3.2. Apprentissages implicite et explicite : complémentarité

D’après Gombert, si l’on veut comprendre l’ensemble des processus mis en œuvre dans l’apprentissage de la lecture, il est nécessaire de considérer de façon complémentaire les versants implicite et explicite de cet apprentissage. Or, les modèles développementaux ne prennent pas en considération la notion d’apprentissage implicite ; ces modèles postulent que l’enfant passe exclusivement d’un stade à l’autre sous l’effet d’une instruction (apprentissage explicite) visant à lui faire comprendre le fonctionnement du système alphabétique. Ces modèles ne prennent donc pas en compte le fait que les connaissances de l’enfant peuvent évoluer à son insu, à travers le contact répété aux régularités d’un système écrit.

Dans une perspective inverse, certains aspects des modèles connexionnistes tels que celui de Seidenberg et McClelland (1989) peuvent rendre compte de la dimension implicite de l’apprentissage, dans le sens où ces derniers sont des systèmes qui apprennent sans que des “ phénomènes d’allocation de l’attention ” se produisent.Entre chaque unité du système s’établissent des connexions variables ; le poids des liaisons entre ces unités varie de façon continue et chaque co-activation de deux unités renforce ce lien entre elles de telle sorte que l’information activatrice circule de plus en plus rapidement et de façon efficace entre ces unités. L’apprentissage serait donc dû à la répétition des comportements. Par ailleurs, dans le cas de traitement inadéquat, ‘“des mécanismes de rétropropagation de l’erreur”’ (Rumelhart et al., 1986) peuvent intervenir pour moduler les connexions. Il en découle que les ordinateurs dans lesquels on a implanté une architecture connexionniste sont capables, d’une part, de prononcer des items qu’ils rencontrent pour la première fois, d’autre part de produire des erreurs de même type que celles produites par un lecteur humain et enfin, d’améliorer leur lecture (leur prononciation) s’ils rencontrent plusieurs fois les mêmes items.

Toutefois, ces modèles impliquent dans leur structure initiale des unités spécialisées dans le traitement de l’orthographe (les unités orthographiques). Or, ce n’est qu’après l’apprentissage explicite de la lecture que l’enfant peut se constituer un lexique orthographique suffisant pour traiter ces unités. Jusque-là, l’enfant est seulement capable de traiter de l’information auditive ou de catégoriser des objets qu’il perçoit visuellement ; prenons l’exemple de Gombert : le concept de “ chat ” peut être activé soit par l’audition du mot /⌡a /, l’entrée se faisant via les unités phonologiques (processeur phonologique) ou soit par la vision de l’animal ou d’une représentation figurative de l’animal, l’entrée se faisant via une représentation mentale imagée (processeur pictural). Ce n’est que plus tard, lors de l’apprentissage de la lecture que le concept de “ chat ” pourra être activé à la lecture du mot “ chat ”. Ceci amène à préciser que les apprentissages implicites sont nécessaires mais pas suffisants pour mener à l’expertise. Sans apprentissage explicite, l’enfant ne peut avoir une connaissance consciente des règles à appliquer pour correctement lire et écrire n’importe quel mot (ou pseudo-mots) dans n’importe quel contexte.