologiques correctement spécifiées (Elbro, Bornstrom, & Petersen, 1998 ; Swan & Goswami, 1997).

Cette dernière connexion causale proposée par Goswami est intéressante dans le sens où elle met l’accent sur l’importance d’une exposition linguistique précoce et de facteurs intrinsèques à l’enfant tels que la capacité à traiter la langue orale, sur l’apprentissage de la lecture. Le fait qu’il soit reconnu que les enfants sourds profonds atteignent rarement l’habileté d’un bon lecteur s’expliquerait par l’absence de cette connexion chez ces derniers.